3 / Délégation ou perte de
souveraineté ?
« Le roi promet aussi de conserver la
souveraineté, les droits et noblesses de la couronne de France, sans
les aliéner ou transporter à personne. », Bossuet,
Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte,
1709
(posthume)
A) L'Etat comme décideur ultime
Comme l'a démontré le sociologue allemand
Norbert Elias dans son ouvrage intitulé Sur le processus de
civilisation (1939), l'Etat moderne est le fruit d'un processus de
monopolisation de la violence physique, d'abord entamé par les princes
pour leur profit personnel et
84 Op. cit., p. 4
85 5e rapport RGPP : partie défense, mars 2011, p. 7.
86 Op. cit., ibid.
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parachevé par la puissance publique. En d'autres
termes, la sociogenèse de l'Etat est liée au renforcement des
grandes monarchies, qui désarment les seigneurs féodaux en
obtenant le monopole de la violence légitime avec le contrôle de
l'armée et de la justice.
Max Weber ne dit pas autre chose lorsqu'il définit
l'Etat comme le détenteur du « monopole de la violence physique
légitime » (Le Savant et le politique, 1919). Cependant,
Weber reconnaît que l'Etat peut exercer lui-même ce monopole ou le
déléguer. Il s'agit là d'une précision
extrêmement importante puisqu'elle autorise l'Etat à ne pas faire
« tout par lui-même ».
Dans ces conditions, il apparaît difficile de voir dans
l'externalisation une tentative de déconstruction de la
souveraineté étatique. En effet, l'Etat n'est pas remis en cause
dans sa capacité décisionnelle. Comme le dit Philippe Chapleau,
il « reste le décisionnaire / décideur ultime. 87 » De
même, pour Eric Delbecque, actuel directeur du département
sécurité économique de l'Institut National des Hautes
Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), «
refaire l'Etat », c'est redéfinir « les modalités et
non l'essence de la souveraineté » et c'est accepter que « la
puissance souveraine (puisse) choisir de déléguer, plus ou moins
temporairement, un pouvoir, c'est-à-dire une capacité
particulière.88 »
B) Le risque de la perte de souveraineté
Cependant, le discours précédent est fortement
critiquable car l'externalisation n'est pas un processus uniforme. Soit
l'externalisation est un processus additionnel, soit elle est un processus
substitutionnel.
Dans le cas où elle est un processus additionnel,
l'externalisation est un moyen pour un organisme d'acquérir des
capacités qu'il ne possède pas. Il s'agit d'ajouter des
capacités externes aux capacités internes. Dès lors,
aucune perte de souveraineté ne peut être déplorée.
Dans le cas où elle est un processus substitutionnel, l'externalisation
est un moyen pour un
87 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 36.
88 DELBECQUE Eric, L'Europe puissance ou le
rêve français, Editions des Syrtes, Paris, 2006
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organisme de faire effectuer par une structure externe une
fonction qu'il assurait antérieurement. Il s'agit de substituer des
capacités externes aux capacités internes.
Dès lors, il y a risque de perte de
souveraineté. En effet, en déléguant à une
structure externe une certaine fonction, l'organisme court le risque de ne plus
être capable de se la réapproprier lorsque le besoin s'en fera
sentir (nous reviendrons plus tard sur cette question de la
ré-internalisation). Par conséquent, si sur le plan
théorique l'Etat reste le décideur ultime, en pratique, il se
pourrait bien qu'il n'eût pas toujours le choix.
Après avoir défini ce qu'était
l'externalisation, étudié sa genèse et
précisé ce qu'elle qu'impliquait en termes de souveraineté
étatique, il convient maintenant de s'attacher à la dimension
concrète qu'elle revêt.
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