TABLE DES ABREVIATIONS
ARS : Agence régionale de santé
Ass : Assemblée
Ass.Plén. : Assemblée plénière de
la Cour de cassation
C.civ : Code civil
CA : Cour d'appel
Cass. : Cour de cassation
CDSP : Commission départementale des soins
psychiatriques
CE : Conseil d'Etat
CEDH : Cour européenne des droits de l'homme
Conv. EDH : Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés
fondamentales
CGLPL : Contrôleur général des lieux de
privation de liberté
CNCDH : Commission nationale consultative des droits de
l'homme
CRUQPC : Commission des relations avec les usagers et de la
qualité de la prise en charge
CSP : Code de la santé publique
DGOS : Direction générale de l'offre de soins
EPSM : Etablissement public de santé mentale
HPST : Hôpital, Patients, Santé, Territoires
IGAS : Inspection générale des affaires
sociales
IGSJ : Inspection générale des services
judiciaires
JLD : Juge des libertés et de la détention
NPDC : Nord - Pas-de-Calais
OMS : Organisation mondiale de la santé
QPC : Question prioritaire de constitutionnalité
SDRE : Soins sur décision du représentant de
l'état
SDT : Soins sur demande d'un tiers
TGI : Tribunal de grande instance
UMD : Unité pour malades difficiles
USM : Union syndicale des magistrats
UHSA : Unité hospitalière spécialement
aménagée
7
« On juge du degré de civilisation d'une
société à la façon dont elle traite ses fous.
»
Lucien BONNAFE
8
INTRODUCTION
« Toutes les personnes atteintes de troubles mentaux
ont droit à un traitement et à des soins de bonne qualité
dispensés par des services de soins de santé compétents.
Elles doivent être protégées de toute forme de
discrimination et de tout traitement inhumain. »1
Plus que tout autre patient, la personne souffrant de troubles
mentaux doit bénéficier de soins appropriés à son
état, dans le respect de ses libertés et droits fondamentaux. En
France, l'évolution de la prise en compte médicale mais aussi
sociale de la maladie mentale a été lente et fastidieuse. Ce
qu'était auparavant appelée très largement « la folie
» était traitée en priorité par l'exclusion sociale :
il fallait cacher à la société ces êtres
déments, dépourvus d'intelligence, dangereux. Ces «
aliénés » étaient ainsi purement et simplement mis au
ban de la société et c'est au XVIIe siècle que
sont créés les premiers centres d'internement au sein même
des hôpitaux généraux2, mais sans pour autant
conférer à ces asiles une quelconque vocation médicale.
Les aliénés étaient pour la plupart enfermés dans
des cachots et enchainés, et les soins médicaux étaient
quelque peu radicaux : saignées qui avaient pour vocation de
dégager le cerveau de la surcharge de sang qui l'agressait et de ramener
le calme dans les idées ; les bains, purges et douches servant eux,
à évacuer les humeurs accumulées dans les viscères.
Afin de remédier aux conditions misérables d'enfermement des
aliénés et à l'absence totale de règles encadrant
l'internement, le roi Louis Philippe promulgue la loi dite « des
aliénés » le 30 juin 1838. Cette loi rend obligatoire la
construction d'un asile dans chaque département, et encadre
l'internement en créant le placement d'office sous condition d'un avis
médical et de l'autorisation du préfet. Elle créée
deux types de placement : le placement volontaire et le placement d'office.
1 Organisation mondiale de la santé,
Législation touchant la santé mentale et les droits de
l'homme, Guide des politiques et des services de santé mentale,
2005.
2 L'hôpital général est
créé en 1656. Il est à l'origine destiné aux
mendiants valides et invalides, puis des espaces sont dédiés aux
« fous ». Le terme d' « hôpital » n'a toutefois pas
le même sens qu'aujourd'hui : il s'agit en réalité d'un
lieu d'hébergement forcé, une sorte de prison où quasiment
aucuns soins ne sont prodigués.
9
Ce n'est qu'en 1990 que la législation relative au
régime des soins psychiatriques évolue, par la loi du 27 juin
1990 relative aux droits et à la protection des personnes
hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions
d'hospitalisation3. La réforme avait pour objectif de
dépasser les pratiques asilaires et de promouvoir les droits des malades
mentaux, tout en instaurant un meilleur contrôle des conditions
d'hospitalisation. L'hospitalisation sans consentement se décline alors
en deux procédures de contraintes : l'hospitalisation sur demande d'un
tiers, le tiers étant entendu comme un membre de la famille ou une
personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade, et
l'hospitalisation d'office qui est décidée par le préfet
lorsque les troubles mentaux de l'intéressé compromettent l'ordre
public et la sûreté des personnes.
Dès le début des années 2000 se dessine
la volonté de la part de l'ensemble des acteurs de soins et des pouvoirs
publics de faire évoluer le dispositif d'hospitalisation sans
consentement. L'on constate en effet une certaine insuffisance de la loi en
vigueur, notamment quant à l'accès aux soins ou encore par
rapport à l'évolution des conditions de prises en charge des
patients. Différents rapports sont alors présentés aux
gouvernements successifs visant à bâtir une réforme de la
loi du 27 juin 1990. Parmi eux, Le « Rapport sur les problèmes
de sécurité liés au régime d'hospitalisation sans
consentement » de l'Inspection générale de
l'administration, de l'Inspection générale de la police nationale
et de l'Inspection de la gendarmerie nationale (mai 2004) qui insiste sur la
nécessité de réformer l'hospitalisation d'office pour
remédier aux carences d'information du préfet et aux faiblesses
du suivi des personnes hospitalisées d'office bénéficiant
de sorties d'essai. Mais le véritable socle de réflexion de la
réforme est le rapport de l'Inspection générale des
affaires sociales et de l'Inspection générale des services
judiciaires4, présenté au ministre chargé de la
santé et au garde des sceaux en 2005, qui conclut à la
nécessité de réformer la loi du 27 juin 1990 afin de tenir
compte de la diversification des prises en charge en psychiatrie, de modifier
les procédures d'hospitalisation, de développer l'accès
aux soins psychiatriques même en l'absence de tiers demandeur et de
renforcer le contrôle des
3 Loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux
droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison
de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation.
4Propositions de réforme de la loi du 27
juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes
hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions
d'hospitalisations, IGAS/IGSJ, mai 2005
10
hospitalisations sans consentement en confiant un
contrôle a posteriori au juge des libertés et de la
détention.
Le 5 mai 2010, un projet de réforme de la loi du 27
juin 1990 est alors adopté en Conseil des ministres et
déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale. Toutefois,
ce projet de réforme dû être régulièrement
modifié suite à différentes décisions du Conseil
constitutionnel, saisi de multiples questions prioritaires de
constitutionnalité relatives à l'hospitalisation sans
consentement.
La première décision que nous retiendrons
résulte d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur l'intervention du juge des libertés et de la détention dans
le contrôle de l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Par une
décision du 26 novembre 20105, le Conseil constitutionnel
décide que le maintien de l'hospitalisation sans consentement d'une
personne atteinte de troubles mentaux au-delà de 15 jours sans
intervention d'une juridiction judiciaire, méconnait les exigences de
l'article 66 de la Constitution6. Le Conseil considère «
qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une
part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles
mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public
nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur
constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés
constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la
liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée,
protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté
individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à
l'autorité judiciaire ; que les atteintes portées à
l'exercice de ces libertés doivent être adaptées,
nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
» Le Conseil constitutionnel exige l'instauration d'un contrôle
de plein droit dans le délai maximum de quinze jours portant sur la
nécessité du maintien de l'hospitalisation complète sans
consentement. Les sages déclarent ainsi contraire à la
constitution l'article L.3212-7 du Code de la santé publique.
5 Conseil const., décision n°2010-71, QPC,
26 novembre 2010
6 Article 66 de la Constitution de la
République française : « Nul ne peut être
arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la
liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les
conditions prévues par la loi. »
11
La seconde décision ayant eu un écho
considérable dans la rédaction de la loi nouvelle est celle du 9
juin 20117 faisant suite à une question prioritaire de
constitutionnalité relative cette fois aux conditions de fond du
placement ainsi qu'aux garanties encadrant l'hospitalisation dite d'office,
c'est-à-dire par décision du représentant de l'Etat. Le
Conseil constitutionnel relève une première difficulté qui
résulte de la situation permise par l'article L.3213-1 du Code de la
santé publique dans laquelle le préfet ordonne ou maintient une
hospitalisation d'office alors même que le psychiatre de
l'établissement s'y oppose, sans qu'un réexamen du patient soit
prévu afin de déterminer si l'hospitalisation complète
doit être maintenue ou non. Le Conseil considère alors que
« seul un réexamen, s'il confirmait la nécessité
de soins en hospitalisation, serait de nature à permettre le maintien de
la mesure, nonobstant le premier avis médical contraire. En revanche, si
ce réexamen infirmait à nouveau la nécessité de
soins en hospitalisation, la mesure ne pourrait qu'être
levée. » L'article L.3213-1 ne présente donc pas les
garanties suffisantes et est déclaré contraire à la
Constitution.
S'agissant du maintien de l'hospitalisation d'office, le
Conseil adopte le même raisonnement que pour l'hospitalisation à
la demande d'un tiers exposé à l'occasion de la décision
du 26 novembre 2010. Le Conseil relève qu'aucune disposition
législative ne soumet le maintien en hospitalisation complète au
contrôle d'une juridiction judiciaire, dans des conditions
répondant aux exigences de l'article 66 de la Constitution. L'article
L.3213-4 est donc également déclaré contraire à la
Constitution.
Les décisions du Conseil constitutionnel
révélant des dispositions contraires à la Constitution
ainsi que les différents rapports concluant de façon unanime
à la nécessité d'amorcer une réforme, favorisent
l'émergence d'un contexte propre à la rédaction d'un
nouveau texte encadrant les soins sans consentement. Plusieurs objectifs font
consensus à ce stade de réflexion : élargir l'accès
aux soins psychiatriques et notamment permettre l'admission en soins
psychiatriques dans les cas il n'y a pas de tiers faisant la demande
d'admission ; adapter la loi aux évolutions des soins psychiatriques en
favorisant le suivi hors hospitalisation ; améliorer la surveillance des
patients susceptible de présenter un danger pour les tiers
(référence aux évènements dramatiques causés
par des patients sortis
7 Conseil const., décision n°2011-135/140,
QPC, 9 juin 2011.
12
d'établissements psychiatriques) ; enfin, renforcer les
droits et libertés individuelles des patients en insistant notamment sur
l'information régulière des patients sur leurs droits et voies de
recours et sur leur état de santé.
La rédaction de la loi du 5 juillet a par ailleurs
été très largement motivée par la
nécessité de mettre notre droit positif en conformité avec
les exigences de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui a
eu l'occasion de condamner la France a plusieurs reprises pour causes
d'irrégularité dans les procédures de soins sans
consentement. Dans son arrêt CEDH 18 avril 2010 Baudoin c/
France8, la Cour condamne la France sur le fondement de l'article
5§49 de la Convention européenne des droits de l'homme
au motif que « les actes successifs fondant la privation de
liberté du requérant ont été annulés par les
juges administratifs, sans que jamais l'intéressé n'obtienne une
décision des tribunaux judiciaires mettant fin à la mesure
d'hospitalisation. » Dans cette affaire, la CEDH se prononce sur le
dualisme juridictionnel français en matière de contentieux
d'hospitalisation sans consentement et considère que «
l'articulation entre la compétence du juge judiciaire et du juge
administratif quant aux voies de recours offertes n'a pas permis au
requérant d'obtenir une décision du tribunal pouvant statuer sur
la légalité de sa détention et ordonner sa
libération si la détention est illégale. » Ce
dualisme « à la française » ne permet donc pas au
requérant d'être en mesure d'obtenir une décision d'un juge
judiciaire mettant fin à la détention si celle-ci se trouvait
être illégale.
La France fait l'objet d'une nouvelle condamnation un an plus
tard, le 14 avril 2011 dans l'arrêt Patoux c/ France10 : la
CEDH constate à nouveau une violation de l'article 5§4 de la
Convention en vertu duquel le tribunal saisi doit statuer « à
bref délai » sur la légalité de la
détention du requérant. En l'espèce, le juge saisi d'une
requête en mainlevée immédiate d'une mesure
d'hospitalisation d'office s'est prononcé quarante-six jours
après sa saisine, ce qui constitue pour la Cour de Strasbourg un
délai excessif et par la même, une violation du droit au recours
effectif protégé par l'article 5§4 de la Convention.
8 CEDH 18 avril 2010, Baudoin c/ France,
n°35935/03, §108.
9 Article 5§4 de la Convention
européenne des droits de l'homme : « Toute personne
privée de sa liberté par arrestation ou détention a le
droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à
bref délai sur la légalité de sa détention et
ordonne sa libération si la détention est illégale.
»
10 CEDH 14 avril 2011, Patoux c/ France,
n°35079/06
13
Il parait également intéressant de citer
l'arrêt de la CEDH du 20 avril 2011 C.B c/ Roumanie à l'occasion
duquel les juges de Strasbourg prononcent la violation par la
Roumanie11 de l'article 5§1 e)12 : « Un
individu ne peut passer pour aliéné et subir une privation de
liberté que si son aliénation a été établie
de manière probante et que le trouble revêt un caractère ou
une ampleur légitimant l'internement ». La Cour
considère ici que l'internement du requérant a fait l'objet d'une
procédure irrégulière, celui-ci étant basé
sur les doutes des enquêteurs quant à la santé mentale du
requérant et sur l'attestation médicale d'un médecin
généraliste ne l'ayant jamais vu. Par ailleurs, la mesure
d'internement n'a été soumise à aucun contrôle
juridictionnel.
Par ces arrêts, la CEDH encourage ainsi la France
à oeuvrer en faveur d'une unification du contentieux en matière
de soins sans consentement au profit du juge judiciaire, à instaurer des
délais « raisonnables » dans le contrôle des mesures
d'hospitalisation complète et d'édicter de procédures
strictes d'admission en soins sans consentement, afin d'éviter des
internements illégitimes et abusifs.
Dans son projet de réforme de la « loi psychiatrie
», le gouvernement poursuit ainsi de nombreux objectifs
d'amélioration de la loi du 27 juin 1990. Il avait par ailleurs pour
leitmotiv de concilier à la fois l'objectif de réinsertion et de
maintien de ces patients dans la société, via par exemple les
soins ambulatoires, et l'objectif plus sécuritaire, à savoir
d'éviter un nouveau drame surmédiatisé causé par un
patient faisant ou ayant fait l'objet de soins sans consentement. Au sein du
projet de loi présenté à l'Assemblée nationale,
Madame Roselyne BACHELOT-NARQUIN, alors ministre de la santé et des
sports, précise à cette occasion : « Divers
événements dramatiques survenus ces derniers temps attestent de
la nécessité, rappelée par le Président de la
République, de mieux encadrer les sorties des établissements de
santé et d'améliorer la surveillance de certains patients
susceptibles de présenter un danger pour autrui. Une vigilance accrue
des professionnels et des pouvoirs publics vis-à-vis de la faible part
des malades atteints de troubles mentaux
11 CEDH 20 avril 2011 C.B/ Roumanie, n°
n°21207/03
12 L'article 5 de la Convention européenne
des droits de l'homme est relatif au droit à la liberté et
à la sureté : « Toute personne a droit à la
liberté et à la sûreté, sauf dans les cas suivants,
et selon les voies légales : e) s'il s'agit de la détention
régulière d'une personne susceptible de propager une maladie
contagieuse, d'un aliéné,d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un
vagabond ; »
14
susceptibles d'actes graves de violence doit contribuer
à rendre la société plus accueillante et tolérante
vis-à-vis de l'ensemble des personnes présentant un trouble
mental. 13»
La réforme d'ensemble de la loi du 27 juin 1990 est
promulguée le 5 juillet 201114 et vient ainsi modifier les
dispositions du Code de la santé publique relatives au régime des
soins sans consentement ainsi qu'aux droits des patients faisant l'objet de
tels soins. La réforme est entrée en vigueur le 1er
août 2011, date d'échéance fixée par le Conseil
constitutionnel pour la mise en conformité du droit positif avec ses
exigences.15 L'une des principales innovations de la réforme
porte sur la modification des termes employés pour désigner
l'hospitalisation sans consentement : désormais, le patient fait l'objet
de « soins psychiatriques », terme moins étroit permettant
d'englober une prise en charge hors les murs de l'hôpital. En effet, le
patient peut aujourd'hui être pris en charge dans un autre cadre que
celui de l'hospitalisation complète. Il convient alors d'instaurer
« un programme de soins ». Ce programme peut prévoir diverses
formes de prises en charge telles que l'hospitalisation à temps partiel,
des consultations en ambulatoire, des soins à domicile ou encore des
activités thérapeutiques. Le programme de soins, simple document
administratif établi par un psychiatre de l'établissement,
précisera les types de soins, les lieux de leur réalisation ainsi
que leur périodicité. Cette nouvelle procédure s'aligne en
réalité sur une logique de soins entérinée depuis
longtemps par les soignants à savoir, une certaine
décentralisation des soins16en limitant au maximum la
détention et la contrainte au patient.
Par ailleurs, l'hospitalisation d'office disparait au profit
des « soins psychiatriques sur décision du représentant de
l'état », le représentant de l'Etat étant entendu
comme étant le maire ou le préfet. De même,
l'hospitalisation sur demande d'un tiers est substituée par les «
soins psychiatriques sur demande d'un tiers », le tiers étant
entendu comme étant un membre de la famille du malade ou toute personne
justifiant de l'existence de relations avec celui-ci, antérieures
à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans
13 Projet de loi n°2494 relatif aux droits et
à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et
aux modalités de leur prise en charge, présenté par Madame
Roselyne BACHELOT-NARQUIN, ministre de la santé et des sports.
14 Loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative
aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins
psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
15 Cons. const., 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC et
Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-135/140 QPC.
16 COUTURIER (M), La réforme des soins
psychiatriques sans consentement : de la psychiatrie disciplinaire à la
psychiatrie de contrôle, Revue de droit sanitaire et social 2012,
p.97.
15
l'intérêt du malade. L'autre nouveauté
très attendue de la réforme est la création d'une mesure
de contrainte sans tiers : les soins psychiatriques en cas de péril
imminent pour la santé de la personne. Cette procédure permet
d'accueillir un patient en soins psychiatriques sous contrainte lorsque ses
troubles rendent impossible son consentement et que son état mental
requiert manifestement des soins immédiats. Elle permet ainsi de pallier
à une insuffisance de la loi du 27 juin 1990 pour les personnes seules
et désocialisées, pour lesquelles il est impossible d'obtenir la
demande d'un tiers. Le directeur de l'établissement est ici
compétent pour prononcer la décision d'admission en soins
psychiatriques, au vu d'un certificat médical établi par un
médecin exerçant dans l'établissement d'accueil.
La réforme a également pris le soin de mettre en
conformité les textes du Code de la santé publique aux
décisions du Conseil constitutionnel des 26 novembre 2010 et 9 juin 2011
à l'occasion desquelles le Conseil des sages a considéré
que le maintien de l'hospitalisation sans consentement d'une personne atteinte
de troubles mentaux au-delà de 15 jours sans intervention d'une
juridiction judiciaire, méconnaissait les exigences de l'article 66 de
la Constitution. Le Conseil impose ainsi l'intervention du juge judiciaire en
tant que garant de la liberté individuelle, exigence qui sera reprise
par la loi du 5 juillet 2011 par laquelle le juge des libertés et de la
détention en première instance, le premier président de la
Cour d'appel en appel, se voient ainsi conférer la mission de
contrôler a posteriori la légalité des mesures de soins
sans consentement privatives de liberté.
L'objet de notre présente étude portant sur
l'analyse de la réforme des soins psychiatriques sans consentement ainsi
que sur la protection des personnes souffrant de maladies mentales, il convient
au préalable d'en détailler les notions. La maladie mentale est
communément considérée comme étant une maladie du
cerveau dont les symptômes prédominants sont comportementaux. Elle
regroupe des maladies de la pensée ou de la personnalité, se
manifeste par des troubles du comportement social et se traduit par des
maladies psychiatriques diverses17. En psychiatrie, l'on parle aussi
fréquemment de troubles mentaux et du comportement. Selon une
définition proposée par l'Organisation mondiale de la
santé, il s'agit « d'affections cliniquement significatives qui
se caractérisent par un changement du mode de pensée, de l'humeur
(affects) ou du comportement associé
17 BERUBE (L), Terminologie de neuropsychologie
et de neurologie du comportement, Les Editions de la Chenelière,
1991
16
à une détresse psychique et/ou à une
altération des fonctions mentales. Les troubles mentaux et du
comportement ne sont pas de simples variations à l'intérieur des
limites de la « normalité », mais des phénomènes
manifestement anormaux ou pathologiques. Pour être
considérées comme telles, les anomalies doivent être
permanentes ou répétées et causer une souffrance ou
constituer un handicap dans un ou plusieurs domaines de la vie
courante.18 » Les soins psychiatriques sans consentement
constituent globalement une mesure d'obligations de soins à
l'égard des personnes souffrants de troubles psychiques mais refusant de
se faire soigner pour diverses raisons comme par exemple, le déni de
leur pathologie. La mesure, qui peut être privative de liberté,
est motivée le plus souvent par la nécessité de soulager
la personne de ses souffrances voire de la protéger contre
elle-même, ou pour des raisons d'ordre et de sécurité
publique lorsqu'elle est susceptible de présenter un danger pour autrui.
La mesure de soins sans consentement constitue une dérogation au
principe de consentement préalable du patient à toute prise en
charge thérapeutique, principe d'ordre public rappelé par la loi
du 4 mars 2002 et énoncé à l'article 16-3 du Code
civil.19
Nous n'aborderons pas ici l'hospitalisation dite « libre
», qui représente 80% des admissions en psychiatrie. Elle s'entend
de la situation dans laquelle une personne est hospitalisée en raison de
ses troubles mentaux, mais avec son consentement. Dans ce cas, le patient
choisi l'établissement dans lequel il souhaite bénéficier
de soins psychiatriques ainsi que les psychiatres qui le prendront en charge.
Ce patient est alors assimilé à tout autre patient
hospitalisé pour une pathologie autre que psychiatrique et
bénéficie des mêmes droits et des mêmes
devoirs20. Ce type d'hospitalisation ne posant pas de
difficultés majeures, il n'est pas opportun d'en approfondir
l'étude.
En revanche, les soins psychiatriques sans consentement posent
de réels enjeux pratiques, liés notamment aux nouvelles
procédures d'admission en soins psychiatriques et aux modalités
de prise en charge relatives au programme de soins. L'instauration du
18 Organisation mondiale de la santé, La
santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs, Rapport sur
la santé dans le monde, 2001.
19 Article 16-3 du Code civil : « Il ne
peut être porté atteinte à l'intégrité du
corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la
personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt
thérapeutique d'autrui. Le consentement de l'intéressé
doit être recueilli préalablement hors le cas où son
état rend nécessaire une intervention thérapeutique
à laquelle il n'est pas à même de consentir. »
20 Article L.3211-2 du Code de la santé
publique.
17
contrôle de plein droit de la mesure de soins sous
contrainte en hospitalisation complète par le juge des libertés
et de la détention a aussi donné naissance à de
véritables difficultés quant à l'interprétation de
la loi nouvelle et à l'organisation des audiences devant le juge. Les
acteurs de soins et de la justice expriment ainsi de nombreuses
inquiétudes qu'il semble judicieux de signifier dans notre étude,
afin de pouvoir dans le même temps proposer des solutions qui
permettraient de pallier à ces difficultés.
Les agences régionales de santé (ARS),
créées par la loi HPST du 21 juillet 200921,
constituent un interlocuteur unique et privilégié des acteurs du
champ de la santé publique et de l'organisation de l'offre de soins. En
particulier, les ARS sont chargés de l'organisation des soins
psychiatriques à l'échelle régionale et doivent organiser
dans chaque territoire de santé un dispositif de réponse aux
urgences psychiatriques22. Dans le cadre des protocoles
départementaux relatifs aux modalités de coopération entre
les préfets et les directeurs généraux23,
doivent être prévues les actions et les prestations mises en
oeuvre par l'ARS pour le compte du préfet. En effet, le préfet
disposant de compétences en matière sanitaire, de
salubrité et d'hygiène publique, il a compétence pour
prononcer la décision d'admission d'une personne en soins sans
consentement24. L'ARS met à disposition du préfet ses
moyens en intervenant en tant que support pour préparer et mettre en
oeuvre les décisions préfectorales en matière de soins
sans consentement.25
Les directeurs généraux des ARS ont ainsi le
devoir de s'assurer que l'organisation interne des services concernés
permet la mise en oeuvre d'une réponse efficace aux demandes
préfectorales. Les services compétents26de l'ARS
doivent quant à eux veiller au respect des textes en vigueur quant
à la composition du dossier, et notamment au respect des délais
introduits par la loi du 5 juillet 201127.
21 Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant
réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la
santé et aux territoires.
22 Articles L.3222-1 et suivants du Code de la
santé publique.
23 Article R.1435-2 du Code de la santé
publique.
24 Article L.3213-1 du Code de la santé
publique.
25 Article L.1435-1 du Code de la santé
publique.
26 La cellule des soins soumis à
décision administrative au sein de la Direction de la santé
publique et environnementale de l'ARS Nord - Pas-de-Calais.
27 Circulaire relative aux droits et à la
protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux
modalités de leur prise en charge, NOR : IOCD1122419C, 11 août
2011.
18
Les services instructeurs en matière de soins sans
consentement de l'ARS Nord - Pas-de-Calais font part de nombreuses
préoccupations quant au respect des procédures telles que
prévues par la loi du 5 juillet 2011, à l'interprétation
des nouveaux textes, à la collaboration des différents acteurs de
soins de la région ou encore quant à la future unification du
contentieux au profit du juge judiciaire prévue au 1er
janvier 2013. Dans le cadre de l'étude de ces problématiques au
sein de l'agence régionale de santé, nous proposons d'analyser de
manière plus approfondie la question de la judiciarisation du
contrôle des soins sans consentement et des problématiques
essentiellement d'ordre pratique que pose l'organisation des audiences devant
le juge des libertés et de la détention.
Notons que pour faire face aux profonds changements qu'impose
le nouveau dispositif du contrôle des soins sans consentement, l'agence
régionale de santé Nord - Pas-de-Calais a pris des mesures
tendant à favoriser un contexte de coopération des acteurs de
soins et de la justice de la région. Ainsi, un calendrier officiel a
été instauré au sein de l'agence, prévoyant la
rencontre entre les Présidents des tribunaux de grande instance de la
région Nord - Pas-de-Calais, la Première présidente de la
Cour d'appel de Douai, des juges des libertés et de la détention,
les Procureurs de la République, le directeur général de
l'ARS NPDC ainsi que les services compétents de l'agence afin de mettre
au point une certaine cohésion dans les procédures à
respecter. Il s'agit de parvenir à une meilleure application de la loi
sur le terrain, et de garantir aux patients la sécurité juridique
que la loi du 5 juillet 2011 avait justement pour but de renforcer, en vue
notamment de l'unification du contentieux en matière de soins
psychiatriques au profit du juge judiciaire au 1er janvier 2013. Les
établissements de santé mentale étant également
très demandeurs de ce type de réunions d'informations, l'ARS
poursuivra dans cette dynamique de coopération puisqu'elle
prévoit d'organiser fin 2012 deux réunions départementales
réunissant les établissements de santé mentale dans chacun
des départements, en lien avec les directeurs de cabinet des
préfectures du Nord et du Pas-de-Calais. Il s'agit de leur faire part
des solutions dégagées par le corps judiciaire et l'agence, de
recenser leurs propres difficultés d'application des procédures
sur le terrain et de tenter d'instaurer une sorte de guide de bonnes pratiques
régional qui constituerait une référence commune aux
établissements de santé.
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L'objectif de notre démarche est ici d'analyser le
nouveau cadre juridique des soins sans consentement suite à la
réforme du 5 juillet 2011, d'envisager les difficultés
concrètes d'application que pose le nouveau texte, et d'apporter dans la
mesure du possible des propositions d'amélioration, voire de
modification de la loi.
Si les pouvoirs publics ont pu affirmer que « son
élaboration a été guidée par le souci de trouver le
meilleur équilibre possible entre la dispensation des soins
nécessaires et la privation de liberté que celle-ci peut
entrainer »28, qu'en est-il réellement de la
protection effective des droits fondamentaux des patients souffrant de troubles
mentaux ?
Un des volets principaux que l'on retiendra de la
réforme est celui du renforcement du contrôle des mesures de soins
sans consentement, avec notamment, le contrôle des mesures
d'hospitalisation complète sans consentement par le juge des
libertés et de la détention. Il s'agit de définir son
rôle dans la nouvelle organisation de contrôle des soins sans
consentement et d'insister plus particulièrement sur les
difficultés que ce juge rencontre dans l'exercice de sa mission. Plus
largement, nous envisagerons les difficultés rencontrées par
l'ensemble des acteurs de soins sur le terrain ainsi que les réponses
que l'on peut aujourd'hui formuler, compte tenu du mince recul que l'on peut
avoir sur l'application de la loi nouvelle.
La loi du 5 juillet 2011 marque un tournant décisif
dans l'appréciation et la prise en charge de la maladie mentale en
France en ce qu'elle consacre une diversification des prises en charge des
patients souffrant de troubles mentaux et renforce considérablement le
contrôle des mesures restrictives de liberté. Il convient ainsi de
présenter la réforme des soins psychiatriques sans consentement
dans une première partie.
Si la loi nouvelle montre un aspect novateur et moderne dans
la prise en charge des pathologies psychiatriques, sa mise en oeuvre
révèle néanmoins de sérieuses difficultés
pour les différents acteurs intervenant en ce domaine. En ce sens, notre
seconde partie sera consacrée aux difficultés concrètes
d'application de la loi du 5 juillet 2011.
28 Réponse du ministère du travail,
de l'emploi et de la santé à la question écrite
n°117020 de Monsieur le Député Guy DELCOURT, Journal
Officiel, 29 novembre 2011.
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