ANNEXE III
En pyjama devant monsieur le juge, Article de FAVEREAU
(E) du journal Libération, 25
octobre 2011
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SOCIÉTÉ
En pyjama devant monsieur le juge
25 octobre 2011 à 00:00
REPORTAGE Voilà plus de deux mois que la loi
oblige la justice à se prononcer sur la prolongation des
hospitalisations psychiatriques sous contrainte. Le bilan est
mitigé.
Par ÉRIC FAVEREAU
C'est une révolution dans le monde de l'hospitalisation
psychiatrique. Depuis le 1er août, une loi oblige le juge des
libertés et de la détention (JLD) à intervenir lors d'une
hospitalisation contre la volonté du patient. Au bout de deux semaines,
il doit décider de la prolongation ou non de l'hospitalisation
(Libération du 2 août). Ce changement, voulu par le
Conseil constitutionnel, est hautement symbolique car il ouvre la porte
à la judiciarisation de la psychiatrie, une évolution largement
souhaitée par les uns, violemment critiquée par d'autres.
Deux mois après son entrée en vigueur, le bilan
est mitigé. Avec, d'un côté, des juges qui semblent se
prendre au jeu, et, de l'autre, des psychiatres qui font le dos rond.
«Un regard extérieur ? Pourquoi pas ! Cela ne nous fait pas de
mal», lâche le Dr Mesure, chef du pôle de
psychiatrie à l'hôpital d'Eaubonne (Val-d'Oise). En l'occurrence,
il parle du regard de Jean-Marc Heller, vice-président du tribunal de
Pontoise et JLD. Avec sa collègue Isabelle Rome, il a pris cette loi
à coeur.«Toute privation de liberté mérite un
regard juridique. Et cela me paraît entrer tout à fait dans mes
fonctions. Ce n'est pas parce que l'on est malade que l'on doit être
traité différemment», analyse-t-il.
Drap blanc. Le législateur a
prévu trois possibilités pour les audiences : soit le juge se
déplace à l'hôpital, soit le patient se rend au palais de
justice, soit on utilise un système de vidéoconférence.
«C'était vraiment plus simple que nous nous
déplacions», estime Jean-Marc Heller. Alors il vient. Une fois
par semaine. «Avec ma collègue, nous nous sommes réparti
tous les hôpitaux qui dépendent de nous. Il y en a sept, et donc,
toutes les semaines, nous nous y rendons, cela nous prend à chaque fois
une demi-journée pour l'audience.»
Ce mardi matin, le tribunal de Pontoise a donc pris place
salle Africa, un lieu habituellement réservé à
l'ergothérapie, dans l'hôpital de jour du secteur de psychiatrie.
La salle est prête. Un drap blanc a été posé sur une
table, et des chaises ont été disposées pour accueillir un
hypothétique public. «J'ai décidé que ce serait
à huis clos, explique le juge qui vient d'arriver avec sa
greffière. Il y a le secret médical, et la Cour
européenne des droits de l'homme nous attaquerait si les audiences
étaient publiques.» Dans d'autres endroits, les audiences sont
publiques.
Ce matin-là, cinq «cas» sont
étudiés. Chaque patient arrive, accompagné, pour ne pas
dire surveillé, par deux aides-soignantes. Un détail ? Ils sont
tous habillés de la même façon. En
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pyjama. Marron. Un pyjama moche comme tout. Bizarrement, nul
ne le remarque. Le juge a fait, lui, bien attention à mettre sa robe de
magistrat.
Surgit un homme âgé d'une soixantaine
d'années. Il attend patiemment son tour, se plaint de ne pas avoir
d'argent, de ne pas pouvoir s'acheter des cigarettes. L'audience va durer un
petit quart d'heure, puis le juge délibère. Retour du malade. Le
juge lui notifie «en public» que son hospitalisation est
prolongée. «Cela veut dire que je
reste»,maugrée-t-il. L'homme se lève aussitôt,
furieux, ne discute plus, refuse de signer le papier qu'on lui tend. Le juge,
à l'adresse du cadre de santé : «C'est bien qu'il
s'exprime, même par la colère. En tout cas, vous lui direz qu'il a
la possibilité de nous ressaisir.»
Le juge, encore : «Je ne suis pas médecin.
Durant l'audience, j'essaye de comprendre le diagnostic, puis je discute avec
le malade. Ce dialogue est fondamental, j'essaye de sortir de la contradiction
et de l'amener à accepter le soin plutôt que de le
subir.»
Dehors, un patient traîne dans le couloir. Il est venu
pour soutenir une «collègue», une jeune fille
hospitalisée qui va passer devant le juge.«La voir, c'est un
rayon de soleil. Regardez comme elle est maintenant, totalement éteinte.
J'aimerais qu'elle soit libre, ce serait un moment de beauté.»
La jeune fille attend la fin du délibéré, puis
retourne dans la salle. Le juge : «J'ai décidé de
maintenir à votre encontre l'hospitalisation sous contrainte.»
«Mais pourquoi ?» articule-t-elle. «C'est sur la base
des traitements, l'équipe médicale estime que cela vous est
nécessaire, je ne suis pas médecin»,
répète-t-il, avant de lui dire qu'elle peut écrire
pour un recours. Puis il lâche, sans ironie aucune : «Il ne me
reste plus qu'à vous souhaiter un prompt rétablissement.»
«Je peux faire appel ?» l'interroge-t-elle. «Oui, vous
avez dix jours.»
«Sous-effectif». Ainsi passe la
matinée. A l'hôpital d'Eaubonne, cela ne marche pas trop mal.
Ailleurs, c'est à la carte. A l'hôpital de Ville-Evrard, à
Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), un des plus gros établissements
psychiatriques de France, la situation est tendue. Les juges refusent de se
déplacer, et bon nombre de psychiatres estiment que le transfert de
leurs malades vers le tribunal n'est pas «thérapeutique».
«C'est une loi épouvantable, déclare le Dr Evelyne
Lechener, qui dirige un secteur à Ville-Evrard. Elle occasionne une
surcharge de travail, on multiplie le nombre de certificats, sans aucun
bénéficie pour le patient, alors que l'on est déjà
en sous-effectif.» Ici, les médecins écrivent sur le
dossier que leurs patients «ne sont pas
transportables».«Beaucoup, surtout ceux qui ont un passé
judiciaire, ont peur. Alors je dis "auditionnable et non transportable"»,
insiste Evelyne Lechener. L'audience se tient au tribunal, mais sans les
malades et en présence d'un avocat commis d'office. Le juge tranche ou
demande une expertise.
A l'hôpital Sainte-Anne, à Paris, on conduit les
malades au Palais de justice. A l'hôpital d'Esquirol, à
Saint-Maurice (Val-de-Marne), le malade se déplace aussi : «Il
faut un chauffeur, deux aides-soignants, raconte le Dr Vidon, chef
de secteur. C'est une dépense stupide. Je trouve
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qu'il vaut mieux transporter des magistrats en bonne
santé à l'hôpital que d'accompagner des malades en
souffrance au palais de justice.»
A Marseille, les malades doivent eux aussi se
déplacer, accompagnés par deux aides-soignants. Et l'audience se
déroule dans un bâtiment judiciaire en préfabriqué,
accolé au centre de rétention des étrangers. «C'est
toute l'estime qu'on leur porte», lâche un psychiatre de
secteur.
Pourtant, les JLD, au départ plutôt
opposés à la loi, se mettent presque à la défendre.
A l'image de Claire Hoareau, vice-présidente du tribunal de grande
instance d'Evry (Essonne) : «Ici, on fait venir les malades au palais,
pas seulement pour des raisons pratiques, mais aussi symboliques. Il faut que
les malades sachent précisément où ils sont.»
Son avis sur son nouveau travail ? «Je trouve que ce n'est pas si
mal. On arrive à trouver notre place comme juge. On écoute les
malades, qui sont contents de venir parler, et c'est une bonne surprise.»
A-t-elle déjà fait des mainlevées ? «Ce
n'est pas très fréquent. Une fois, c'était un jeune qui
avait été hospitalisé pour un épisode
délirant. En le voyant et en l'écoutant, on se disait que ce
n'était pas franchement idéal pour un jeune de 20 ans de rester
à l'hôpital psychiatrique. Je l'ai fait sortir, mais c'est
rare.»
Délire. Dernière
possibilité, la vidéoconférence. La quasi-totalité
des secteurs de psychiatrie l'ont refusée, mettant en avant que le monde
des caméras n'était pas très utile au regard du
délire des grands malades mentaux. «Imaginer un grand
paranoïaque devant une caméra, c'est une folie»,
lâche le Dr Alain Mercuel (Sainte-Anne). A
l'hôpital psychiatrique de Prémontré (Aisne), la direction
est passée outre. «Ce n'est pas un choix, c'est une obligation
pour nous, nous sommes très excentrés. Le tribunal est trop
loin», explique Mme Julien, directrice
clientèle.
La loi s'applique, vaille que vaille, dépendant
beaucoup du bon vouloir des acteurs. Mais à Evry, comme à Paris
ou Marseille, aucun nouveau moyen n'a été dégagé.
«On est en train de s'adapter, note avec inquiétude
Virginie Duval, secrétaire générale de l'Union syndicale
des magistrats. Pour l'instant, la surcharge de travail est
absorbée... Mais jusqu'à quand ? Ce sont tous les autres dossiers
qui vont prendre du retard.»
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