b) Claire Chennaut et les Flying Tigers
En 1946, l'officier supérieur Claire Chennaut, ancien
chef des Tigres volants33 fonde une petite société de
transport aérien, la Civilian Air Transport (CAT). Celle-ci a pour
fonction d'alimenter en vivres mais aussi en armes les régions tenues
par les forces du Kuomintang de Tchang Kaï-chek. Beaucoup de pilotes de
cette compagnie sont d'ailleurs d'anciens Tigres volants. En 1950, la CAT passe
sous le contrôle de la CIA, qui, pour maintenir une apparence de
société civile, continue d'assurer des vols réguliers dans
toute l'Asie (Hong Kong, Japon, Corée, Philippines...), tout en
utilisant certains avions de la flotte pour assurer des missions
secrètes. La CAT est également utilisée lors de la guerre
de Corée et lors de la guerre d'Indochine34. En 1959, la CAT
est réorganisée sous le nom d'Air America et assure des
opérations sous couverture durant toute la guerre du Vietnam.
Par ailleurs, l'entreprise CAT n'est pas un cas isolé.
DynCorp, société créée en 1946 et aujourd'hui l'une
des plus importantes SMP, commença par assurer des missions de transport
aérien pour les armées US sous le nom de California Eastern
Airways Inc. (CEA). De plus, la guerre du Vietnam vit se multiplier le nombre
de prestataires privés. A ce titre et comme le
32 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 64.
33 Les Tigres volants (en anglais Flying
Tigers) était le surnom donné à une escadrille de
pilotes volontaires américains. Basée en Chine durant la Seconde
Guerre mondiale, elle participa à la guerre sino-japonaise et à
la campagne de Birmanie avant d'être incorporée à l'United
States Army Air Forces.
34 Deux pilotes de CAT furent d'ailleurs tués
durant la bataille de Dien Bien Phu en mai 1954.
29
rappelle Philippe Chapleau, « PAE (Pacific Architects and
Engineers), société de génie civil fondée en 1955,
a travaillé sur quelque 120 sites vietnamiens et employé
près de 25 000 personnes qui construisaient des camps pour l'US Army et
les entretenaient.35 » Et d'ajouter, « Vinnell (une
filiale de Northrop Grumman, connue pour ses activités de formation de
la Garde nationale d'Arabie saoudite et de la nouvelle armée d'Irak) est
à l'origine une entreprise de travaux publics fondée en 1931 ;
ses liens avec le Pentagone datent des années 1960 et de la guerre au
Vietnam.36 »
En conclusion, l'exemple des sociétés militaires
privées anglo-saxonnes nous apprend que la frontière entre le
monde des entreprises et celui des armées n'est pas étanche. De
multiples coopérations sont possibles. De façon étonnante,
alors que la plupart des spécialistes français du milieu
défense s'accordent pour une externalisation « raisonnée
», c'est-à-dire une externalisation qui ne concerne pas des
domaines jugés stratégiques, il faut constater que les
Anglo-Saxons n'hésitaient pas, dès les années 1940,
à sous-traiter à des sociétés privées des
missions hautement sensibles. Toutefois, il faut concéder que dans le
cas des SMP anglaises et américaines, les dirigeants sont toujours des
vétérans et souvent d'anciens officiers supérieurs. Dans
ces conditions, l'externalisation en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ne doit
pas être vue comme un processus irréfléchi mais
plutôt comme une possibilité d'élargissement des moyens
d'actions en matière de défense et de sécurité
nationale.
Parallèlement, la France a également eu recours
à des mercenaires après la Seconde Guerre mondiale. De
façon étonnante, cet épisode n'a pas
débouché, comme dans le cas de la Grande-Bretagne et des
Etats-Unis, sur l'établissement d'un véritable réseau
d'entreprises privées de sécurité et de défense. Le
futur développement essaiera donc d'établir pourquoi le
modèle français n'a pas suivi la même trajectoire que ses
cousins anglo-saxons.
35 CHAPLEAU Philippe, Sociétés
militaires privées. Enquête sur les soldats sans
armées, Le Rocher, Monaco, 2005, p. 70.
36 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 57-58.
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