III.2. Organiser une soirée : une activité de
loisir entre amis
Anthony, et les autres organisateurs rencontrés aussi,
le racontent de la même manière, l'organisation de soirée
techno est une "occasion de faire la fête avec les copains". La
différence avec des soirées privées organisées
notamment pour célébrer un anniversaire, c'est qu'elles ne sont
pas prévues pour accueillir du public. Dans des événements
pouvant prendre de l'ampleur, la loi a posé des limites, car avec les
amis des amis, une fête peut devenir ingérable et porteuse de
risques pour les personnes, le matériel et les lieux. Les organisateurs
en parlent constamment, il s'agit d'un invariant majeur, la fête est un
lieu de sociabilité amicale. N'est-ce pas une caractéristique des
musiques populaires ? Norbert Elias et Eric During, dans un chapitre
intitulé "La quête du plaisir", propose une classification des
activités de temps libre. Il nomme la "sociabilité non formelle",
le temps libre employé par les individus dans des activités qui
"ne sont pas liées au travail, comme aller au pub, au club, au
restaurant, à une réception, bavarder avec ses voisins, rester en
compagnie d'individus sans rien faire, comme une fin en soi"59.
Toutes ces références aux amis, aux potes, aux copains sont de
cet ordre. Ce temps libre n'est certes pas employé à ne "rien
faire, comme une fin en soi", mais est mis à contribution pour
préparer et faire la fête. Il ne faut pas oublier qu'on ne devient
pas organisateur de soirée du jour au lendemain, que chacun, avant de
s'investir personnellement dans la construction de fête, était
lui-même un participant (Elias N. et Dunning E., 1986).
Henri a été "embrigadé par une bande
de potes" ; Stéphane a été "branché pour
aller faire des soirées" par un "mec" à
l'armée ; Anthony a "découvert ce que c'était les
soirées en Espagne, les soirées techno, en Espagne, avec des djs
français comme J. -R., Fred Tassy, Cybersonic, Spdy 'T et tout
ça" ; "dès qu'on voulait sortir, on était obligé
d'aller à Toulouse, Montpellier", raconte Julien. La
découverte du mouvement techno et des soirées a été
un moment convivial pour les organisateurs qui ont tenté de conserver
cette sociabilité en organisant à leur tour ou même ont
édifié l'organisation de soirée sur ce principe : "au
niveau des soirées comme on t'a dit, nous, on aime bien les faire avec
nos amis. C'est notre motivation de se regrouper [...] parce qu'il y a
un noyau qui est à Perpignan" (Renaud et Amélie
décrivant l'équipe de Psyva).
58 Rivière C., op.cit. pp.127-136.
59 Elias N. et Dunning E., Sport et
Civilisation : La Violence maîtrisée, 1998, Fayard p. 84. Cet
ouvrage est tout d'abord paru en 1986 sous le titre Quest for Excitement, Sport
and Leisure in the Civilizing Process, par Basil Blackwell Ltd. Ce chapitre est
la version revue de l'article "The Quest for Excitement in Unexciting
Societies", écrit en 1967.
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