CHAPITRE 3 : DYNAMIQUE DE TROIS MATIERES ORGANIQUES :
FUMIER, COMPOST ET TERREAU DANS UN FERRALSOL. EFFET DES QUANTITES APPORTEES EN
RELATION AVEC LA QUALITE DES MATIERES ORGANIQUES.
3.1. Introduction
Dans les pays en développement, les pratiques agricoles
de fertilisation et d'amendement des sols cultivés sont
traditionnellement basées sur le recyclage de matières
organiques. Il est montré par ailleurs l'importance de l'entretien du
statut organique des sols tropicaux pour maintenir durablement leur
qualité et leur capacité de production, mais également
pour valoriser au mieux les techniques d'intensification telle que
l'utilisation d'engrais chimiques. Les matières organiques introduites
dans un sol sont une source d'éléments nutritifs disponibles pour
les plantes et les organismes vivants dans le sol, et permet ainsi d'entretenir
son stock de matière organique et la vie biologique du sol. La
minéralisation des matières organiques dans le sol est un
processus complexe pour lequel interviennent les conditions environnementales
(température, porosité des sols, propriétés
chimiques), les organismes vivants du sol (plante, microorganismes, faune du
sol), et la nature des matières organiques. De ces interactions entre
paramètres qui peuvent varier au cours du temps et dans l'espace, sont
déterminées les quantités de nutriments disponibles pour
les plantes. La complexité des interactions doit être prise en
compte pour comprendre la minéralisation d'une matière organique
apportée au sol. Ainsi, le phénomène du «priming
effect» d'une matière organique apportée, est
exemplaire à ce titre. Ce processus qui se traduit par une
sur-minéralisation apparente est expliqué par des interactions
entre microorganismes aux comportements physiologiques différents et des
apports de matières organiques exogènes plus ou moins
dégradables. (Kuzyakov et al., 2006 ; Kuzyakov et Bol, 2006)
définissent ainsi une succession de 4 phases lors d'un apport organique
dans un sol.
(1) l'apport d'une matière organique facilement
utilisable est préféré par les microorganismes actifs du
sol entrainant ainsi une diminution de la minéralisation de la
matière organique native du sol ;
(2) si l'apport organique est suffisant, la biomasse
microbienne active qui profite de cet apport organique exogène
présente ainsi une forte croissance, c'est une phase d'activation
microbienne ;
(3) quand l'apport organique exogène facilement
utilisable est consommé alors les microorganismes actifs se tournent
vers la matière organique native du sol la plus utilisable ;
(4) Enfin, un équilibre entre microorganismes et
matières organiques du sol plus ou moins utilisables se reconstitue
à l'image de l'état initial. C'est la phase de déclin de
l'activité microbienne qui peut prendre en fonction de la nature des
microorganismes et de la matière organique de quelques jours à
plusieurs semaines.
Les études théoriques démontrent que les
prédictions de la minéralisation des matières organiques
sont qualitativement meilleures si on introduit un contrôle de la
décomposition des matières organiques par la diversité et
la quantité des microorganismes du sol (Fontaine et Barot, 2005 ;
Manzoni et Porporato, 2009). De nombreuses études sur les fertilisants
ou amendements organiques ont concerné l'effet de l'origine, de la
nature et ou des processus de fabrication des matières organiques
utilisées (Bernal et al., 1998 ; Busby et al., 2007 ;
Thuriès et al., 2002 ; Tognetti et al., 2008).
D'autres études ont montré l'interaction dans les
caractéristiques des matières organiques apportées avec la
texture des sols sur lesquels elles sont appliquées (Pedra et
al., 2007; Abiven, 2004). Leur valeur agronomique est alors
évaluée par divers indicateurs mesurés qui vont de
l'analyse chimique du produit à son évolution au cours d'une
incubation in vitro dans un sol de référence (Francou,
2003; Francou et al., 2005). Cependant, l'analyse des pratiques
traditionnelles agricoles dans les pays tropicaux montre une diversité
non seulement de la qualité des produits utilisés mais
également dans leurs modes d'apport au sol. Ces matières
organiques peuvent être broyés ou non, enfouis ou demeurer en
surface, apportés localement ou épandus sur le champ. Ainsi, des
techniques d'apport localisé au niveau de la plante sont
répandues dans les agrosystèmes des pays en développement
facilitées par des pratiques agricoles généralement
manuelles. La pratique du « zaï » dans les zones arides sub
sahariennes en est une illustration. Cette pratique associe un contrôle
de l'alimentation en eau et celui de la fertilisation nutritive au niveau de la
céréale cultivée. Cette pratique participe à la
sécurité alimentaire d'une population dans une situation de
risque climatique et socio-économique élevée. De
même, dans ces zones semi-arides, seul un parcage prolongé
d'animaux domestiques, et donc un dépôt de fèces
conséquent sur une zone bien délimitée permet d'assurer un
arrière effet suffisamment long pour les plantes cultivées
(Freschet et al., 2008). Notons enfin que cette question renvoie
également au rôle de l'organisation spatiale entre organismes,
ressources organiques et minérales et habitats environnementaux dans le
fonctionnement durable des sols et au-delà des écosystèmes
notamment en zone tropicale (Masse et al., 2007). Par exemple, dans
les savanes de Côte d'Ivoire, la production primaire des savanes sur des
sols naturellement peu fertiles d'un point de vue physico-chimiques
s'expliquerait par la concentration spatiale des éléments
nutritifs et
la faculté des plantes à exploiter efficacement
ces zones grâce à des stratégies d'exploration du sol par
le système racinaire (Abbadie et al., 1992 ; Mordelet et
Menaut, 1997). L'apport localisé permet de donner directement à
la plante les éléments nutritifs dont elle a besoin. Les
quantités de matières organiques nécessaires par
unité de surface peuvent être réduites ce qui est non
négligeable dans des conditions de pénurie en matières
organiques fertilisantes. Peu d'études sur la dynamique d'apports
organiques dans les sols ont abordées la question sous l'angle de la
technique de l'apport localisé dans les sols. Dans un modèle
simplifié, on peut assimiler un apport localisé à
l'introduction dans un sol d'une quantité élevée de
matière organique par unité de surface ou par unité de
masse de sol. On peut alors se poser la question sur les processus de
minéralisation qui adviennent dans cette situation de forte
concentration d'une ressource organique par rapport à la biomasse
microbienne du sol ainsi que vis-à-vis de la minéralisation de sa
matière organique native. De même, les conditions
environnementales qui régissent les interactions entre matière
organique et biomasse microbienne peuvent être modifiées et agir
en retour sur la dynamique des nutriments et du stockage de matière
organique dans les sols.
Une première approche pour répondre à ces
questions est d'observer la minéralisation de matières organiques
apportées à des doses croissantes dans un sol incubé dans
des conditions contrôlées du laboratoire. Busby et al.
(2007) ont suivi la minéralisation de matières organiques issues
de déchets municipaux compostés ou non dans deux types de sol ;
ils ont appliqué des quantités apportées selon un gradient
allant de 1 à 8. Ils observent un taux de minéralisation
inversement proportionnel à la quantité de carbone organique
apportée quelque soit le type de sol mais uniquement pour des
matières organiques brutes telle que des déchets municipaux qui
n'ont pas subis de compostage préalable. En revanche, pour des
matières compostées, le taux de minéralisation du C n'est
pas affecté par le temps d'incubation, le type de sol ou la dose
d'application.
Ce travail a pour objectif d'étudier la
minéralisation de matières organiques apportées dans un
sol en fonction des leurs caractéristiques et des quantités
apportées. Ce travail présente les résultats de deux
expérimentations in vitro de sols incubés avec des
matières organiques à dose d'apport croissante. La
première expérimentation analyse les dynamiques de
minéralisation du carbone et de l'azote organique. Une deuxième
expérimentation répétée dans les mêmes
conditions a permis de mesurer l'évolution de la biomasse microbienne au
cours de l'incubation.
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