4.1.2 Prise en compte de la contingence et de la culture
dans le management des organisations africaines à travers l'approche
interculturelle.
Il se développe une analyse de plus en plus riche sur
les organisations africaines en général et leur management en
particulier (Kamdem, 2000, 2002). De la production scientifique sur le
management des organisations africaines, quelles que soient les perspectives,
un constat ce dégage: la variable culture constitue une dimension
centrale dans les études sur le management des organisations africaines.
Notre étude étant basée sur le cas d'une entreprise
familiale au Cameroun,
2 A ce propos, H. Amblard et al (2005) partent de
l'exemple d'une entreprise pharmaceutique pour expliquer la
diversité des comportements des acteurs au sein d'une
organisation.
3 J. Schumpter (1935) définit la fonction
sociale de l'entrepreneur en termes d'innovation et de changement. E.
Kamdem (2002) ajoute que l'entrepreneur est celui qui arrive
à faire une combinaison nouvelle et évolutive des facteurs de
production, autrement dit « à assurer la mobilisation des
ressources techniques et humaines dans une perspective essentiellement
innovatrice: changement de l'organisation et des méthodes de travail,
création de nouveaux produits, exploration de nouveaux marchés,
etc. »p.134.
la question principale à relever est celle de savoir
dans quelle mesure les cultures africaines favorisent ou ne favorisent pas la
réussite du management des formes d'organisations modernes ? Flusieurs
tentatives de classification émergent de la littérature.
B. Tidjani (1995) distingue 3 approches : anthropologique,
gestionnaire et politique.
Selon l'auteur, l'approche anthropologique a pour objectif de
« montrer que chaque entreprise constitue un cas particulier et que la
cohabitation entre les cultures africaines et les techniques de gestion moderne
est toujours possible ». Ici, l'unité d'analyse est «
l'entreprise », dont les implications sont que « les valeurs de
l'espace social peuvent toujours trouver un réemploi dans l'entreprise
de type moderne ; les contraintes découlant des techniques de gestion
modernes sont contournables ». Pour B. Tidjani (1995), l'approche
anthropologique a le mérite de reconnaître que le conflit entre
les cultures africaines et les techniques modernes de gestion n'est pas
insurmontable, cependant, elle pèche, comme les autres approches, par
une faible prise en compte des choix stratégiques de politique
industrielle des États et des entrepreneurs africains.
L'approche gestionnaire, dont l'objectif selon B. Tidjani
(1995) est de « faire ressortir les contradictions qui existent entre les
cultures africaines et les techniques modernes de gestion », se traduit
pour l'entreprise par des blocages incontournables à cause des
spécificités culturelles africaines. Cette approche souffre de
carences majeures selon l'auteur. En plus de la non prise en compte des choix
stratégiques des États et des entrepreneurs africains, la
méthode utilisée par les chercheurs est « a-historique et
statique » accordant peu d'attention ni aux évolutions culturelles,
ni aux processus d'adoption et d'apprentissage des techniques modernes de
gestion.
La dernière approche politique, a pour objectif d'
« utiliser les conflits entre cultures africaines et techniques de gestion
modernes comme argument dans le débat idéologique entre
impérialisme et développement ». Dans cette approche, on
s'intéresse à l'ensemble des entreprises utilisant les techniques
modernes de gestion pour montrer que l'importation de modèles
occidentaux de management ne saurait constituer un raccourci ou un substitut
durable aux méthodes de gestion bâties à partir de valeurs
et préoccupations de la majorité des populations africaines.
Cette approche, de nature manipulatoire, présente des limites notamment
dans la non prise en compte des stratégies étatiques et
entrepreneuriales, mais aussi, dans les retards accusés en terme de
formation et de développement en management.
Face aux limites de ces trois approches, l'auteur propose une
approche dynamique de l'étude du management des organisations africaines
pour « comprendre les processus d'adoption des techniques de gestion
modernes ». Il préconise l'utilisation de méthode
comparative, historique et institutionnelle pour rapprocher les pratiques
africaines de celles d'autres pays.
Au-delà de la comparaison et du rapprochement
souhaité ici par B. Tidjani, c'est l'ouverture laissée par les
différentes approches à l'adaptation d'une méthode
susceptible de prendre en compte,
au cas par cas, les spécificités des entreprises
africaines qui nous semblent importantes pour cette étude.
E. Kamdem (2000) distingue aussi trois tendances majeures
émergeant des travaux et s'intéressant au fonctionnement des
organisations africaines.
La première tendance dite « radicale »
considère que ce sont les caractéristiques de la culture
africaine, qui inhibent le développement des organisations dans le sens
où des normes économiques modernes comme la compétition
individuelle, l'accumulation matérielle, le calcul économique ou
encore la rentabilité financière, sont prohibés par la
culture traditionnelle africaine. Cette vision est présente dans les
travaux de Hyden (1983), Etoungua-Manguellé (1990) ou Kabou (1991).
Le second courant postule pour « un renouvellement des
analyses sur le thème de la culture pour que ce dernier soit
abordé dans une perspective résolument constructiviste ».
Cette vision réformiste de la culture est développée par
plusieurs auteurs (Bayart, 1996 ; Zady Kessy, 1998). Dans ce sens M. Zady Kessy
(1998) distingue des freins4 et des ressorts5 qu'offre la
culture africaine au management des organisations. Malgré le fait que ce
courant aborde la question de la culture avec plus de prudence, les auteurs
laissent le débat ouvert quant au rôle de la culture africaine
dans le fonctionnement des organisations.
Le dernier courant est qualifié par E. Kamdem (2000) de
managérial ou d'entrepreneurial, « en ce sens qu'il est
principalement incarné par des chercheurs (d'Iribarne, 1986; Aktouf,
1986) qui, sans nécessairement être issus d'institutions de
formation en gestion, s'intéressent à l'analyse des dynamiques
sociales dans les entreprises africaines ainsi qu'à la recherche de
paradigmes susceptibles de rendre compte de ces dynamiques ». Ce courant
représente dans la classification de B. Tidjani (1995), l'approche
gestionnaire, dont les tenants estiment que les traditions africaines influent
dans le fonctionnement des organisations. Les chercheurs étudient
comment les cultures africaines peuvent affecter positivement ou
négativement le pilotage des entreprises. Ce courant est le plus
prolifique dans les travaux sur le management des organisations africaines avec
des thématiques et des problématiques différentes et
variées6.
Si on s'en tient à la majeure partie des travaux sur
les liens entre management et culture (Hofstede, 1995 ; d'Iribarne, 1998),
c'est la contingence qui doit primer dans l'enseignement du
4 Les freins sont : Les pesanteurs et les effets de la tradition
communautaire, La vision mythique du chef et
l'exercice de l'autorité, La représentation et
l'utilisation peu productive du temps, La prédominance du sacré
et des comportements magico-religieux, La résistance à la
formalisation écrite et à la gestion procédurale,
L'opacité de la communication institutionnelle et le culte du secret,
L'attrait du conformisme et la résistance au changement, L'exercice
abusif du droit d'aînesse qui constitue un handicap majeur à la
mobilisation des cadets sociaux.
5 Les ressorts sont : La solidarité communautaire pour le
développement d'une éthique disciplinaire de groupe,
La socialisation de la parole donnée comme base de
construction du contrat de confiance, L'hospitalité comme moyen
d'insertion professionnelle des nouvelles recrues, L'enthousiasme individuel et
collectif comme source d'engagement professionnel.
6 Voir Kamdem, 2000, dans ce sens.
management, à moins qu'il y ait, là aussi,
« divorce entre pratique et recherche » (Demil & al. 2007). C'est
probablement ce qui poussent Hernandez et Kamdem (2007) ainsi que d'autres
chercheurs (Hernandez, 1997 ; Mutabazi, 2006) à promouvoir
l'enseignement d'un modèle managérial endogène,
développé à partir des pratiques « authentiques
» anciennes et nouvelles (Kamdem, 2002)7. Hernandez et Kamdem
(2007) appellent ainsi à l'enseignement d'une « autre gestion
» plus proche des valeurs culturelles africaines, et des tissus
économiques locaux où les activités agricoles et
informelles l'emportent largement sur le secteur dit « moderne »,
c'est-à-dire en fait occidentalisé ». Ainsi, il
faudrait abandonner les « bonnes recettes » des experts en gestion ou
autres consultants internationaux qui « ont longtemps prétendu
imposer en Afrique `la' bonne façon de manager, oubliant que les
présupposés culturels implicites de ce modèle
étaient fort éloignés du contexte africain et
réduisaient ainsi à néant ses chances d'y réussir
». Il ne serait donc plus question que l'africain change de
mentalité pour adopter les modèles occidentaux de management,
mais plutôt l'inverse ; c'est-à-dire que les modèles de
management mobilisés dans le contexte africain soient fondés sur
les réalités locales. L'histoire occidentale dans ce domaine doit
servir. Ge sont des praticiens, tels que Taylor, Fayol, etc., qui ont
élaboré les premières réflexions sur le management
à partir de leurs expériences personnelles. Le management en
Afrique ne devrait-il pas s'inspirer d'expériences de terrain dont
certaines ont fait l'objet de publications. B. Tidjani (1995) cite le cas,
notamment de l'ouvrage de E. S. Ndione (1994) sur « L'économie
urbaine en Afrique. Le don et le recours », ou encore «
L'aventure de l'entrepreneur en Afrique : Chronique sénégalaise
» de A. Bâ (2005), ainsi que les nombreuses expériences
contenues dans « l'Entreprise et l'Entrepreneuriat en Afrique, au
XIXème et XXème siécles »8. Gela fait
dire à E. Kamdem (2002) que, si ces expériences entrepreneuriales
étaient « bien étudiées en leur temps, elles auraient
pu constituer les prémices d'un management africain authentique et
fonctionnel, et susceptible d'être développé comme
modèle alternatif par rapport au modèle émergent à
l'époque en occident et devenu dominant par la suite notamment en
Afrique » (c'est le modèle OST de Taylor).
Par ailleurs, des efforts doivent être faits pour «
accroître le couplage du système Recherche- Pratique » dans
le contexte africain (Demil et al, 2007). Parmi les moyens à envisager
ces derniers proposent une méthodologie de recherche qui puisse
intégrer de nouveaux critères de validité tels que la
pertinence, la possibilité de mise en oeuvre ou la prise en compte de
contextes spécifiques9 ; promouvoir des méthodologies
telles que la recherche-action10.
7 Reprenant les actes de la conférence organisée en
1981 à l'université Paris VII sur « l'Entreprise et
l'Entrepreneuriat en Afrique, au XIXème et XXème
siècles » publié dans un ouvrage collectif en deux tomes en
1983.
8 Voir supra, p11
9 Jean Marc Ela (2001) fait la même
préconisation.
10 Emmanuel Seyni Ndione (1994) fait la même
préconisation.
Nous pensons à la suite de J.M Ela (2001), que la PME
familiale au Cameroun ne peut être compétitive que si une action
adaptée aux spécificités de son contexte local lui est
appliquée. Par ailleurs, à l'exemple de E.S Seyni Ndione (1994),
nous pensons promouvoir à travers cette étude la pratique de la
recherche intervention au Cameroun. En effet, il s'agit surtout ici de faire
jouer aux sciences sociales un rôle de premier plan dans le
développement de l'Afrique en général et du Cameroun en
particulier. Cette vision est notamment défendue par Claude Abé
(2003) dans « Les sociales et le devenir de l'Afrique ».
Nous nous devons à présent de faire ressortir les
difficultés auxquelles font face les entrepreneurs africains.
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