2.1. La saisine de la C.I.J.
Les relations bilatérales Camerouno-nigérianes
retracent dans leur complexité les difficultés de la cohabitation
entre un pays au territoire très étendu et régi par une
structure fédérale et un autre aux dimensions plus modestes avec
un régime unitaire décentralisé et un pouvoir central plus
effectif. Afin de mieux situer la problématique des incertitudes
frontalières, il y a intérêt à retracer la situation
à partir des accords entre les puissances colonisatrices. En effet, la
délimitation des frontières entre le Cameroun et le Nigeria fait
l'objet des instruments juridiques couvrant la période allant du
congrès de Berlin (1884) à la fin de la colonisation (1960) d'une
part et de l'indépendance des deux pays à nos jours d'autre part.
· Accord germano-britannique (Avril-Juin
1885)
Il définit au lendemain du partage de l'Afrique les
sphères d'influence de l'Allemagne et de la Grande Bretagne à
partir de la côte du Golfe de Guinée. Par cet accord, la
séparation des sphères des deux puissances est
délimitée sur la côte par la rive droite du Rio del Rey qui
se jette dans la Mer.
· Accord anglo-allemand (11 Mars 1913)
Il concerne le tracé de la frontière entre le
Cameroun et le Nigeria de Yola à la Mer et la Réglementation de
la navigation sur la Cross-River. Cet accord résout toutes les
ambiguïtés probables et sert de document de référence
grâce à sa clarté sur le tracé de la
frontière entre le Cameroun et le Nigeria. Il est important de savoir
qu'un « accord » est une forme de traité
bilatéral non soumis à la ratification et qui entre en vigueur
dès sa signature. On l'a souvent taxé de traité de moindre
importance. Cependant, cet accord en forme simplifiée connaît un
important développement à l'époque contemporaine et n'est
nullement un traité d'importance secondaire.
· Déclaration de Maroua
(1er juin 1975)
Les Chefs d'Etat camerounais et Nigérian conviennent de
prolonger le tracé de la frontière maritime du point 12 au Point
G.
«La déclaration » est une
résolution adoptée par l'assemblée générale
des Nations Unies dans le but d'énoncer et de créer un
« modus vivendi » au sein de la communauté
internationale. On la considère à juste titre comme un code
d'éthique entre les Etats. Sa valeur juridique est souvent
controversée, car elle n'est assortie d'aucun mécanisme de
garantie(1). En titre d'exemple, la déclaration universelle
des droits de l'homme. Par contre, la déclaration de
paix est un simple discours tenu par un (des) Chef(s) d'Etat ou
de Gouvernement ou encore, par le ministre des affaires
étrangères pour réclamer un cessez-le-feu de la partie
adverse. La déclaration de Maroua fait partie d'une déclaration
de paix.
· Rencontre d'Abuja (10 Août 1991)
Le Chef de l'Etat Camerounais Paul BIYA se rend à Abuja
pour relancer les négociations sur les questions des frontières
suite à la menace d'occupation des zones lacustres du Cameroun par les
forces de l'ordre du Nigeria, sous prétexte de protéger les
pêcheurs Nigérians du lac tchad.
· Invasion nigériane à Bakassi
(21 Décembre 1993)
Au mépris de la Charte de l'Organisation de
l'Unité Africaine (O.U.A), notamment des principes du respect des
frontières héritées de la colonisation et du
règlement pacifique des différends et au mépris de tous
les accords conclus entre les deux pays depuis 1961, les forces armées
nigérianes franchissent la frontière et s'installent dans la
péninsule de Bakassi, précisément dans les
localités de Jabane et Diamond.
Eu égard à tout ce qui précède, le
Cameroun finit par procéder à la saisine de la C.I.J. Le 29 Mars
1994, ce fut la saisine de la C.I.J. : requête introductive du
Cameroun contre le Nigeria auprès de la C.I.J demandant de
reconnaître la souveraineté Camerounaise sur la presqu'île
de Bakassi. Le gouvernement de la République du Cameroun dépose
au Greffe de la Cour une requête introductive d'instance contre le
gouvernement de la République fédérale du Nigeria au sujet
d'un différend présenté comme « portant
essentiellement sur la question de la souveraineté sur la
péninsule de Bakassi ». Le Cameroun expose en outre dans sa
requête que la « délimitation de la frontière
maritime entre les deux Etats demeure partielle et que les deux parties ne
peuvent malgré de nombreuses tentatives, se mettre d'accord pour la
compléter ». Il prie en conséquence la Cour,
« afin d'éviter de nouveaux incidents entre les deux pays ...,
de bien vouloir déterminer le tracé de la frontière
maritime entre les deux Etats au-delà de celui qui est fixé en
1975 ». La requête invoque, pour fonder la compétence de
la Cour, les déclarations par lesquelles les deux parties acceptent la
juridiction de la Cour au titre du paragraphe 2 de l'article 36 du statut de la
C.I.J. Et conformément au paragraphe 2 de l'article 40 du statut de la
Cour, la requête est immédiatement communiquée au
gouvernement du Nigeria par le Greffier.
(1) HUMPREY, J., « La nature juridique
de la déclaration universelle des droits de l'homme », 12,
R.G.D.P., 1981, p. 397.
Le 06 Juin 1994, comme si la première requête ne
suffisait pas, le Cameroun dépose au Greffe une requête
additionnelle « aux fins d'élargissement de l'objet du
différend » à un autre différend décrit
dans cette requête additionnelle comme « portant
essentiellement sur la question de la souveraineté sur une partie du
territoire Camerounais dans la zone du lac Tchad ». Le Cameroun
demande également à la Cour, dans sa requête additionnelle,
de « préciser définitivement » la
frontière entre les deux Etats, du lac Tchad à la Mer, et la prie
de joindre les deux requêtes et « d'examiner l'ensemble en une
seule et même instance ». La requête additionnelle se
réfère, pour fonder la compétence de la Cour, à la
base de compétence déjà indiquée » dans
la requête introductive d'instance du 29 Mars 1994. Le greffier
communique, le 07 Juin 1994, la requête additionnelle au gouvernement du
Nigeria. La péninsule de Bakassi est une région d'un millier de
Km2 qui permet d'accéder au port Nigérian de Calabar.
Elle détermine la maîtrise exclusive des eaux territoriales et de
la zone économique d'une région riche en ressources
minières et en pétrole. Le Nigeria, du fait de sa population,
fait quelque peu pression sur son voisin Camerounais notamment sur les 1.800 Km
de frontière. Cette situation a atteint son apogée avec l'affaire
de la Presqu'île de Bakassi(1). La faiblesse de
l'armée Camerounaise, comparée à celle de son voisin,
explique le choix de ce pays pour une solution diplomatique. C'est du moins ce
que suggère un annexe du procès-verbal de la séance du 07
Avril 1998 du sénat français. Le Cameroun accuse, en effet le
Nigeria d'avoir au travers de son attaque violé son territoire, dont les
tracés ont été hérités de la colonisation.
Ceci alors que le Droit International Public est immuable sur la question des
limites territoriales puisque « le territoire est l'un des
éléments constitutifs d'un Etat. »(2)
Retenons que le 22 Mars 1994, le Cameroun soumet à la
Cour, organe judiciaire principal des Nations Unies, par son Excellence
Isabelle Bassong, ambassadeur du Cameroun au BENELUX, une requête
introductive d'instance contre la République Fédérale du
Nigeria. Selon le document original :
- Le différend porte essentiellement sur la question de
la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi, un territoire
d'environ 665 Km2 entre la Cross River et le Rio del Rey dont la
République Fédérale du Nigeria conteste l'appartenance
à la République du Cameroun.
- Cette contestation a pris la forme, depuis la fin de
l'année 1993, d'une agression de la part de la République
Fédérale du Nigeria dont les troupes occupent plusieurs
localités Camerounaises dans la presqu'île de Bakassi. Il en
résulte de graves préjudices pour la République du
Cameroun dont il est demandé respectueusement à la Cour de bien
vouloir ordonner la réparation.
- Afin d'éviter de nouveaux incidents entre les deux
pays, la République du Cameroun prie la Cour de bien vouloir
déterminer le
(1) Disponible sur http :
//www.afrik.com
(2) Catherine ROCHE,
op.cit, pp. 51-52.
tracé de la frontière maritime entre les deux
Etats au-delà de celui qui avait été fixé en
1975.
En dernière analyse, comme nous l'avions
déjà dit, le 06 juin 1994, le Cameroun introduit une
requête additionnelle dont l'objet du différend porte
essentiellement sur la question de la souveraineté sur une partie du
territoire Camerounais dans la Zone du lac Tchad située entre les
frontières Cameroun-Nigeria et Cameroun-Tchad jusque vers le milieu des
eaux restantes dont la république Fédérale du Nigeria
conteste l'appartenance à la république du Cameroun et sur le
tracé de la frontière entre République du Cameroun et la
République Fédérale du Nigeria du lac Tchad à la
mer.
|