II.2. Analyse du système de gestion
financière de l'entreprise
Le système de gestion financière de la SMF est
piloté par la gérante, assistée par le comptable. Le
rôle du comptable est de collecter les factures et pièces
comptables, pour les transmettre au cabinet fiscal chargé de
l'élaboration des Déclarations Statistiques et Fiscales. En
outre, il est chargé du règlement des charges fiscales et
sociales mensuelles. La gérante effectue
personnellement tous les décaissements de l'entreprise
à la banque. Elle est la seule à prendre des engagements
financiers au compte de l'entreprise. Elle gère l'ensemble des
dépenses de l'entreprise. Elle nous a d'ailleurs confié qu'elle
était le Directeur Financier de l'entreprise. Chaque opération
financière nécessite donc au préalable son aval.
L'insuffisance de formation du comptable a été
révélée lors du diagnostic initial. Ce dernier
détient un Certificat d'Aptitude Professionnelle d'employé de
banque obtenu en 1990. Il n'a depuis son entrée au sein de l'entreprise
en 2001, subit aucune formation en ingénierie financière pour
être à méme de conseiller l'entreprise dans ce domaine. Un
entretien conduit avec ce dernier, montre qu'il n'a qu'une vision partielle et
parcellaire des dépenses engagées par l'entreprise. Sa vision est
essentiellement réduite aux charges fiscales et sociales de
l'entreprise. Il ne reçoit que quelques factures liées aux frais
de carburants et de consommables. Nous avons constaté, qu'en fin
d'année c'est un véritable parcours du combattant pour se
procurer des justificatifs (factures) nécessaires aux contrôles
fiscaux pour combler les écarts. En effet, les écarts entre les
montants de la production vendue visible sur l'historique bancaire, et, les
quelques pièces comptables sont en fin d'année 2007 de 12 000 000
(douze millions) Fcfa.
Les avis et conseils du cabinet de conseil fiscal et financier
retenu par le commanditaire en collaboration avec le décideur, lors de
la phase de mise en oeuvre des mesures proposées, pour l'ajustement de
l'entreprise en 2006, n'étaient plus pris en compte par la
gérante au cours des années 2007 et 2008. Pourtant, un plan
financier à moyen terme prévoyant un contrôle de la
rentabilité des opérations, et, la bonne utilisation des actifs a
été proposé, mais rejeté. Les relations du
décideur avec ce cabinet se sont dégradées, car, les
prestations de ce dernier n'avaient pas été réglées
par la SMF du mois de mai 2007 à juillet 2008. Ce conflit a abouti le 04
août 2008 à l'ordonnance N°0107 de saisie conservatoire des
créances, à la requête de la société BIBA
Conseils Sarl, BP 625 Edéa, rendue par Monsieur le Président du
Tribunal de Première Instance d'Edéa.
Ce pourrissement des relations avec ce cabinet retenu
principalement par le commanditaire, a débouché sur une crise de
confiance du décideur avec le commanditaire. Ce dernier nous a
révélé après entretien, avoir désormais
choisi l'adoption d'une stratégie de retrait et observait
l'évolution de la situation de l'entreprise.
Les marges dégagées par l'entreprise en
février 2007, ont en majorité servies à des
dépenses de prestige. Par exemple en mars 2007, ayant appris le projet
d'achat d'un véhicule de chantier vieillissant à un prix
prohibitif, de marque Toyota Pick up, par la gérante, nous nous sommes
empressés de lui présenter l'inopportunité d'une telle
dépense, surtout dans un contexte de sortie de crise. La réponse
donnée par cette dernière était : « laissez-moi
rêver ». En outre, nous avons pu constaté que l'aide du
dirigeant était fréquemment requise par les membres de la famille
pour les deuils, les mariages, etc. Cette dernière occupe une place de
pilier au sein de sa famille et de sa
belle famille depuis la mort du fondateur. Ces
prélèvements du dirigeant contribuaient à
déséquilibrer la structure financière de l'entreprise.
Nous avons notamment appris par un proche de la gérante, qu'un terrain
venait d'être acheté par cette dernière, pour la
construction d'une église en périphérie de la ville
d'Edéa. En outre, un des véhicules de l'entreprise était
fréquemment utilisé pour des campagnes
d'évangélisation ou des déplacements du pasteur de cette
église réveillée. Pour E Kamdem (2002 :352), le chef dans
l'organisation africaine contemporaine, parce qu'il très souvent
amené à se comporter comme un chef patrimonial (même quand
il ne le désire pas) apparaît essentiellement comme un chef
paternaliste. En d'autres termes, c'est un dirigeant qui est souvent la
cheville ouvrière d'un système généralisé
d'échange, de redistribution et de réciprocité, un
dirigeant dont l'autorité et la légitimité se mesurent
à sa capacité à mobiliser des ressources ainsi qu'à
sa générosité vis-à-vis de ceux qui l'entourent et
l'adulent (Kamdem, 2002 :352).
Nous avons constaté de nombreux retraits
injustifiés sur les relevés de comptes BICEC, la gérante
nous ayant déjà fait comprendre que c'était le seul
héritage que son mari lui avait laissé et qu'elle comptait en
jouir librement, nous nous sommes contentés d'observer seulement les
faits, sans plus requérir un nouvel entretien avec cette
dernière. Nous avons relevé que certains employés de
l'entreprise proches de la famille, étaient fréquemment
sollicités pour effectuer des travaux dans les palmeraies du
propriétaire dirigeant situées dans la localité, ces
derniers se pointaient personnellement des heures supplémentaires
indues, qui devaient être payées sur les recettes d'exploitation
de l'entreprise. On pouvait par exemple, relever sur leurs cartes de pointage,
des heures supplémentaires pouvant aller jusqu'à 15 heures par
jour de travail, payable sur la production vendue à la compagnie ALUCAM.
En bonne logique comptable, comme le précise P. Delalande (1987 :56),
ces aides financières, ces cadeaux aux membres de la famille ou de
l'ethnie devaient être prélevés sur les revenus personnels
du chef d'entreprise et non sur les recettes d'exploitation de l'entreprise.
Nous avons aussi relevé le manque de volonté du
dirigeant à mettre en place un système de gestion et
d'information financière adéquat, ce qui fragilise l'entreprise.
Nous n'avons jusqu'ici jamais ressenti pleinement l'implication des
actionnaires pour un redressement de la gestion financière de
l'entreprise. En 2008, une tentative d'implication dans cette sphère par
l'un des enfants du décideur a débouché sur un conflit
auquel nous avons assisté.
L'absence de stratégie financière est
d'après nos analyses et observations le facteur explicatif des
écarts constatés. Des problèmes enregistrés au
niveau des données financières découlent les
difficultés socio--économiques ci-après, à savoir
:
- Les problèmes sociaux de l'entreprise, car les
employés sont démotivés suite aux retards dans le paiement
des salaires ou au gel des avancements automatiques et des primes
d'anciennetés.
En outre, les cotisations sociales et les retenues fiscales ne
sont pas reversées. Les dettes contractées auprès des
institutions bancaires et des tontines sont rééchelonnés
avec de nouveaux intérêts ;
- Les difficultés industrielles de l'entreprise, car
les fournisseurs ne peuvent livrés les EPI et le matériel sans
être payés, ce qui handicape la production. L'absence de
matériel conduit à des malfaçons sur les chantiers et au
non respect des règles de sécurité. Ces situations
amènent généralement les responsables ALUCAM à
suspendre les chantiers de la SMF.
Cette lacune au niveau de la gestion financière a des
répercussions sur les données sociales et environnementales de
l'entreprise. La stratégie financière d'une entreprise est
communément appelée « ingénierie financière
». Cette expression nouvelle, qui est un néologisme par
francisation du terme anglais engineering, mentionné dans le
dictionnaire Grand Robert (1982), inclut l'idée
d'ingéniosité. Pour maîtriser la rentabilité globale
de l'entreprise, et, sauvegarder son autonomie financière, la
stratégie financière ou ingénierie doit en effet faire
preuve d'ingéniosité. Les entreprises en difficulté, plus
que les autres, ont besoin pour redresser la barre d'ingénierie
financière spécialement appliquée à la situation
qui leur est propre.
|