Chapitre 1 - Le mercenariat : approche historique
Il peut paraître étonnant d'aborder la question
de l'externalisation en traitant d'abord de l'histoire du mercenariat,
notamment parce que l'amalgame a souvent eu lieu entre la figure du mercenaire
et celle du contractor. Et il est vrai que la différence entre
les deux n'est pas aisée. En témoignent certains personnels de
sociétés de protection (sociétés parfaitement
légales du point de vue du droit international) dont l'allure est
très proche de celle des « chiens de guerre » et autres
Affreux5. Cette confusion des genres tient en partie au fait que le
mercenariat et l'externalisation, bien qu'étant deux
réalités distinctes, entretiennent certains liens dans la mesure
où le mercenariat constitue la première forme historique
d'externalisation.
1 / Définition
« La perversion de la cité commence par la fraude
des mots. », Platon
Le débat autour de l'externalisation est souvent
miné par des rapprochements historiques hasardeux. C'est pourquoi, avant
d'étudier l'histoire du mercenariat, il convient de définir
précisément la réalité que recouvre le terme de
mercenaire.
5 « Au retour de [...] raids, les mercenaires de combats
de choc arrivaient à E'ville dans un état physique
impressionnant. Les vêtements déchirés [...], couverts de
poussière et de cambouis, ils étaient vraiment affreux à
voir, avec leurs crânes rasés, leurs barbes incultes et leurs
visages boursouflés par les piqûres d'insectes. Les colons et les
petits Belges les appelèrent les Affreux. », Pasteger R., Le
Visage des Affreux : les mercenaires du Katanga (1960-1964), Editions
Labor, Bruxelles, 2005, p. 229 (cité dans BRUYERE-OSTELLS Walter,
Histoire des mercenaires - De 1789 à nos jours, Editions
Tallandier, Paris, 2011, p. 152).
A) 9
Etude étymologique
Etymologiquement, « mercenaire » vient du
substantif latin mercenarius, qui tire lui-même son origine du
mot merces. Polysémique, merces signifie tout à
la fois 1) le salaire, la récompense, le prix pour quelque chose ; 2) la
paye, la solde, les appointements ; 3) le loyer, le fermage, le salaire (Le
Grand Gaffiot : dictionnaire Latin - Français, Hachette, 2000).
Dès lors, tout travail réalisé en échange d'une
rémunération peut se voir qualifier de mercenaire.
De même, le mot « soldat » tire son origine
de l'italien soldato, forme substantivée du verbe soldare
qui signifie le fait de « payer une solde »
(Littré, édition 2006). Ainsi, à ce stade, il n'y
a aucune différence de nature entre le mercenaire et le soldat. Ce n'est
plus le cas aujourd'hui, car lorsque les médias parlent des «
soldats français », ils font référence aux militaires
de l'armée française et non à des soldats privés de
nationalité française.
Enfin, il est intéressant de noter que contrairement
au mot latin mercenarius, son équivalent grec
mistophoros, c'est-à-dire celui qui reçoit un
misthos (une solde), n'a engendré aucun nom dans la langue
française. Il faut toutefois noter que ces vocables, bien que d'origines
différentes, entretiennent tous deux une étroite relation
à l'argent.
B) Mercenaire et soldat de fortune
« Il me semble que les choses ne sont en elles-mêmes
ni pures ni impures. »,
Montesquieu, Les Lettres persanes, 1721
Le terme de « soldat de fortune » est
également utilisé pour parler des mercenaires. Alors que le
mercenaire est avant tout motivé par l'appât du gain et
intéressé matériellement, le soldat de fortune chercher
d'abord l'aventure ou obéit à des motifs idéologiques.
Cependant, la distinction entre mercenaire et soldat de
fortune n'est pas aussi simple que cela car elle implique de connaître
les motivations des personnes concernées. Elle invite à explorer
leur intimité. Or, dans les pays condamnant moralement l'accumulation
des
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richesses, il est plus vraisemblable de trouver des individus
se définissant comme soldats de fortune et non comme mercenaires.
De plus, il est possible d'instrumentaliser l'emploi du nom de
mercenaire. A l'image du terroriste, le mercenaire est toujours mercenaire
« sous le regard de l'autre » (Michel Wieviorka). A titre d'exemple,
les moudjahidin qui s'en vont combattre les « infidèles » dans
le cadre du petit jihâd6 en n'attendant rien d'autre
que de mourir en shahîd7 doivent-ils être vus
comme des mercenaires ou bien comme des soldats de fortune ? En effet, ces
hommes ne se battent pas pour de l'argent mais pour des valeurs, qui même
si elles ne sont pas les nôtres, restent des valeurs qui doivent
être prises en considération. Ils s'appellent d'ailleurs entre eux
« soldats de Dieu » ou « combattants de la foi ».
Dès lors, on aurait tort de les considérer comme des mercenaires
et le vocable de « soldat de fortune » doit aussi leur être
appliqué.
En conclusion, si la distinction entre mercenaire et soldat de
fortune permet de comprendre et d'analyser la réalité, elle est
une simplification qui peut parfois tourner à la falsification.
C) Acception contemporaine
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce
clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. », Boileau,
L'Art poétique, 1674
Si l'étude étymologique d'un mot permet souvent
d'apporter un éclairage sur les réalités qu'il recouvre,
la définition donnée au départ du mercenaire n'est pas
totalement satisfaisante au regard des critères contemporains.
D'après le Littré (édition 2006), le «
mercenaire » est soit 1) un ouvrier ou un artisan qui travaille pour de
l'argent ; 2) un étranger qui sert dans une armée pour de
l'argent ; 3) un homme intéressé et facile à corrompre
pour de l'argent. C'est donc la deuxième définition qui sera
l'objet de nos soins, définition qui est d'ailleurs partagée par
d'autres dictionnaires comme le Nouveau Petit Robert (édition
2007) qui considère le « mercenaire » comme un « soldat
professionnel à la solde d'un gouvernement étranger. »
6 Le « petit jihâd » doit être
différencié du grand « jihâd » dans la mesure
où ce dernier concerne le combat du croyant contre lui-même et non
contre autrui.
7 Martyr dans l'Islam, celui qui a sacrifié sa
vie pour voir triompher la parole d'Allah.
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Malheureusement, ces définitions contemporaines sont
partiellement vraies. Il serait effectivement abusif de considérer tout
soldat vendant ses services pour de l'argent en territoire étranger
comme un mercenaire. Affirmer cela reviendrait à considérer les
membres de la Légion étrangère, de la Legión
Española ou encore les Gurkhas népalais et les Gardes
suisses du Vatican comme des unités mercenaires.
Par conséquent, il n'y a pas à l'heure actuelle
de définition satisfaisante du mercenaire. C'est pourquoi, il convient
de se tourner vers l'histoire pour mieux saisir la réalité que
revêt ce terme.
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