B) D'André Malraux à Jacques Doriot : la
figure du volontaire international
« Je vois dans l'Europe une barbarie attentivement
ordonnée, où l'idée de la civilisation et celle de l'ordre
sont chaque jour confondues. », André Malraux, La Tentation de
l'Occident, 1926
a) André Malraux
Si Garibaldi fut le héros du Nouveau Monde et de
l'Ancien, Malraux fut certainement le héros de l'antifascisme et de la
culture. En effet, celui qui obtint le prix Goncourt pour La Condition
humaine en 1933 s'engagea concomitamment dans le mouvement antifasciste.
Et il ne s'agissait pas ici d'une posture que tant d'autres écrivains
ont pu se donner à un moment donné de leur carrière. Pour
citer Cary Grant dans Notorious (1946) d'Alfred Hitchcock :
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Actions speak louder than words29. Ainsi,
lorsque la guerre d'Espagne éclata en 1936, opposant le camp des
nationalistes à celui des républicains, Malraux organisa et prit
le commandement d'une escadrille internationale appelée
España, jusqu'en février 1937. Il l'a fit équiper
d'une vingtaine de Potez 540 et en prit la tête au rang de colonel. Par
ailleurs, même s'il ne pilota pas, Malraux participa aux combats
aériens et aux bombardements avec un courage incontesté, et
permettra aux républicains espagnols d'attendre l'arrivée des
brigades internationales. Le héros intellectuel était devenu
homme de guerre, et il poursuivra son effort pour la cause républicaine
par la littérature (cf. L'Espoir, 1937), les conférences
et le cinéma. Enfin, la victoire finale de Franco n'ôtera pas
à l'intervention des volontaires français dans la guerre
d'Espagne son caractère emblématique.
b) Jacques Doriot
Parallèlement, un autre Français s'engagea comme
volontaire international, mais du côté du fascisme cette fois-ci.
Il alla même jusqu'à y laisser sa propre vie. Il s'agit de Jacques
Doriot, dont l'histoire a peut-être trop vite oublié le nom, sans
doute parce qu'il était de gauche (comme Marcel Déat
30 d'ailleurs) et que dans l'inconscient collectif français,
les collaborateurs ne pouvaient qu'être de droite, et même
plutôt d'extrême-droite31. Après la
défaite française, l'ancien membre du comité central du
Parti Communiste français se prononça pour la collaboration avec
l'Allemagne et condamna les réticences du gouvernement de Vichy. Intime
de l'ambassadeur allemand en France Otto Abetz, Jacques Doriot fonda avec
Marcel Déat la Légion des volontaires français contre le
bolchevisme (LVF) et partit combattre sous l'uniforme allemand sur le front de
l'Est en septembre 1941. Il servit dix-huit mois au total pour l'Allemagne
nazie et fut décoré de la Croix de fer.
29 « Les actions parlent plus que les mots. »
30 Agrégé de philosophie, auteur du
célèbre article « Mourir pour Dantzig ? » publié
le 4 mai 1939, Marcel Déat devint le fondateur en 1941 du Rassemblement
national populaire, parti collaborationniste se déclarant socialiste et
européen.
31 Il s'agit là d'une opinion commune
partagée par beaucoup. Heureusement pour la vérité
historique, l'Israélien Simon Epstein a montré dans Un
paradoxe français : Antiracistes dans la Collaboration,
antisémites dans la Résistance (2008) que les choses
étaient plus complexes que cela. Par ailleurs, l'autobiographie de
Daniel Cordier (Alias Caracalla, 2009) raconte très bien
comment on pouvait à la fois appartenir à l'Action
française et terminer dans la Résistance comme secrétaire
de Jean Moulin.
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Au final, les deux exemples cités
précédemment montrent bien que la distinction entre le mercenaire
et le soldat de fortune/volontaire international ne va pas de soi. En effet,
s'il est difficile de voir dans la conduite d'André Malraux celle d'un
mercenaire, il faut alors dire la même chose dans le cas de Jacques
Doriot. C'est pourquoi, il serait très dangereux de voir dans le
volontaire international la figure désintéressée voire
vertueuse du mercenaire.
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