I.2. Un dispositif juridique postérieur aux pratiques
d'organisations de fêtes techno.
Dans une conception matérialiste, le droit est un outil,
pas une fin en soi. Il est produit par des individus pour réguler la
vie sociale. Il ne pouvait donc pas être antérieur à
l'apparition du
38 Becker H.-S., op. cit. p.33
39 Becker H.-S., op.cit., p.38
40 Dagnaud M., op. cit., p.69 l'enquête
d'où provient cette statistique s'intitule d'ailleurs "Les Valeurs des
Jeunes" par la TNS-SOFRES du 23 novembre 2003. Mais on peut aussi renvoyer
à tous les ouvrages et enquête sur le thème de la
jeunesse.
mouvement techno tel qu'il s'est exprimé à ses
débuts mais se construire en fonction du "phénomène
techno". En 1995, la première circulaire émanant du
Ministère de l'Intérieur relative aux soirées techno,
s'intitulant "les soirées rave : des situations à hauts risques",
est en décalage complet avec le vent libertaire qui souffle dans le
mouvement. Elle contribue à la construction du stéréotype
"techno = exstasy" en cristallisant dans la réaction des agents de
l'Etat des préjugés sur la techno41. Une circulaire
est un acte administratif produit par un ministère à destination
des services subordonnés ou de tutelles pour commenter le droit positif
et expliquer son application. L'objectif de la circulaire de 1995 était
de fournir des informations sur ce nouveau phénomène et sur les
différents actes de police possible. La circulaire
interministérielle de 1998 émise par le Ministère de
l'Intérieur le Ministère de la Défense et le
Ministère de la Culture et de la Communication (marque la reconnaissance
du caractère culturel et artistique de la fête techno) a
été annoncée comme une victoire par le mouvement
institutionnel et l'association Technopol après le succès de la
première Techno Parade. Ce texte complète le
précédent, qui accusait les organisateurs de fêtes
d'organiser le trafic de stupéfiants, en leur reconnaissant certaines
qualités : "les organisateurs des concerts rave et techno, outre
qu'ils font preuve d'un professionnalisme accru, sont fermement résolus
à assumer leurs responsabilités et se montrent demandeurs envers
l'État, des règles applicables en la matière
"42 . Elle distingue deux types de raves : la
rave légale et la rave clandestine.
Ce n'est qu'en 2001, que le législateur intervient pour
encadrer le mouvement techno dans l'article 53 de la Loi du 15 novembre
relative à la sécurité quotidienne (LSQ). L'amendement
Mariani, complétant la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de
programmation relative à la sécurité (LOPS), reprend la
circulaire de 1998 et oblige dorénavant les organisateurs à
déclarer l'événement à la préfecture du
département où il devra se tenir, un mois minimum avant qu'il
n'ait lieu. Le décret du 3 mai 2002, modifié par le décret
du 26 mars 2006, précise ce dispositif légal.
Sont concernés par la loi, "les rassemblements festifs
[...] exclusivement à caractère musical, organisés par des
personnes privées dans des espaces qui ne sont pas au préalable
aménagés à cette fin, lorsqu'ils répondent à
l'ensemble des caractéritiques suivantes [...]", à savoir : la
diffusion de "musique amplifiée", "un effectif prévisible
de participants et du personnel susceptibles d'être atteint,
compte tenu de la surface du lieu du rassemblement, dépasse 250" (depuis
2006, "l'effectif prévisible de personnes
présentes sur le lieu du rasseblement dépasse 500"), une
communication à grande échelle et des "risques susceptibles pour
la sécurité des personnes" tenant au lieu du rassemblement.
À défaut de déclaration, l'événement est un
délit passible de sanctions43. Cependant les pratiques
étaient antérieures au dispositif juridique, si bien que sans la
volonté de respecter la loi
41 Beauchet A., Approches
stéréotypées et stéréotypantes de l'objet
techno, 05 mars 2004 disponible sur le site du GREMES.
42 Circulaire interministeriel du 29 décembre
1998 disponible en annexe p. 219
et avec le sentiment de ne pas faire de mal, ces pratiques se
sont répétées après l'entrée en vigueur de
la loi. Et ainsi, sans avoir changé, elles sont devenues
illégales. Le droit positif semble cristalliser deux types d'intention
des organisateurs : organiser volontairement dans le respect de la loi et
organiser volontairement dans la transgresseion de la loi. Deux types de
déviance correpondent à ces deux types de comportements selon le
modèle séquentiel d' Howard S. Becker : "conforme" et "pleinement
déviant". Mais nous le verrons par la suite, des organisateurs qui
devraient être classés dans la catégorie des organisateurs
conformes se considèrent "accusés à tort"44.
Dans la pratique, la procédure de déclaration
s'est transformée en procédure d'autorisation préalable.
Le mouvement techno s'est alors construit avec ce caractère
déviant revendiqué ou rejetté. Aussi, nous allons voir que
ce caractère se décline sous la forme de valeurs et discours
propres à ce mouvement culturel exprimant un militantisme libertaire.
|