De la psychanalyse du sujet connaissant à l'objectivité scientifique dans l'épistémologie Bachelardienne( Télécharger le fichier original )par Merleau NSIMBA NGOMA Université chrétienne Cardinal Malula RDC - Licence en philosophie et lettres 2009 |
I.2. La déduction meyersonienneNous venons de montrer que l'examen qu'on peut faire et la conclusion à laquelle on peut déboucher des épistémologues traditionnelles sont principalement le constat que ce sont des épistémologies qui s'attardent et s'enferment sur un certain immobilisme. Elles cachent peut-être mal un certain déterminisme de l'esprit humain ou des structures à ne pouvoir connaître que tel qu'il connaît et à ne pouvoir s'alimenter des connaissances que suivant certains procédés catégoriels préétablis. Et pour notre auteur, la logique de la déduction relativiste de Meyerson est une véritable incarnation de l'idéologie d'une philosophie non seulement de l'immobilisme, mais encore des généralités. Qu'en est-il plus exactement ? Pour Meyerson, en effet, dans l'élaboration des questions épistémologiques, il doit s'agir « de tirer des théories relativistes des informations sur les principes du raisonnement scientifique en général »39(*). Le relativisme de Meyerson est, pour Bachelard, un aveu de globalisation généraliste qui fait perdre aux théories épistémologiques tout cadre et degré de précision. Selon Meyerson, en fait, qu'il suffise de « conclure que le savant devra soigneusement, en cette matière, se garder de la tentation, que l'obsède constamment, de trop empiéter sur le domaine du philosophe. Car tout homme...fait de la philosophie comme il vit »40(*). En ce sens, démontre Meyerson, la structure de l'esprit scientifique et humain est en quelque sorte une structure de l'une fois pour toutes, une structure cloisonnée dans le fixer éternellement. Il y a expressément insisté dans l'examen du travail de la logique et de la psychologie. Dès que l'homme commence à réfléchir sur le monde et sur lui-même, Meyerson réalise qu'il a besoin, pour combattre son ignorance, de la psychologie et de la logique rudimentaire que, selon lui, sont certainement parmi les branches du savoir les plus précoces à éclore. Elles forment encore à l'heure actuelle des parties importantes de la philosophie, sans que d'ailleurs, il convient de l'avouer, leurs domaines respectifs soient entièrement circonscrits, ni surtout nettement séparés l'un de l'autre. L'essentiel ici est de montrer que la question à laquelle la logique et la psychologie ont trait est généralement considérée comme une question tranchée « une fois pour toutes », une sorte de procès verbal des règles d'après lesquelles notre pensée procède en fait, « tout en insistant vigoureusement sur le caractère de généralité que l'intellect imprime à tout ce qui constitue le point de départ du raisonnement »41(*).L'identité de l'épistémologie meyersonienne pour la structure de la connaissance scientifique. Meyerson pensera d'ailleurs que l' « on se débarrasse de ce qui est relatif aux divers observateurs pour atteindre l'absolu, représenté ici par la distance. Tous les observateurs étudieront le même espace géométrique, et c'est dans ce décor placé une fois pour toute que se dérouleront les phénomènes physiques »42(*). L'auteur continue en montrant que « c'est là une remarque éminemment propre à nous faire toucher du doigt à quel point le processus de pensée auquel obéissent les relativistes est conforme au canon éternel de l'intellect humain, qui a constitué non seulement la science, mais, avant elle, le monde du sens commun. En effet, ce monde d'invariants absolus, placé dans le décor éternel de l'espace, n'est pas seulement le monde de la mécanique de Galilée et de Descartes, il est encore celui de notre perception immédiate »43(*). Argumentant et embrayant davantage sur cette perspective, Meyerson montre que « ce qu'on désigne comme les concepts du sens commun mais par ailleurs strictement analogue au procédé à l'aide duquel nous formons les théories scientifiques ; que là encore la tendance causale, le principe de l'identité dans le temps, joue un rôle prépondérant, et qu'à ce point de vue le sens commun fait partie intégrante de la science, ou inversement la science n'étant...prolongement du sens commun »44(*). Autant de thèses malencontreuses, autant de thèses catégoriques et catégorisantes, autant de thèses déroulantes et ignorantes contre les quelles Bachelard ne cesse de manifester son acharnement le plus décisif. Elles sont catégoriques en tant que pour Meyerson, explique Lecourt, « il faut avoir posé l'existence » d'un canon éternel de l'intellect humain pour affirmer, corrélativement, qu'il y a continuité entre science et monde du sens commun, sous réserve d'une réduction de l'espace à un décor »45(*). Et ces thèses semblent aussi déroulantes en raison du fait que Meyerson lui-même semble ne pas se rendre compte de l'état de la question relativiste. Il ne peut se rendre compte du fait que la science physique a suffisamment renouvelé tout l'éventail de son vocabulaire théorique. S'il ne l'ignore pas, Meyerson fait tout au moins simplement fi de « la nouveauté de ces théories relativistes »46(*). Il ne s'imagine pas une moindre rupture entre la science et le monde du sens commun47(*) parce qu'il ne veut pas se permettre un seul instant de « douter de la continuité étroite entre cet avatar le plus récent des théories scientifiques et les phases qui l'ont précédé »48(*). Et aussi, parce que, sur ce point, il se fait un véritable et fervent défenseur et conciliateur de Comte et mill. La théorie de la science telle qu'élaborée par Comte fait dire à Meyerson que « même si elles sont grossières, mais ces judicieuses indications d'un bon sens vulgaire sont le véritable point de départ éternel de toute sage spéculation scientifique »49(*). Et Stuart Mill, que Meyerson cite en tant que sectateur du comtisme, trouve pour sa part que « les lois ultimes auxquelles la science parviendrait dans l'avenir et dont, en attendant, elle se rapprochait chaque jour, se rapporteraient aux sensations qualitatives que nous éprouvons et seraient donc, tout au moins, en nombre égal à celui de ces sensations »50(*). C'est de cette manière-là que Bachelard va débattre, défaire et peut-être aussi dépasser et améliorer l'essentiel question de la relativité meyersonienne. C'est pour l'expliciter, une relativité des absolus de la raison ; c'est une épistémologie de l'ontologie du réel. Et dans cette épistémologie où « le réel de la théorie relativiste est, très certainement, un absolu ontologique, un véritable être-en-soi, et plus ontologique encore que les choses du sens commun et de la physique pré-einsteinienne »51(*), dans une épistémologie où « la raison doit se faire violence à elle-même pour s'adapter aux formes qui lui impose le relativisme »52(*) , Bachelard, face aux absolus de la raison qui conduit les principes de la philosophie de Meyerson, proclame le temps venu du déclin de ces absolus, constate dûment un suffisant manque des « trésors d'érudition et de patience »53(*) ; il clame, de façon quasi tranchant contre Meyerson, l'ère du nouveau mouvement de pensée, de la nouvelle mobilité, de la nouvelle articulation de l'esprit scientifique. L'ère des absolus de la raison est pour Bachelard l'ère du repos. Or, démontre-t-il, le repos est dominé nécessairement par psychisme « involutif »54(*). Mais, suivant un commentaire de Georges Canguilhem, « la culture épistémologique n'admet pas les revenus du repos... La science moderne fait de la discontinuité une obligation de la culture »55(*). Bachelard proclame finalement, autant contre Meyerson que contre les épistémologies traditionnelles, l'heure de la nouveauté et de la révolution de l'esprit et de la science contemporaine. Pour lui, en effet, « l'esprit a une structure variable dès l'instant où la connaissance à une histoire ».56(*) A cet effet, l'histoire humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce que relève des impulsions immédiates, être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées sui sont rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. Or l'esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d'une longue erreur, on pense l'expérience comme rectification de l'illusion commune et première. Toute la vie intellectuelle de la science joue dialectiquement sur cette différentielle de la connaissance, à la frontière de l'inconnu. L'essence même de la réflexion, c'est comprendre qu'on n'avait pas compris. « Les pensées non baconiennes, non euclidiennes, non cartésiennes sont résumées dans ces dialectiques historiques que présentent la rectification d'une erreur, l'extension d'un système, le complément d'une pensée »57(*). Cette citation nous fait ostensiblement sentir la position structurale de l'épistémologie Bachelardienne. En effet, autant qu'il l'exige pour Meyerson, Bachelard recommande aussi à tous les idéologues de la science de ne jamais renfermer la science dans des boîtes conceptuelles58(*). Pour lui, il y a un éclatement, une ouverture qui s'ouvre à l'aube de tout nouvel esprit scientifique. Partant, poursuit Bachelard, les philosophies de l'identité de l'esprit sont des philosophies qui trouvent leur confort, leur garantie et leur sécurité dans une parfaite permanence d'une méthode fondamentale et définitive. Philosophies stagnantes, elles sont encore, sous la plume de l'auteur, des pures philosophies « de l'immobile »59(*). * 39 E. MEYERSON, La déduction relativiste, cité par D. LECOURT, p.35. * 40 Ibid., p.37, * 41 E. MEYERSON, La déduction relativiste, p.10. * 42 E. MEYERSON, Du cheminement de la pensée, p.34. * 43 Ibid., p.36. * 44 Idem, Identité et réalité, Paris, Vrin, 1951, p.402. * 45 E. Meyerson cité par D. LECOURT, Op.cit, p.37. * 46 E. Meyerson cité par D. LECOURT, p.38. * 47 L'expression « sens commun » renvoie chez Bachelard à l'expérience première, observation immédiate, à l'opinion. * 48 E. Meyerson cité par D. LECOURT, Op. Cit., p.39. * 49 Idem., De l'explication dans les sciences, Paris, Librairie Arthène Fayard, 1995, p.37. * 50 E. MEYERSON, De l'explication dans les sciences, Paris, Librairie Arthène Fayard, 1995, p.40. * 51 Idem., La déduction relativiste, p.79. * 52 Ibid, p.366. * 53 D. LECOURT, Op. Cit., p.37. * 54 G. BACHELARD, La terre et les rêveries du repos, p.5. * 55 G. CANGUILHEM, Op. Cit, p.194. * 56 G. BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, p.177-178. * 57 G. BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, p. 201. * 58 Du point de vue de notre auteur partagé d'ailleurs avec Popper. * 59 D. LECOURT, Op.Cit, p.35. |
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