II.3.2 Style de management utilisé par le
propriétaire dirigeant
Le style de management utilisé au sein de l'entreprise
est à l'origine de nombreuses difficultés au sein de
l'entreprise. Les problèmes de management proviennent tout d'abord de
l'absence de formation et du manque de volonté du propriétaire
dirigeant à accepter la mise en place de procédures de gestion
financière pérennes. G Balandier (1981 :254) évoque la
possibilité de déséquilibre et de « choc »,
liés à la projection brutale du paysan africain dans le secteur
industriel, en passant du village à l'entreprise, c'est le passage d'un
milieu social à un autre, d'un age des techniques à un autre,
sans qu'il y'ait de ceux-ci à ceux-là les transitions
nécessaires. Et le dépaysement est d'autant plus total que
l'entreprise est plus contraignante. Dans le cas de la SMF, le
propriétaire dirigeant est passé brusquement à la mort de
son mari, du statut d'assistante sociale retraitée, titulaire d'un CAP
Couture à celui de Gérant d'une PME industrielle, d'un effectif
de plus d'une trentaine d'employés, réalisant un chiffre
d'affaires annuel entre 95 millions FCFA et 100 millions de FCFA. Cette rupture
pose le problème de l'absence de phase de transition, et, de
préparation au management d'une unité économique de cette
dimension. Pour G. Balandier (idem) diverses enquêtes
réalisées en Amérique Centrale, ont pu prouver que les
problèmes d'adaptation technique étaient plus faciles à
résoudre que les problèmes d'adaptation aux nouvelles conditions
sociales.
Les mesures d'ingénierie financière et le plan
social proposés par le cabinet de conseil fiscal et financier BIBA
conseils Sarl n'ont pas reçu le quitus du décideur. Ces mesures
devaient permettre un ajustement socio-économique à long terme de
l'entreprise. Elles avaient pour objectifs de rendre l'entreprise plus
compétitive, en ajustant ses charges sociales au niveau de ses
concurrents et de sa production vendue, ainsi que de contrôler ses flux
financiers, pour assurer la rentabilité de l'organisation. La gestion
financière de l'entreprise est opaque, et, seul le propriétaire
dirigeant en connaît tous les méandres, le comptable se contentant
de jouer le rôle de collecteur et d'archiviste de « rares »
factures et autres documents comptables et financiers. Tracy Goss et al (2000
:112) constatent, à travers un article paru dans le Harvard Business
Review, qu' « après 35 années de recherche,
d'écriture, d'enseignement et de conseils auprès d'entreprises
à quel point les dirigeants, et notamment les plus hauts placés,
négligeaient de réfléchir avec rigueur et patience
sur eux-mêmes et sur leurs idées. Ils sont
retranchés sur leur perchoir comme une aristocratie en danger,
drapés dans leur titre, sombres et isolés >>. Dans le
cas de la SMF, aux interpellations des intervenants, le propriétaire
dirigeant préférait se tenir à une gestion au jour le
jour, disant que certaines réformes se feront après son «
départ >>. A ce sujet, Roger Martin (2000 :129) partageant son
expérience de consultant en stratégie d'entreprise dans le
Harvard Business Review, commence seulement à mesurer à
quel point les organisations résistent mécaniquement aux
vérités nouvelles et à quel point cette résistance
peut devenir émotionnelle. Il semblerait comme le suggère G.
Balandier (1981 :251), que pour nombre de sociétés le sacrifice
de leur intégrité culturelle apparaît comme un prix trop
élevé payé au progrès.
Pour E. Kamdem (2002 :347), la résistance à
l'élaboration et à la mise en oeuvre des procédures
formelles et transparentes de gestion, favorise le développement d'un
flou organisationnel qui est une source considérable de pouvoir pour les
personnes en position d'autorité. Le contrôle total des aspects
financiers de la SMF par le propriétaire dirigeant annihile toute
tentative de prise de pouvoir forcé par ses enfants, qui sont aussi les
actionnaires de l'entreprise. Ces derniers s'exposeraient dans un premier temps
au refus catégorique d'accès aux comptes de l'entreprise par les
banquiers, car, ne sont autorisées que la signature du
propriétaire gérant et sa carte nationale d'identité. Nous
avons d'ailleurs pu nous apercevoir que les responsables des banques appelaient
la gérante par téléphone pour se rassurer, à chaque
fois qu'une personne (peu importe son statut) se présentait dans leurs
institutions avec son autorisation verbale ou écrite. Dans un
deuxième temps, la sanction utilisée pouvait être
pécuniaire, l'aide mensuelle adressée à certains
était susceptible de s'interrompre à tout moment. Un membre de la
famille nous disait que son refus manifeste de ne pas participer aux cultes de
l'église réveillée, dont faisait désormais partie
la gérante, lui avait valu une suspension temporaire de son aide
financière mensuelle. Pour E. Kamdem (2002 :351), ce type de pouvoir
revêt une forme néo-patrimoniale, mettant en jeu un double
mécanisme : accumulation à partir d'une position occupée
dans l'organisation, contrôle des biens et des services ; puis
redistribution et contrôle des personnes bénéficiaires.
Une contribution théorique est apportée par
Kamdem (2002 :144), lorsqu'il fait allusion au profil de l'entrepreneur
pleurnicheur. C'est celui qui refuse généralement de voir les
problèmes en face, s'engage dans une fuite en avant
délibérée et cherche toujours ailleurs les causes de ses
contreperformances ou de ses échecs. Par exemple, comme dans le cas dans
le SMF, il en voudra au banquier d'exiger le remboursement d'un crédit
obtenu quelques années plutôt et dont les délais de
remboursement sont largement dépassés ; à l'administration
fiscale d'exiger le paiement des impôts dus et pour lesquels plusieurs
moratoires ont déjà été accordés ; au
concurrent local qui innove d'abuser de ses relations et ressources
financières pour obtenir des marchés ; à l'entreprise
donneuse d'ordre de ne pas lui accorder les mémes
facilités qu'à ses concurrents ; au fournisseur de ne pas
être assez patient, alors qu'il a d'autres clients indélicats et
suffisamment de revenus pour vivre. Se sentant fragile et frileux, il est plus
porté à afficher ses faiblesses, méme s'il a des
potentialités réelles qui ne demandent qu'à être
développées.
Les relations du décideur avec le personnel sont
gérées à travers le rapport mère - enfants. Les
canaux de communications sont donc principalement informels et laissent libre
cours à la rumeur et à la manipulation. La proximité du
siège avec l'habitation du propriétaire dirigeant maintient cette
culture communautaire, et rend la relation entre la famille et l'entreprise
floue.
Le propriétaire dirigeant a écarté toutes
les mesures susceptibles d'avoir un impact sur un ajustement à moyen et
long terme, à savoir : les procédures d'ingénierie
financière ; déplacement des locaux de l'entreprise ; plan
social.... Exaspérer par l'insistance de l'équipe d'intervention
sur ce que ce dernier semblait percevoir comme une menace voilée sur les
zones d'incertitudes sous son contrôle.
Tous ces éléments confirment que le style de
management utilisé par le propriétaire dirigeant a
considérablement endigué les effets recherchés par la mise
en oeuvre d'un processus d'ajustement socio-économique de
l'organisation.
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