§2 - Les aspects de la contrainte dans le
programme de soins : l'interprétation du Conseil constitutionnel
Parmi les dispositions contestées par la CRPA, le
régime des séjours en hospitalisation imposée dans le
cadre du programme de soins posait la question de la contrainte. La question
était la suivante : peut-on utiliser des mesures d'exécution
forcée sur le patient afin qu'il se soumette aux prescriptions contenues
dans le programme de soins ? Concrètement, on se demande si l'on peut
forcer un patient à suivre une psychothérapie, à prendre
un traitement ou à se maintenir en hospitalisation un certain nombre
d'heures dans la journée. S'il est acquis que la personne prise en
charge en
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hospitalisation complète ne peut refuser les soins que
ses troubles requièrent, il n'en va pas nécessairement de
même pour la personne en soins ambulatoires, d'autant plus que les
mesures de soins alternatives ne font pas l'objet d'aucun contrôle de la
part du JLD.
Dans sa décision du 20 avril 2012112, le
Conseil considère que les dispositions de l'article L.3211-2-1 du Code
de la santé publique ne sauraient autoriser l'exécution du
programme de soins sous la contrainte. Qui plus est, le législateur a
prévu que l'avis du patient doit être recueilli avant la
définition du programme de soins et avant toute modification de celui-ci
: il s'agit donc bien de rechercher l'adhésion du patient aux soins.
L'esprit du texte, et plus largement de la réforme qui a permis
d'instaurer des modalités de soins plus respectueux de la volonté
et de la liberté du patient, n'est pas d'imposer les soins par la force.
Il s'agit plutôt d'établir une relation thérapeutique de
confiance, et d'amener le patient à se responsabiliser face à sa
maladie.
Il ressort de cette interprétation que certes, le
régime des soins psychiatriques ambulatoires constitue une obligation de
soins, mais ne permet pas une obligation de soins par la contrainte. Le Conseil
constitutionnel estime ainsi que cette obligation de soins « a
été conçue pour passer outre l'incapacité du malade
à consentir à un protocole de soins, mais non pour briser par la
force son éventuel refus de s'y soumettre. » Il s'agit en
quelque sorte de poser une limite au caractère obligatoire des soins :
on se passe de la volonté et du consentement du patient de faire l'objet
de soins, mais on n'utilise pas pour autant la contrainte physique pour mettre
en oeuvre ces soins. C'est le motif par lequel le Conseil justifie l'absence
des mêmes garanties que celles prévues pour l'hospitalisation
complète, qui elle peut être mise en oeuvre par la force physique.
La seule possibilité de réellement contraindre le patient
à se soigner est donc de préalablement transformer la prise en
charge en hospitalisation complète qui permettra alors d'administrer les
soins par la contrainte113. C'est d'ailleurs dans ce sens que vont
les dispositions règlementaires qui du même coup, confortent
l'idée selon laquelle on ne peut imposer les soins par la force dans le
cadre d'un programme de soins. L'article R.3211-1 du CSP prévoit en
effet que le psychiatre peut demander le passage du programme de soins à
l'hospitalisation complète « notamment en
112 Cons. const., décision n°2012-235 QPC du 20 avril
2012 CRPA.
113 Article L.3211-11 du Code de la santé publique.
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cas d'une inobservance de ce programme susceptible
d'entrainer une dégradation » de l'état de santé
du patient.
Le seul problème concret qui se pose d'ores et
déjà aux établissements de santé est de parvenir
à réintégrer un patient en hospitalisation complète
lorsque son comportement ne permet plus de prodiguer les soins
nécessaires à son état, quand ce même patient s'est
volatilisé. En effet, il arrive que des patients ne se présentent
pas aux rendez-vous avec leur psychiatre ou refusent de recevoir les soins
à leur domicile. Dès lors, comment faire pour les obliger
à revenir à l'hôpital afin de décider si la
réhospitalisation est nécessaire et d'ailleurs, peut-on vraiment
le transporter jusqu'à l'établissement en utilisant la contrainte
alors que justement, celle-ci est exclue à l'égard des patients
pris en charge dans le cadre d'un programme de soins ?114 Autant de
questions devenues sans réponse depuis la décision du Conseil
constitutionnel du 20 avril 2012, sources d'insécurité juridique.
Celles-ci mériteraient de faire l'objet d'une intervention
législative ou règlementaire dans le cadre des quelques «
retouches » qui devront être apportées à la loi du 5
juillet 2011.
En outre, on peut se demander si la formule « soins sous
contrainte » pour désigner le programme de soins est bien
adaptée. Il semble en effet contradictoire de parler d'obligation de
soins alors même qu'on ne peut obliger le patient à se soumettre
aux soins. Une obligation ne laisse-t-elle pas supposer la contrainte ? C'est
pour cette raison que certains auteurs proposent de faire basculer le
dispositif des soins alternatifs dans le régime des soins libres, afin
de clarifier sa nature. En effet, étant donné qu'il s'agit
finalement de mesures de soins ne pouvant être exécutées
par la force, et donc a contrario, à laquelle les patients
doivent consentir, il paraîtrait logique de les intégrer dans le
corpus législatif consacré aux soins psychiatriques libres.
La majorité des commentateurs saluent néanmoins
la décision du Conseil constitutionnel, notamment en ce que cette
exclusion de la contrainte dans le cadre du programme de soins permet de
solutionner quelques inquiétudes telles que l'atteinte à la vie
privée. En effet, le programme de soins pouvant prévoir les soins
à domicile, accepter
114 PANFILI (JM), Une première lecture juridique de la
décision du 20 avril 2012, site internet de l'association CRPA, 6
mai 2012.
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l'utilisation de la force par les soignants revenait à
admettre la violation de domicile et de la vie privée du patient, ce qui
aurait laissé présager une infinie quantité de recours de
la part des patients...
Ainsi, l'avenir du dispositif des soins ambulatoires sans
consentement semble aujourd'hui quelque peu incertain. Il reste très
critiqué par de nombreux professionnels de la santé, pour
lesquels il paraît irréaliste et inefficace d'un point de vue
thérapeutique de concilier absence de consentement et soins
ambulatoires. Pour autant il est tout de même admis que ces modes
alternatifs de soins psychiatriques constituent une avancée
spectaculaire au regard de la protection des droits et libertés des
patients, que la loi du 5 juillet 2011 a entendu renforcer.
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