B. Le jugement et l'expertise
Au vu des éléments du dossier du patient, le
juge de la liberté et de la détention peut soit ordonner le
maintien du patient en hospitalisation complète, soit ordonner la
mainlevée de la mesure. En outre, la loi du 5 juillet 2011 introduit la
faculté pour le juge de différer de vingt quatre heures la prise
d'effet de sa décision62. Cet effet différé
vise à éviter un brusque arrêt des soins dans les cas
où la poursuite de soins en ambulatoire est malgré tout
nécessaire au patient. Il convient dès lors d'établir un
programme de soins. Toutefois, le juge n'a pas le pouvoir de contraindre
l'établissement de santé ou le préfet à instaurer
ce programme de soins63. Si ce dernier n'est pas établi, le
patient doit quand même se maintenir dans l'établissement pendant
vingt-quatre heures.64 A l'issu de ce délai, la mesure
d'hospitalisation complète prend fin et le patient peut sortir de
l'établissement.
S'est posée la question de la responsabilité
dans le cas où le patient, à défaut d'un programme de
soins ou lorsque le juge a levé la mesure, sort de l'hôpital et
récidive. Le psychiatre qui a refusé d'établir un
programme de soins ne peut pour sa part être tenu pour responsable
puisque la loi ne l'oblige pas explicitement à l'établir. Par
ailleurs, le patient peut aussi le refuser.
Pourrait-on engager la responsabilité du juge des
libertés et de la détention ? La faute du juge judiciaire a
été peu à peu absorbée par le «
dysfonctionnement du service de la justice ». En vertu de l'article
L.141-1 du Code de l'organisation judiciaire, il est possible
61 Article L.3211-12-1 IV du Code de la santé
publique.
62 Article L.3211-12 du Code de la santé
publique.
63 Circulaire du 21 juillet 2011 relative à
la présentation des principales dispositions de la loi n°2011-803
du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes
faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise
en charge et du décret n°2011-846 du 18 juillet 2011 relatif
à la procédure judiciaire de mainlevée ou de
contrôle des mesures de soins psychiatriques.
64 En pratique, beaucoup de psychiatres refusent
d'élaborer un programme de soins dans le cadre de l'effet
différé de mainlevée, se sentant « contraints »
par le juge.
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d'engager la responsabilité de l'Etat pour
fonctionnement défectueux du service de la justice, mais uniquement en
cas de faute lourde ou de déni de justice. En cas d'erreur
d'appréciation par le JLD, cette faute, bien que personnelle, est
rattachable à l'activité judiciaire de service public, l'action
doit donc être intentée contre l'Etat. Toutefois, cette erreur
d'appréciation ne saurait être considérée comme une
faute lourde, celle-ci étant défini par la Cour de cassation
comme « soit celle qui a été commise sous l'influence
d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat normalement soucieux de
ses devoirs n'y aurait pas été normalement entraîné,
soit celle qui révèle l'animosité personnelle, l'intention
de nuire ou qui procède d'un comportement anormalement déficient
».65 Au vu de ces critères d'appréciation,
il nous semble peu probable de pouvoir engager la responsabilité de
l'Etat dans cette situation.
La loi prévoit néanmoins la possibilité
pour le juge de demander une expertise. Notons que la circulaire du 21 juillet
2011 insiste sur la subsidiarité des expertises, et sur la
prédominance des informations contenues dans les documents
médicaux figurant au dossier du patient. La circulaire se
réfère à l'article 147 du Code de procédure civile
relatif aux mesures d'instruction pouvant être ordonnées par le
juge et qui précise que « le juge doit limiter le choix de la
mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s'attachant
à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux. ».
Lorsque cela est possible, le juge doit donc privilégier
l'étude des certificats médicaux contenus au dossier. De plus,
les juges de la liberté et de la détention relèvent une
certaine difficulté à obtenir des expertises, les experts
étant souvent débordés et dans l'impossibilité de
rendre leur rapport dans les délais fixés par les textes. Il
arrive ainsi régulièrement que le juge contacte plusieurs experts
qui tous refusent la mission.66
Par ailleurs, pour des raisons d'impartialité et de
déontologie évidentes, les experts désignés par le
juge67 ne peuvent exercer dans l'établissement d'accueil du
patient.68
Dans le cadre de la saisine systématique du juge, les
experts ont dix jours pour remettre leur rapport, le juge
bénéficiant du même coup d'un délai de quatorze
jours pour statuer.
65 Ass.Pl. 23 février 2001 n°99-16165.
66 Informations recueillies auprès d'un JLD
du TGI de Lille. Exemple d'une ordonnance JLD du TGI de Lille en date du 20
juin 2012, dans laquelle le juge mentionne avoir contacté sept experts
psychiatres aux fins d'évaluer la persistance d'une pathologie
médicale et d'un éventuel danger pour la personne soignée
ou pour les tiers. Aucun psychiatre n'était disponible compte tenu des
délais imposés par la loi.
67 Les règles de droit commun sont applicables
à la désignation des experts.
68 Article L.3211-13 et L.3211-30 du Code de la
santé publique.
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A l'audience, le patient est entendu dans le cadre d'un
débat contradictoire et public lorsque celui-ci est en mesure de se
déplacer.69Le patient est alors en droit d'être
assisté d'un avocat choisi par lui ou commis d'office. Le principe
étant que la personne qui fait l'objet d'une mesure de soins sans
consentement doit être entendue par le juge, si ce patient ne peut
être entendu en raison de son état de santé, il doit
impérativement être représenté par un avocat. De
même, si le patient n'a pu être transféré au
tribunal, le juge ne peut statuer en son absence, sauf si le patient a
expressément donné son accord pour être
représenté par un avocat.70
Enfin, l'ordonnance est notifiée aux parties
présentes à l'audience, à l'établissement, au
préfet dans le cas d'une SDRE, ainsi qu'au ministère public. Elle
est susceptible d'appel dans les dix jours à compter de sa notification,
devant le premier président de la cour d'appel qui doit rendre sa
décision dans les douze jours de l'appel, délai porté
à vingt-cinq jours en cas de demande d'expertise.
Toutefois, le ministère public peut demander à
ce que le recours soit suspensif : le patient étant alors maintenu dans
l'établissement jusqu'à ce que le président de la cour
d'appel statue sur la demande d'effet suspensif, le délai d'appel est
donc réduit à six heures. Le président de la cour d'appel
dispose ensuite d'un délai de trois jours pour examiner la question, et
de quatorze jours s'il a recours à une expertise.
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