L'engagement unilateral( Télécharger le fichier original )par Ramsès VOUGAT Université de Ngaoundéré (Cameroun) - Master II 2010 |
SECTION I : LES OBJECTIONS INTRINSEQUES A L'ENGAGEMENT UNILATERALEn dépit du succès fulgurant qu'a connu la théorie de l'engagement unilatéral, elle n'en a pas moins fait l'objet de considérables objections çà et là. Ces dernières ont trait premièrement à la substance même de l'engagement unilatéral. En effet, il est d'abord présenté comme un engagement qui donne naissance à une obligation incompatible avec les postulats d'une obligation juridiquement valable (I). Ensuite, selon des auteurs, l'engagement unilatéral, dans sa mise en oeuvre pourrait présenter d'énormes difficultés (II). Paragraphe I : L'incompatibilité de l'engagement unilatéral avec la théorie de l'obligationSelon les détracteurs de l'engagement unilatéral, la volonté unilatérale ne saurait à elle seule être une source d'obligations. Elle donnerait naissance à des obligationsincompatibles avec la théorie générale de l'obligation. Il en est ainsi soit parce quel'obligation ainsi créée est sans créancier (A), soit parce que sa révocation est soumise à la volonté d'une personne à l'acte (B). A- L'engagement unilatéral, une obligation sans créancier15. L'engagement unilatéral est défini comme une obligation unilatérale qui naît de la seule manifestation de volonté de son auteur; l'acceptation du créancier n'étant pas nécessaire pour son efficacité. Delà, ses adversaires affirment qu'il donnerait naissance à une obligation dépourvue de créancier car entre son émission et son acceptation, la promesse unilatérale serait détachée du débiteur et non encore rattachée au créancier. Or, une telle obligation serait donc incompatible avec l'obligation juridique valable qui est un lien interpersonnel entre un débiteur et un créancier. C'est la thèse défendue par M. CHABAS31(*) et MARTIN DE LA MOUTTE32(*). L'engagement unilatéral engendrerait donc une situation absurde. L'exemple type est la promesse de récompense où le promettant se trouverait, pendant un certain temps, tenu d'une dette envers une personne inconnue. Une telle objection manque de pertinence car elle peut être contrecarrée par deux arguments. 16.D'abord, et c'est généralement le cas, la promesse est souscrite au profit d'une personne déterminée qui en est le créancier au moment où son auteur émet son consentement. Et même si son acceptation n'est pas requise pour la création de l'obligation, il ne pourra en être forcé de la requérir car il a la possibilité de la répudier. C'est le cas d'une offre faite à personne déterminée. De même, si le créancier n'est pas nommémentdésigné, il suffit qu'il puisse être déterminablecar ce qui serait absurde c'est une obligation qui, au stade de sonexécution, n'aurait pas de créancier déterminé; « l'infortunédébiteur ne saurait alors entre quelles mains payer »33(*). Ensuite, il convient de rappeler que la notion de créancier virtuel n'est pas propre à l'engagement unilatéral. Elle se rencontre dans de nombreuses institutions juridiques dont la validité n'est pas mise en cause. Ainsi, en va-t-il de la stipulation pour autrui au profit d'une personne indéterminée ou d'une personnefuture34(*), d'une offre faite au public etc. 17.Outre le fait que l'argument tiré de l'inexistence d'un créancier est trop général, il est également inopérant à l'aune d'une nouvelle conception de l'obligation. En effet, depuis 1962, MARTY et RAYNAUD35(*) appelaient à une conception plus objective de l'obligation. Cetteidée fut reprise par M. RIEG qui proposait, quant à lui, un dépassement du droit romain, suggérant que l'on puisse concevoir un rapport d'obligation dans lequel le créancier serait « provisoirement inconnu de manière nominative »36(*). Si ces auteurs le disaient avec beaucoup d'hésitations, aujourd'hui l'on s'achemine vers une conception objective de l'obligation qui tend à se détacher de la personne des parties et devenir ainsi un bien doté d'une valeur propre. C'estce qui justifie aujourd'hui que l'on admette plus facilement les cessions de créance sans que le consentement du débiteur cédé soit nécessaire. Le parallèle peut être fait avec le contrat.37(*) L'engagement unilatéral ne crée donc pas une obligation sans créancier. Une telle objection est inopérante au même titre que celle qui tient à la potestativité de l'obligation. * 31J. CHABAS, De la déclaration de volonté en droit civil français, Thèse, Paris 1931, p.146. * 32 J. MARTIN DE LA MOUTTE, L'acte juridique unilatéral, Thèse, Toulouse 1951, n° 288, p.267. Selon l'auteur, « comment peut- on alors raisonnablement parler d'obligation au sens juridique du terme, notion dont l'essence est traditionnellement constituée en une prestation qu'un individu doit à un autre ». * 33 Ph. JESTAZ, op. cit.,p.12. * 34Il y a stipulation pour autrui au profit d'une personne future que si le bénéficiaire n'est pas conçu au jour de la stipulation comme dans les assurances vie. Dans ce cas, la règle infans conceptus implique l'efficacité de la stipulation faite au profit d'un enfant simplement conçu. * 35 G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, les obligations, t.1, Les sources, par P. RAYNAUD, 1e éd., 1962, n° 317, p. 277. * 36 A. RIEG, Le rôle de la volonté dans l'acte juridique en droit français et allemand, Thèse, Strasbourg 1961, n° 445, p.448. * 37 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats », RTD Civ.1997. 357, p.5 et s. |
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