L'engagement unilateral( Télécharger le fichier original )par Ramsès VOUGAT Université de Ngaoundéré (Cameroun) - Master II 2010 |
CHAPITRE 2 : LA MISE EN OEUVRE DE L'ENGAGEMENT UNILATERAL102. Nous avons pu constater que l'engagement unilatéral est un acte de volonté dont la nature juridique influence considérablement les règles de sa formation. Mais limiter l'étude de la spécificité du régime juridique de l'engagement unilatéral à sa seule formation, c'est faire oeuvre incomplète. Il est tout aussi important d'examiner, sans prétendre à l'exhaustivité, certains aspects du régime juridique de l'obligation unilatérale qui sortent de l'ordinaire du contrat. En effet, l'acte de volonté unilatérale donne naissance à une obligation qui, elle-même, est unilatérale. Elle est marquée du sceau de l'irrévocabilité et sa densité est étroitement liée à celle de la volonté de son auteur. L'obligation ainsi créée est appelée à se déployer (Section 1); même si elle peut perdre de son efficacité (Section 2). De toute façon, ces deux aspects de la mise en oeuvre de l'engagement unilatéral présentent quelques particularités sur lesquelles nous nous attarderons. SECTION 1 : L'EFFICACITE DE L'ENGAGEMENT UNILATERALL'engagement unilatéral donne naissance à une véritable obligation qui ne peut être révoquée, qui se transmettra aux héritiers et qui, surtout, devra être exécutée parce que dotée d'une force obligatoire (paragrapheI). En cas d'inexécution, l'on devra raisonner en termes de sanctions à infliger au débiteur (paragrapheII). Paragraphe 1 : La force obligatoire de l'engagement unilatéralLa particularité de l'engagement unilatéral est de faire naitre une obligation indépendamment de la volonté du créancier. Cette obligation est dotée d'une force obligatoire certaine (B). Mais en vertu de quoi est-elle irrévocable ? (A). A- Réflexions autour des fondements de l'irrévocabilité de l'engagement unilatéral103.Depuis toujours, l'on s'interroge sur les fondements de la force obligatoire de l'engagement unilatéral. Autrement dit, qu'est ce qui justifie qu'une volonté qui a le pouvoir de créer, par elle seule, une obligation ne puisse la révoquer? 104.Premièrement, l'on pourrait faire reposer l'engagement unilatéral sur la théorie de l'autonomie de la volonté. En effet, l'engagement unilatéral serait irrévocable à raison de la toute puissance de la volonté. Tout individu, par sa seule volonté, a le pouvoir de s'obliger et c'est parce qu'il l'a voulu qu'il en est tenu. Or, procéder ainsi serait donné fatalement à la volonté pure une pareille autonomie pour se délier. Ce qui enlève tout intérêt à la théorie de l'engagement unilatéral. L'on admet aujourd'hui que la volonté n'est créatrice que si elle est soutenue par la norme objective du droit. Mais à raison de quoi la loi confèrerait-elle force obligatoire à l'engagement unilatéral ? 105. Pour certains auteurs169(*), on pourrait admettre qu'on ne peut se libérer unilatéralement d'un engagement parce que cela créerait un trouble social. C'est la vision sociale du droit reprise par M. SERIAUX170(*). Selon cet auteur, la fidélité à soi ne saurait expliquer la force juridique de la promesse car le droit ne s'occupe que de l'altérité à autrui. Dès lors, le seul moyen pour fonder la valeur juridique d'une promesse unilatérale non acceptée par son destinataire consiste à se référer à l'espérance légitime171(*)qu'elle a pu faire naitre chez les tiers172(*). Ce n'est que lorsque la promesse fut faite avec forte assurance que ceux qui ont eu connaissance seront en droit d'escompter que la prestation promise leur sera due « en stricte justice »173(*), c'est-à-dire, au fond, plus l'engagement semblera formel plus son destinataire croira en son exécution et plus son émetteur sera tenu de l'exécuter. C'est dans ce sens que s'est lancé la jurisprudence. En effet, dans un arrêt du 14 février 1996, la Cour d'Appel de Toulouse174(*), pour consacrer l'existence d'un engagement unilatéral né de la propagande publicitaire d'une société commerciale, s'est attaché à souligner que les promesses faites étaient « précises et ostensiblement affichées » ; fondant ainsi la croyance légitime du destinataire en leur exécution175(*). À ce niveau, on se bute à une difficulté : qu'en est-il de l'hypothèse où le créancier ignorait l'existence de sa créance ? 106.L'on pourrait dans ce cas faire un détour par les idées de Mme FRISON- ROCHE176(*). Selon elle, la limite suffisante à la volonté pure dans un engagement unilatéral viendrait d'un obstacle qui est interne à celui qui émet l'engagement. « Si le droit accueille l'engagement unilatéral, ce n'est pas par expansion du pouvoir de la volonté. L'idée est que l'intérêt est une forme de sagesse, qui, d'une façon alternative au droit, préserve de la folie de la volonté pure »177(*). C'est un fondement qui se justifie au regard d'une analyse économique du droit. En tout cas, lorsque l'engagement devient obligatoire, le créancier pourra exiger son exécution. * 169B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Obligations : Contrat, 6e éd., Litec, 1998, n° 58, p. 22. * 170 A. SERIAUX, « L'engagement unilatéral en droit positif actuel », in l'unilatéralisme et le droit des obligations, n° 4, p.10. * 171 C'est dans ce sens que se situe le projet d'Acte Uniforme sur le droit des contrats. L'art. 2/4 énonce : «l'offre ne peut être révoquée(...) b) si le destinataire était raisonnablement fondé à croire que l'offre était irrévocable et s'il a agi en conséquence ». * 172 C'est la conception également défendue par E. Dockès, « L'engagementunilatéraldel'employeur », Dr. Soc. 1994, p.231 et s.; J. Savatier, Dr. Soc. 1986.893. * 173 A. SERIAUX, art. cit., n°6, p.11. * 174 CA Toulouse, 14 Févr. 1996, Contrats Con. Cons. 1996, affaire SA FDS c. Fonvieille. * 175 La jurisprudence sociale statue aussi dans ce sens. V° E. Dockès, art. préc., p.231 et s.; Adde : Soc. 16 Déc. 1976, Bull. civ. V, n° 680 : Soc. 20 Juin 1984, Bull. civ. V, n° 257. * 176 M.-A. FRISON-ROCHE, « Volonté et obligation », in Arch. phil. droit 44 (2000) : L'Obligation, pp. 129-151. * 177 Ibid., n°s 81-82, p.147 : l'auteur fonde son analyse sur l'idée selon laquelle c'est par le droit des affaires que les engagements unilatéraux se sont développés. L'évolution de l'unilatéralisme en droit coïncide avec la montée en puissance des théories économiques et de l'implantation de son concept de rationalité en droit. |
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