SOMMAIRE
INTRODUCTION
|
.1
|
METHODOLOGIE
|
7
|
PREMIERE PARTIE - LE MERCENARIAT
|
8
|
Chapitre 1 - Le mercenariat : approche historique
|
8
|
1 / Définition
|
..8
|
2 / Le mercenariat : de l'Antiquité à
l'époque moderne
|
..11
|
3 / Le mercenariat à l'époque contemporaine
|
.23
|
Chapitre 2 - Le mercenariat : approche légale
|
32
|
1 / La notion de mercenaire au regard du droit international
|
32
|
2 / La notion de mercenaire au regard des législations
nationales
|
39
|
3 / Chartes éthiques et codes de déontologie : vers
une standardisation internationale
|
46
|
DEUXIEME PARTIE : L'EXTERNALISATION DE LA DEFENSE
|
49
|
Chapitre 1 - L'externalisation de la Défense : approche
théorique
|
49
|
1/ Définition
|
.49
|
2 / L'externalisation : un processus en deux temps
|
.51
|
3 / Délégation ou perte de souveraineté ?
|
54
|
Chapitre 2 - L'externalisation de la Défense : approche
empirique
|
57
|
1 / Le budget de la Défense en France
|
.57
|
2 / Les domaines susceptibles d'externalisation
|
..63
|
3 / L'externalisation en France
|
.69
|
4 / L'externalisation dans les pays anglo-saxons
|
.79
|
TROISIEME PARTIE : L'EXTERNALISATION DE LA DEFENSE, UN
PROCESSUS
AMBIVALENT
|
87
|
Chapitre 1 - Les avantages de l'externalisation
|
87
|
1 / Un complément nécessaire face aux armées
régulières
|
87
|
2/ Une expertise reconnue
|
..92
|
3 / La possibilité de gains économiques
|
.97
|
Chapitre 2 - Les limites de l'externalisation
|
.100
|
1 / Limites liées à la souveraineté
nationale
|
..100
|
2 / Limites économiques et sociales
|
105
|
3 / Limites culturelles
|
.110
|
LISTE DES PRECONISATIONS
|
.121
|
CONCLUSION
|
.....124
|
1
INTRODUCTION
Il est toujours difficile d'expliquer la genèse d'une
oeuvre, notamment parce les raisons que nous nous donnons pour justifier notre
choix sont toujours postérieures à ce choix, jamais
antérieures. Dans une série d'articles rédigés
entre 1903 et 1923 sous le titre de la Pensée et le Mouvant, le
philosophe Henri Bergson explique que la décision précède
la délibération et non l'inverse. On choisit d'abord et on
délibère ensuite. Par conséquent, ce n'est pas le possible
qui précède le réel mais le réel qui
précède le possible. Il y a une illusion rétrospective,
une illusion du possible.
Cela étant dit, nous ne chercherons pas à
convaincre notre lecteur que le thème de l'externalisation au sein des
forces armées françaises revêt une importance toute
particulière. Il n'a pas plus d'importance que la cyber-défense,
la dissuasion nucléaire, ou bien les capacités de connaissance et
d'anticipation. Ou pour le dire autrement, il en a autant. Il s'agit par
conséquent d'étudier ce qui fait de l'externalisation un sujet
particulièrement original.
Tout d'abord, le thème de l'externalisation au sein des
forces armées est digne d'intérêt car il n'appartient pas
exclusivement au domaine de la res militaris. Il fait non seulement
intervenir des matières comme l'histoire, l'économie, le droit,
mais aussi la morale et la littérature.
L'histoire, parce le recours à des militaires «
non-réguliers » remonte au mercenariat, dont les prémices se
situent vers 3000 avant J.-C. en Egypte.
L'économie, parce que l'externalisation est souvent
présentée, à tort ou à raison, comme un processus
permettant de limiter les dépenses publiques. Cet argument est
d'ailleurs d'autant plus pertinent depuis la promulgation en août 2001 de
la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Le droit, parce qu'un ensemble de normes nationales et
internationales viennent encadrer le recours à l'externalisation dans le
domaine de la Défense. A ce titre, le mercenariat, pratique plusieurs
fois millénaires (« Le mercenariat est le deuxième plus
vieux métier du monde », Bob Denard), est illégal depuis
l'entrée en vigueur le 20 octobre 2001 de la Convention internationale
contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de
mercenaires du 4 décembre 1989.
La morale (qu'elle soit d'origine philosophique ou
religieuse), parce que le processus d'externalisation a pour effet de recourir
principalement à des prestataires privés dont la logique de
profit semble irréconciliable avec la mission d'intérêt
général dévolue aux forces
2
armées. Débattre de l'externalisation
reviendrait ainsi à mettre en balance la sphère du bien commun et
la sphère des intérêts privés.
La littérature, parce que devant la figure du
mercenaire, l'homme est à la fois attiré et repoussé d'une
manière incompréhensible. Qu'il s'agisse de Plaute (Le Soldat
fanfaron), de Machiavel (Le Prince, posth. 1532), de Henry de
Montherlant (Malatesta, 1946) ou encore de Hugo Pratt (série
des Corto Maltese), nombreux sont les auteurs de génie ayant
dépeint ce personnage rocambolesque.
Par conséquent, pour appréhender la question de
l'externalisation au sein des forces armées, il faut faire appel
à des domaines très divers, qui loin d'être opposés
s'avèrent complémentaires. Cette approche globale, en montrant la
complexité du phénomène, est pour nous un gage de sa
meilleure compréhension.
Plus concrètement, la question de l'externalisation
s'est tout d'abord posée de la plus mauvaise manière puisque les
Français n'en ont eu connaissance qu'à travers le battage
médiatique autour de différents scandales impliquant des
sociétés militaires privées (SMP) opérant en Irak
à partir de mars 2003. La société américaine
Blackwater s'est d'ailleurs particulièrement illustrée au point
de devoir changer de nom à plusieurs reprises (Xe à partir de
2009 puis Academi à partir de 2011). Malheureusement, si les
médias peuvent être salués pour avoir dénoncé
ces affaires, ils n'ont cependant pas mentionnés qu'il s'agissait
là d'un épiphénomène. En effet, l'opinion publique
considère que la majorité des employés de ces firmes sont
des gardes armés, alors qu'ils ne représentent qu'une
minorité. Pour le 4e trimestre de l'année fiscale 2010
aux Etats-Unis, « le Centcom1 recensait 74 106
contractors dont 11 628 security contractors (1017
Américains, 9713 TCN2 et 898 Irakiens). Moins de 16% des
contractors étaient donc des security
contractors.3 »
Cette condamnation hâtive des sociétés de
sécurité privée s'explique en partie par le poids de
l'histoire. En France, la mémoire collective associe
régulièrement les employés de ces entreprises à des
mercenaires purs et simples. Les chiens de guerre des années soixante
et
1 Le Centcom ou United States Central Command
est l'un des neufs Unified Combatant Command dépendant,
depuis le 1er janvier 1983, du Ministère de la Défense
des Etats-Unis (DoD).
2 Le terme TCN ou Third country nationals
désigne les individus ayant un contrat avec le gouvernement
américain ou un contrat avec une société ayant
contracté avec le gouvernement américain et qui ne sont ni
citoyens des Etats-Unis, ni citoyens du pays où ils opèrent.
3 3 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de la
guerre : des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 60.
3
soixante-dix (Bob Denard, Jean Schramme, Mike Hoare, Christian
Tavernier...) hantent encore l'imaginaire des Français. Toute tentative
d'externalisation est alors vue comme l'effacement de l'Etat devant des
armées irrégulières au service de multinationales, de
mouvements rebelles, etc. Avec l'externalisation, l'Etat perdrait ainsi ce qui
constitue son essence même depuis deux siècles, à savoir
« le monopole de la violence physique légitime. » tel que l'a
théorisé le sociologue allemand Max Weber dans Le Savant et
le Politique (1919).
Mais la rupture ne serait pas seulement d'ordre
institutionnel, elle serait également d'ordre idéologique.
Les contractors, comme leurs ancêtres les mercenaires, seraient
prêts à tous les coups de force pourvu que l'argent et la gloire
fussent au bout du chemin. Sans patrie et sans morale, ils constitueraient une
abomination aux yeux du soldat pour qui « la terre et les morts »
(Maurice Barrès) représentent un absolu indépassable.
Culte de l'argent, couardise et hédonisme d'un côté ;
attachement aux racines et à la famille, dédain de la mort et
dolorisme rédempteur de l'autre : les valeurs auxquelles sont
attachées ces deux figures de la guerre seraient trop opposées
pour envisager une quelconque réconciliation.
Le mythe est donc profondément ancré dans
l'inconscient français, à tel point qu'il lui arrive d'occulter
la réalité du débat. En effet, les sociétés
de sécurité privées, souvent filiales de puissantes
multinationales voire multinationales elles-mêmes, sont beaucoup plus
proches de Wall Street ou de la City (la firme britannique G4S est d'ailleurs
cotée au London Stock Exchange) que des officines «
barbouzardes » du temps de la fin des empires coloniaux.
De plus, ces nouveaux acteurs du marché de la
sécurité ne sont plus seulement au service des Etats mais aussi
de l'ONU et de l'UE, des ONG et des entreprises ayant des activités en
zones instables. Leurs missions vont du conseil au soutien en passant par la
formation, le transport aérien, le déminage, la fourniture de
matériel, l'analyse sécuritaire, le renseignement, la protection
des personnels et des infrastructures.
Cette montée en puissance des prestataires
privés agissant dans le domaine de la sécurité et de la
défense s'explique principalement par deux facteurs. Tout d'abord, la
fin de la guerre froide a entraîné une diminution majeure de la
taille des armées occidentales. Dans ce cadre, les
sociétés privées sont apparues comme un complément
nécessaire aux troupes régulières. De nos jours, cette
tendance est particulièrement manifeste dans le cadre des missions et
opérations menées par des organisations intergouvernementales.
L'externalisation est alors
4
systématiquement envisagée en cas
d'incapacité des Etats membres de mettre à disposition des
troupes et/ou du matériel. D'autre part, l'expertise dont ces
sociétés font commerce n'est plus aujourd'hui à
démentir. C'est notamment le cas dans le cadre de la lutte contre la
piraterie maritime. En effet, la présence de gardes armés
privés, en sus des équipes de protection embarquées de la
Marine nationale, contribue à faire baisser le nombre d'attaques et de
détournements des navires de commerce.
Malgré ces différentes évolutions, le
débat autour de l'externalisation des forces armées en France n'a
jamais vraiment eu lieu au niveau politique. Certes, il y a bien eu des
rapports parlementaires comme celui des députés Louis Giscard
d'Estaing et Bernard Cazeneuve en juillet 2011, ou bien encore celui des
députés Christian Ménard et Jean-Claude Viollet en
février 2012, mais globalement, ces rapports n'ont connu qu'un faible
retentissement auprès de la classe dirigeante. Pourtant, la question de
l'externalisation mérite d'être posée et les
réponses se font attendre. Assurément, des fonctions et des
services de la Défense ont déjà été
externalisés depuis plusieurs années, mais ils restent le fruit
d' « expérimentations » et non d'une véritable
stratégie. Espérons que le Livre blanc de 2013 change la donne.
Mais pour l'instant, il existe une véritable « myopie
stratégique » sur ce sujet.
Par conséquent, l'objet de cette étude est avant
tout de réactualiser le débat en y apportant sa modeste
contribution. Notre propos n'est pas de poser un quelconque jugement de valeur
sur ces sociétés. Elles sont une réalité qui
s'affirme chaque jour davantage et qu'il serait vain de nier. En cela elles
répondent à un besoin que les armées
régulières semblent incapables de satisfaire. Mais
reconnaître leur existence et leur poids de plus en plus important sur la
scène internationale ne met pas un terme au débat. Il est
essentiel de questionner ce qu'est l'externalisation au sein des forces
armées et ce qu'elle pourrait être en France. Un contractor
est-il un mercenaire ? Pourquoi le droit international criminalise
seulement l'activité de mercenaire et pas celle d'un employé
d'une SMP ? Quels services proposent les prestataires privés ? Quelles
fonctions l'Etat peut-il externaliser ? Faut-il prendre exemple sur les
politiques d'externalisation menées par les pays anglo-saxons et adopter
dans ce cas la législation adéquate ? L'externalisation est-elle
la seule solution aux problèmes budgétaires dans les forces
armées ? Quels sont les avantages et les limites de l'externalisation ?
La ré-internalisation d'un service externalisé est-elle toujours
possible ? L'externalisation est-elle synonyme de perte de souveraineté
? L'outil militaire peut-il se voir appliquer les mêmes
5
règles que les entreprises privées ? Dans quelle
mesure la culture française représente-t-elle un frein à
l'externalisation ?
Toutes ces questions aussi importantes les unes que les autres
viennent s'intégrer dans une problématique plus
générale, à savoir : quelle stratégie le
ministère de la Défense doit-il adopter en matière
d'externalisation ?
Dans le cadre de ce mémoire, notre démarche
consistera à analyser objectivement la situation actuelle en partant de
l'histoire des mercenaires depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours,
en dressant des parallèles entre les différentes époques
et les différents lieux, en montrant la prise en compte tardive de ce
phénomène par la communauté internationale et en finissant
par les avantages et les inconvénients propres au recours à des
prestataires privés.
Ce mémoire se décomposera dès lors en trois
parties.
Dans un premier temps, il s'agira non seulement
d'étudier le mercenariat en tant que première forme
d'externalisation dans l'histoire mais aussi en tant qu'objet criminel au
regard du droit international pénal. Plusieurs questions seront
posées. Quelles sont les causes de l'apparition du mercenariat ? Comment
a-t-il évolué au cours des siècles en passant d'un
modèle artisanal à un modèle entrepreneurial et vice-versa
? Nous verrons que le mercenaire n'est pas un être facilement
catégorisable, tantôt bravache, tantôt héros. Nous
verrons également pourquoi la communauté internationale a
jugé bon de criminaliser ses activités à la fin du XXe
siècle. Enfin, nous nous consacrerons à établir une
étude comparative des différentes législations nationales
en vigueur.
Dans une seconde partie, nous analyserons l'externalisation de
la Défense à travers une double approche : théorique et
empirique.
Il s'agira d'abord de donner une définition
précise de ce qu'est l'externalisation, en la distinguant d'autres
notions comme la privatisation et la sous-traitance. Nous nous
intéresserons aussi à sa genèse politique, en faisant
valoir qu'elle procède d'une même logique de la pensée que
la décentralisation dans la mesure où là aussi l'Etat
s'interroge sur la possibilité de faire réaliser par autrui ses
missions de service public avec une meilleure efficacité et un moindre
coût. Nous verrons cependant que l'externalisation n'est pas sans
conséquence lors qu'il s'agit d'aborder la question de la
souveraineté étatique.
6
Il s'agira ensuite de voir que l'étude de
l'externalisation passe aussi par l'analyse des contraintes budgétaires
dans le milieu de la Défense, contraintes qui poussent fortement la
France à s'y intéresser. Cette attirance est d'ailleurs
renforcée par le fait que la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et
l'Australie ont déjà largement recours à des prestataires
privés.
Enfin, nous mettrons en balance les avantages et les
inconvénients de ce processus. Il s'agira précisément
d'étudier les facteurs qui feront de l'externalisation un atout ou une
limite pour celui qui y recourra, en s'arrêtant notamment sur la question
de la culture française et des freins à l'externalisation qu'elle
induit.
Nous espérons qu'au terme de cette étude le
lecteur aura une vision plus claire des enjeux de l'externalisation au XXIe
siècle et comprendra combien il est devenu important de débattre
de ce sujet aux plus hauts niveaux.
7
METHODOLOGIE
Dans le cadre de l'élaboration de ce mémoire,
nous avons procédé à une enquête de terrain durant
les mois de mai et juin 2012. Pendant cette période, nous avons eu la
chance de pouvoir nous entretenir alternativement avec deux catégories
de personnes. La première catégorie est celle des experts de la
question de l'externalisation, qu'ils en soient acteurs (par exemple, dirigeant
d'une entreprise de services de sécurité et de
défense4) ou commentateurs (par exemple, chercheurs,
écrivains, historiens...). La seconde catégorie est celle des
personnes dont la spécialité n'est pas la question de
l'externalisation mais qui y sont confrontés de par les fonctions qu'ils
exercent (militaires, parlementaires...).
Par ailleurs, nous avons pu profiter d'un stage à la
Représentation militaire française auprès de l'Union
européenne (située à Bruxelles en Belgique) durant les
mois de janvier et février 2013 pour étudier le thème de
l'externalisation à un niveau intergouvernemental.
Durant ces deux périodes, nous avons
privilégié une approche qualitative. En l'espèce, nous
avons mené des entretiens individuels à l'aide d'un questionnaire
semi-directif (cf. annexe). L'avantage de cette méthode est double :
elle permet d'orienter la discussion sur des points précis et rend
également possible la comparaison des réponses données par
les différentes personnes interrogées. Cependant, cette
méthode autorise peu les digressions. C'est pourquoi, nous avons
privilégié un questionnaire réduit à dix questions
(cf. annexe I) afin de laisser libre cours aux réflexions des
interviewés.
Enfin, après analyse des réponses données
lors de ces entretiens, nous nous sommes autorisés à recontacter
certaines personnes afin d'éclaircir des points sur lesquels nous
n'avions pas eu le temps de nous appesantir.
4 Nous réutilisons ici le terme
employé par les députés français Christian
Ménard et Jean-Claude Viollet dans leur rapport d'information n°
4350 sur les sociétés militaires privées en date du 14
février 2012.
8
PREMIERE PARTIE - LE MERCENARIAT
|