III. De la communauté à l'équipe
Après avoir observé dans le réel ce fond
commun des organisateurs de soirées techno, il est légitime de se
demander de quelle manière l'organisation unie les organisateurs. En
d'autres termes, nous allons exposer ce qu'est la communauté dans une
lecture du sacré pour ensuite l'envisager à la lecture du
profane.
III.1. "La communauté trans(e)cendantale"53
Pour comprendre ce qu'anime certains organisateurs, on peut
s'intéresser à la thèse du rassemblement sacré dans
la réalité "post-moderne". Ces recherches sont celles qu'a
accompli Stéphane Hampartzoumian dans sa thèse sous la direction
de Michel Maffesoli. La fête techno y est interprétée comme
"la forme rituelle la plus en phase avec l'époque
contemporaine"54. La fête techno serait organisée
et rassemblerait ses participants pour lever les contraintes sociales qui
pèsent sur les individus. La "post-modernité" est cette
époque romantique du retour à l'utopie après les ravages
causés par la modernité : différenciation, urbanisation,
individualisation, désenchantement etc., autant d'effets destructeurs de
la communauté.
La fête techno s'est construite et a
évolué sur la transgression d'un interdit légal, la
limite. C'est le franchissement de ce seuil, la lime, qui
confère à la participation à la fête techno son
caractère de rite initiatique. "La procédure rituelle de la
fête techno ne vise essentiellement qu 'à produire une
effervescence sociale"55. L'auteur s'intéresse au
caractère collectif plutôt qu'au caractère
esthétique de la fête. Le groupe des participants de la fête
se transforme au cours de la fête en une communauté venue
ressentir la jouissance collective de la fête jusqu'au point de fusion
sans toutefois parvenir à fusionner. Pour justifier son propos, il va
puiser dans la littérature, les sciences humaines (où la
51 Mombelet A. et Walzer N.,
Metal et politique : pour une compréhension sociologique des
références aux extrémismes politiques dans la musique
metal. Cet article est tiré de leur interventions lors du Colloque
LAREQUOI du 17 janvier 2005 et de leurs thèses à
l'Université Paris-5, CEAQ.
52 Hebdige, D., Sous-culture, le sens du
style, éd. La Découverte, Paris, 2008.
53 Hampartzoumian S., op. cit. p. 295.
54 Hampartzoumian S., op. cit. p.105.
55 Hampartzoumian S., op. cit. p.264.
psychanalyse tient une large place), ainsi que dans une
enquête de terrain soumise à une "grille d'analyse durkheimienne"
pôlarisant les discours de participants entre le profane et le
sacré :
"J'ai eu l'occasion de montrer précédemment
combien chaque élément constitutif de la procédure
rituelle de la fête techno pouvait être lu à la
lumière de cette grille d'analyse, c'est-à-dire comment chaque
élément du rituel festif techno pouvait rendre compte d'une mise
en condition sociale propice à l'éclosion d'une expérience
sensible du sacré. Comment les caractéristiques propres du rituel
de la fête techno, c'est-à-dire le secret, la temporalité,
la spatialité et la transe, organisent le basculement de la
réalité sociale ordinaire en une réalité sociale
extra-ordinaire, basculement d'un registre profane à un registre
sacré "56.
Enfin, il nomme le groupe mis en évidence "la
communauté trans(e)cendantale" qui ne disparaît pas
totalement lorsque la réalité sociale réapparaît. Le
résidu de la fête demeure cette expérience de la
communauté engendrée par l' "effervescence sociale" et
deviendrait une "communauté neutre" dans sa
"synthèse soustractive"57 (Hampartzoumian S.,
2004).
Ainsi, le sentiment d'appartenance à une
communauté trans(e)cendantale peut expliquer le choix de l'organisation
pour les invidividus. Si l'échec de la fusion est "le point final de
la liturgie techno ", il est aussi le point de départ du
continuum de l'organisation de la fête techno, comme le retour
à cette communauté. Des organisateurs m'ont fait part de ce
sentiment comme Henri et je restitue la transcription pour nuancer ce propos
:
"Et à quoi ça sert que les jeunes
écoutent de la musique techno et organisent des fêtes où il
y a de la musique techno ?"
"Je sais pas, c'est apporter... c'est l'évolution
de la musique et c'est chercher une certaine sensation. On va dire ça
à la trance, c'est s'élever, c'est oublier tout ce qu'on a, tout
ce qu'on subit, tous nos problèmes, se lâcher sans
réfléchir et rencontrer des gens sans préjugés,
sans se soucier de son passé, de n'importe quoi. C'est sur le moment,
sur l'instant, tout le monde partage quelque chose. Dans la musique, on cherche
un état de bien-être. Moi, je le vois comme ça."
(Henri)
Henri semble décrire ce processus d'effervescence
sociale dans la fête techno dans des conditions différentes de
celles décrites pécédemment. Le secret n'est plus
respecté, l'organisateur détient cette informations. Et quand il
dit "on va dire ça à la trance", il révèle un
discours formaté par la techno, et exacerbé dans la trance. Par
conséquent, je met en doute le caractère sacré du rituel
mis en place
56 Hampartzoumian S., op. cit. p.265.
57 Hampartzoumian S., op. cit. p.295. Cette
référence à la "synthèse soustractive" est un
empreint à Emile Durkheim (tiré de), Les
Formes Elémentaires de la Vie Religieuse, le Système
Totémique en Australie, Paris, Quadrige, PUF, 1990.
par la fête techno concernant l'organisation. On peut en
revanche parler de la mise en place de « rite profane », «
sans référence à une quelconque mythologie
religieuse »58 (Rivière C. 1995).
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