DEUXIEME PARTIE : LES DIFFICULTES PRATIQUES DE MISE
EN OEUVRE DE LA LOI DU 5 JUILLET 2011
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L'objectif affiché de la réforme des soins
psychiatriques était de renforcer les droits fondamentaux et la
liberté individuelle des patients faisant l'objet de soins sans
consentement. Afin notamment de prévenir le risque d'arbitraire, le
législateur a confié le rôle de contrôle des
décisions administratives au juge judiciaire. Ce contrôle fait
l'objet de vives critiques notamment ce qu'il n'est systématique
qu'à l'égard des mesures d'hospitalisation complète,
considérant que « l'internement » est la seule modalité
réellement liberticide. Pour autant, nombreux sont ceux qui
s'interrogent sur la potentielle atteinte à la liberté des
mesures de soins alternatives qui ne font, elles, l'objet d'aucune garantie
(CHAPITRE I). Par ailleurs, si le renforcement du rôle
du juge des libertés et de la détention est louable, la mise en
oeuvre pratique des nouvelles dispositions s'avère plus
compliquée que prévue. De nombreux obstacles essentiellement
d'ordre pratique viennent en effet contrarier l'application des textes. Pour
autant, des solutions existent que nous nous emploierons à proposer dans
la présente étude (CHAPITRE II).
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CHAPITRE I : ETAT DES LIEUX DE L'EFFECTIVITE DE LA
PROTECTION DES DROITS DES PATIENTS EN SOINS SANS CONSENTEMENT
Un an après la promulgation de la loi du 5 juillet
2011, le nouveau régime juridique des soins sans consentement en dehors
des murs de l'hôpital fait l'objet de beaucoup d'interrogations. La
majorité des auteurs considère que, même si ces modes de
soins alternatifs ne sont certes pas complètement privatifs de
liberté, ils emportent quand même une certaine restriction des
droits de ceux qui en font l'objet. Or, cette modalité n'est pas soumise
au contrôle systématique de l'autorité judiciaire, ce qui
pourrait selon certains observateurs, constituer une sérieuse lacune
dans l'arsenal législatif mis en oeuvre pour renforcer les droits et la
protection des patients faisant l'objet de soins sans consentement
(Section 1). En outre, hors les cas d'hospitalisation
complète pour lesquels les droits du patient sont nécessairement
restreints, l'esprit de la loi veut que les mêmes droits soient
accordés au patient en soins psychiatriques sans consentement
qu'à n'importe quel autre patient. Or, il s'avère très
difficile en pratique d'assurer le respect des droits d'un patient atteint de
troubles mentaux, et en particulier du sacrosaint droit à l'information
que la loi nouvelle a entendu réaffirmer avec force (Section
2).
Section 1 : Les modes de soins alternatifs, sujets à
critiques
L'accès aux modes alternatifs à
l'hospitalisation complète constitue sans nul doute un progrès
majeur dans la prise en charge des patients en soins psychiatriques. Pour
autant, dans sa grande majorité, la doctrine dénonce une certaine
atteinte aux libertés du patient alors même que ces mesures de
soins hors de l'hôpital ne font pas l'objet d'un contrôle
systématique par le JLD (§1). S'est
également posée la question de la nature et des aspects concrets
de la contrainte dans le cadre du programme de soins, incertitude à
laquelle le Conseil constitutionnel a récemment mis fin par une
décision qui a fait naître de nouveaux enjeux pour la pratique des
soins (§2).
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§1 - Les limites du programme de soins
Les modes de soins alternatifs, tout comme l'hospitalisation
complète, constituent une forme de soins sans consentement,
c'est-à-dire, des soins contraints (en théorie)109.
Pour autant, la loi ne prévoit pas de dispositif de contrôle ni de
protection contre les risques de dérives qui menacent cette forme
particulière de prise en charge.
Il est vrai que la vision commune que nous avons des soins
psychiatriques, a fortiori sans consentement, est celle d'individus
forcenés enfermés dans des centres ayant plus l'allure de prisons
que d'hôpitaux psychiatriques. Ces postulats sont au
21ème siècle, bien évidemment,
dépassés. Les établissements de santé mentaux sont
bien loin du centre de détention, et les personnes faisant l'objet de
soins restent bien des patients, et non des détenus. En outre, tous ne
sont pas « internés » dans l'établissement, la
majorité des patients bénéficie même de soins en
dehors de l'hôpital. Dans le cadre du programme de soins, les patients
peuvent n'être placés que sous hospitalisation partielle (de nuit
ou de jour, ou à certaines heures de la journée), soit venir
faire leurs soins et des activités dans les locaux de l'hôpital,
ou encore bénéficier de soins à domicile. Il existe ainsi
une large palette de possibilités, qui induisent une restriction de
liberté plus ou moins importante.
Le problème, c'est que certains professionnels de
santé contournent le principe même du programme de soins, qui est
bien de préserver au maximum la liberté d'aller et venir du
patient. En effet, on dénonce une pratique certes peu recommandable,
mais dont on comprend l'intérêt d'un point de vue administratif :
certains médecins élaborent un programme de soins en choisissant
l'hospitalisation à temps partiel mais en prévoyant que le
patient ne peut sortir que quelques heures pendant la journée. Il s'agit
ainsi d'esquiver purement et simplement le contrôle du juge des
libertés et de la détention puisque nous sommes dans le cadre
d'un programme de soins, non soumis à son contrôle. Cette pratique
permet à l'établissement et au personnel soignant un gain de
temps et d'argent considérable puisqu'il évite ainsi l'ensemble
des formalités administratives en vue de l'audience devant le JLD ainsi
que le transport du patient jusqu'au TGI qui requiert la présence de
deux infirmiers. Toutefois, ceci va totalement à l'encontre de l'esprit
de la loi
109 Voir infra : §2 de la présente Section
pour l'interprétation de la contrainte dans les soins ambulatoires.
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du 5 juillet 2011 qui vise d'une part, à mieux garantir
le respect des libertés et droits fondamentaux des patients, et d'autre
part, à favoriser leur réinsertion sociale via le programme de
soins.
Différents syndicats de psychiatres et de magistrats
dénoncent ainsi une réforme « rétrograde
» et « inapplicable ». S'exprimant sur la
réforme alors que celle-ci n'était encore qu'à
l'état de projet, une organisation professionnelle de psychiatres
considéra que « sans contrôle direct du juge et telle
qu'elle est présentée, imposée par protocole et
jusqu'à l'intérieur du domicile, cette forme de soins constitue
une extension inadmissible du contrôle étatique des populations
par une instrumentalisation de la psychiatrie. »110Ce
postulat serait toujours d'actualité, puisque les dispositions du projet
de loi relatives au programme de soins n'ont guère changé dans
leur essence.
Dans son avis sur les premiers effets de la réforme des
soins psychiatriques sans consentement sur les droits des malades mentaux, la
Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)111
s'inquiète de la mise en oeuvre de la réforme, notamment quant
à l'innovation que constituent les soins ambulatoires. Celle-ci reste
selon la commission « imprécise et comme inachevée
». Elle dénonce un certain flou entourant l'instauration des
modes alternatifs de prise en charge, flou qui pourrait bien présenter
un risque sérieux de dérives, comme nous l'avons exposé
précédemment. La commission craint ainsi que ne s'opère un
contournement des garanties prévues pour les hospitalisations
complètes. D'ailleurs, elle préconise l'instauration d'un
système de garanties identique à celui prévu pour ces
dernières, à savoir, un contrôle a posteriori par
le juge judiciaire du bien-fondé des mesures de soins psychiatriques
dans le cadre du programme de soins.
D'une manière réaliste, quoiqu'un peu
pessimiste, la CNCDH conclut son avis en constatant que la loi du 5 juillet
2011 a échoué dans son effort « de mettre fin au primat
de
110 Projet de loi AN, 1re lecture, 22 mars 2011, TA
n°623 Syndicats de psychiatres, USM, SM, 12 mars, communiqué.
111 Avis sur les premiers effets de la réforme des
soins psychiatriques sans consentement sur les droits des malades mentaux,
CNCDH, 22 mars 2012. La CNCDH est une institution nationale de promotion et de
protection des droits de l'homme. Elle assure auprès du gouvernement un
rôle de conseil et de propositions dans le domaine du droits de l'homme
et du respect des garanties fondamentales.
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l'enfermement » sur les modes alternatifs de
soins psychiatriques et que les droits des malades mentaux sont encore loin de
pouvoir s'exercer de manière satisfaisante.
La CNCDH n'est pas la seule organisation à s'interroger
sur les enjeux que posent les soins psychiatriques en ambulatoire. En effet,
l'Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la
psychiatrie (CRPA) a posé deux QPC au Conseil constitutionnel relatives
notamment au régime des séjours en hospitalisation imposés
dans le cadre de soins en ambulatoire issu de la loi du 5 juillet 2011.
L'association conteste le fait que l'article L.3211-2-1 du CSP ne soumet au
contrôle systématique du JLD que les mesures d'hospitalisation
complète et non les mesures prenant une autre forme. Or, cela veut dire
en pratique que l'on peut obliger un malade à effectuer des
séjours forcés dans un établissement psychiatrique,
séjour qui en théorie, peut parfaitement durer jusqu'à
vingt trois heures par jour, sans qu'aucun contrôle ne soit
effectué par l'autorité judiciaire. Il s'agit en effet de prendre
en considération les situations abusives qui, au regard de l'état
actuel des textes, sont permises et en pratique très certainement
pratiquées.
Toutefois, tout ceci dépend de l'interprétation
qu'il convient de donner à la contrainte dans le cadre des modes de
soins alternatifs. Peut-on forcer un malade à exécuter les
prescriptions que son psychiatre a prévu dans le cadre du programme de
soins ? C'est également l'objet de la question prioritaire de
constitutionnalité présentée par la CRPA.
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