METHODE
1. Sujets
Notre recherche porte sur des enfants sans handicap
scolarisés en moyenne section de maternelle et ayant suivi une classe
de petite section de maternelle l'année précédente.
Les enfants sont recrutés dans une même classe
d'une école maternelle publique en région parisienne. L'effectif
de la classe est de 24 enfants et l'ensemble des familles a accepté de
participer à l'étude. L'âge moyen des enfants est de 5 ans
compris entre 4 ; 6 ans et 5 ; 4 ans. Une enfant n'a pas
été incluse dans l'étude en raison de son
absentéisme et de ses difficultés à communiquer avec un
adulte. Le nombre d'enfants retenu est donc de 23.
Nos critères de recrutement sont :
1.l'âge, 2.l'absence de handicap et
3.la connaissance des enfants entre eux afin de faciliter les
interactions pendant les phases d'entraînement.
Nous partons du postulat en accord avec les résultats
de nombreuses recherches qu'en fin d'année de moyenne section les
enfants se trouvent dans la période au cours de laquelle il y a
émergence de la théorie de l'esprit sous une forme explicite.
Nous ne posons pas de critères
socio-économiques, culturels ou de quotient intellectuel. Le statut
dominant ou dominé de l'enfant au sein du groupe n'est pas
évalué mais nous tenons compte des affinités entre les
enfants pour la constitution des dyades des séances d'interaction afin
d'associer des enfants qui jouent fréquemment ensemble.
2. Procédure
L'objectif de cette recherche est dans un premier temps
d'évaluer le niveau d'acquisition de la théorie de l'esprit des
différents enfants du groupe afin de les répartir en groupes de
niveau. Dans un second temps, les enfants sont placés en situation
d'interaction sur des épreuves du même type mais pour lesquelles
les situations et les personnages varient. Les histoires mettant en oeuvre les
fausses croyances sont davantage représentées dans les
séances d'entraînement.
Les interactions peuvent être séparées en
deux groupes : Les interactions
« intergroupe » et
« intragroupe ». Dans le cadre des interactions
intergroupes, les enfants sont placés en interaction avec des enfants
de niveau d'acquisition de la théorie de l'esprit supérieur au
leur. Au contraire, dans les interactions intragroupe, les enfants sont
placés avec des enfants de même niveau pour répondre aux
questions posées.
La dernière étape consiste à faire passer
de nouvelles épreuves de fausse croyance individuellement. L'objectif
est d'évaluer les variations des scores aux épreuves après
l'interaction.
2.1 Matériel
Le matériel utilisé doit permettre
d'évaluer l'acquisition de la théorie de l'esprit. Nous avons vu
que toutes les épreuves d'évaluation de l'acquisition de la
théorie de l'esprit ne sont pas réussies en même temps. Les
progrès sont réalisés suivant un pattern relativement
constant. Nous avons donc choisi de présenter différentes
histoires portant sur des états mentaux de difficulté
d'accès considérée comme croissante.
Cinq histoires différentes sont proposées aux
enfants. La première histoire demande de prédire le comportement
d'un sujet en fonction de ses désirs. L'épreuve
considérée comme significative restant celle de fausse croyance
est déclinée selon trois modalités : contenu
inattendu, localisation inattendue et apparence-réalité. La
cinquième épreuve est jugée d'un niveau supérieur
puisqu'elle fait intervenir les émotions dans un contexte d'ignorance ou
de fausse croyance.
Nous avons intégré des questions
supplémentaires au questionnaire qui sont posées après
celle de prédiction des comportements. Ces questions présentent
un double objectif : Premièrement elles permettent de s'assurer que
les erreurs de prédictions de comportement formulées par les
enfants ne proviennent pas de difficultés de compréhension ou de
mémorisation des histoires présentées.
Deuxièmement, les questions permettent d'évaluer la
capacité des enfants à justifier leur réponse. Les
questions de justifications permettent ainsi une évaluation plus fine du
degré d'acquisition de la théorie de l'esprit. Elles permettent
également de lever toute ambiguïté lorsque les questions de
prédiction des comportements ne possèdent que deux
réponses possibles. En répondant au hasard, les enfants peuvent
répondre correctement avec une probabilité de 0,5.
Au cours des interactions, le langage correspond au mode de
communication privilégié entre les enfants même si d'autres
média peuvent être envisagés. Un traitement qualitatif des
échanges entre les enfants nous permet d'étudier la structure et
le contenu des phrases produites. L'objectif est de prendre en compte
l'influence du langage sur l'acquisition de la théorie de l'esprit
(Bouchand, 1998 ; Chanoni, 2004). Les questions ne contiennent pas de
verbes mentaux afin d'éviter la réutilisation spontanée
des verbes en fonction du contenu de la question. Leur utilisation ne sera donc
pas influencée par l'expérimentateur.
Le codage des réponses porte sur le type et
l'occurrence des outils langagiers suivants. : Verbes mentaux,
connecteurs, marques modales, habiletés pragmatiques ; structures
complétives (propositions enchâssées)
Les cinq histoires mettent en scène des figurines ou
utilisent des objets comme support afin de maintenir l'attention des enfants au
cours des différentes tâches. Les meta-analyses menées par
Wellman n'ont pas mis en évidence de variation du score selon les modes
de présentations des histoires entre vidéo, figurine, personnages
réels ou bande dessinée (Wellman, 2001 in Wellman, 2004). Par
contre nous avons choisi de ne pas rendre l'enfant actif dans le
déroulement de l'histoire compte tenu des effets contradictoires
observés selon les études. Dans certains cas la participation de
l'enfant favorise la réussite aux épreuves alors que d'autres
études aboutissent à un résultat inverse.
Nous ne présentons qu'un seul exemple d'histoire par
type d'histoire. Les autres exemples se trouvent en annexe.
2.1.1 Histoire de type 1 : Attribution de
désirs
Pour prédire le comportement d'un personnage, l'enfant
doit prendre en compte que deux personnes (dont l'enfant) ont des désirs
différents à propos d'un même objet.
Première histoire :
Qu'est-ce que tu préfères, les carottes ou
les tomates ?
Le bonhomme qui est assis sur la table
préfère le........ et n'aime pas beaucoup......
Questions :
« Qu'est-ce qu'il va prendre en premier sur la
table pour manger ? »
« Et toi »
« Pourquoi est- ce que vous ne prenez pas la
même chose ? »
2.1.2 Histoire de type 2 :
Croyance.
L'enfant doit juger qu'un personnage peut avoir des croyances
différentes des siennes. Dans cette situation, l'enfant ne peut pas
déterminer si les croyances correspondent à la
réalité ou s'il s'agit de fausses croyances.
Première histoire :
Regarde cette boite, est-ce que tu peux me dire ce
qu'elle contient ?
Ouvre-la et dis moi ce qu'elle contient.
Questions :
Est-ce que le bonhomme assis dur la table peut dire ce
qu'il y a dans la boite ? Pourquoi ?
Cette histoire a été présentée aux
enfants mais a été exclue du barème d'évaluation en
raison d'un biais lié au matériel utilisé. Les personnages
sont des poupées connues des enfants. Le coffre utilisé
appartient à Charlotte aux fraises. Un enfant a répondu
« oui » à la question de croyance et a
justifié sa réponse en disant que « elle le sait parce
que c'est le coffre de Charlotte et Angélique (la seconde poupée)
sait ce qu'il y a dans son coffre.
2.1.3 Histoires de Type 3 : Fausse
croyance : non accès à l'information
Nos histoires reprennent le modèle de Wimmer et Perner
qui met en scène Maxi. Nous demandons à l'enfant de
prédire le comportement d'un personnage et de justifier sa
réponse. Les questions de contrôle sont posées en dernier.
Dans cette situation l'enfant possède les informations pour savoir qu'il
s'agit d'une fausse croyance. L'enfant doit donc prédire le comportement
d'un personnage en tenant compte des représentations des personnages qui
diffèrent de celles de l'enfant. Il s'agit de l'épreuve majeure
du test de l'acquisition de la théorie de l'esprit.
Première histoire :
Charlotte aux fraises et Angéliques sont dans la
chambre de charlotte. Charlotte se prépare pour aller à
l'école. Sa maman ne veut pas qu'elle emmène son chapeau alors
elle le range dans son armoire, ici. Quand elle est partie, Angélique
sort le chapeau et joue avec. Et elle le range dans le coffre avant de partir
aussi à l'école.
Questions :
« Quand Charlotte va revenir, où est-ce
qu'elle va aller chercher son chapeau en premier ? »
« Est-ce que tu peux m'expliquer
pourquoi ? »
« Où est-ce qu'elle à
laissé son chapeau avant de partir ? »
« Où est le chapeau quand elle
revient ? »
« Est-ce que charlotte a vu Angélique
ranger le chapeau ? »
2.1.4 Histoire type 4 : Fausse croyance :
apparence réalité
Nous utilisons un objet ayant une apparence surprenante par
rapport à sa fonction (bougie en forme de boule de sapin de noël
ou de bonhomme de pain d'épice). Au début de l'épreuve,
l'objet est placé sur une table éloignée de l'enfant. Nous
lui demandons dans un premier temps de nommer l'objet. L'objet est ensuite
amené à l'enfant et nous lui demandons d'identifier à
nouveau l'objet afin que l'enfant remarque que l'apparence de l'objet est
trompeuse et ne renseigne pas sur la nature réelle de l'objet.
Questions :
« Qu'est-ce qu'il y a sur la table
là-bas ? »
« Tiens prends et regarde bien. Qu'est-ce que
c'est ? »
« Quand tu as vus cette chose sur la table
qu'est ce que c'était pour toi ?»
« Est-ce que tu peux m'expliquer
pourquoi?»
Cette épreuve permet d'identifier si l'enfant peut
reconnaître qu'il avait des représentations erronées de la
réalité et que ses représentations sont différentes
au moment où nous lui posons les questions.
2.1.5 Histoire de type 5 : Fausse
croyance : contenu inattendu
Au cours de cette épreuve, nous présentons aux
enfants un objet qui leur est familier (boîte de crayons, boîte de
bonbons ou de biscuits). Le contenu de la boîte est différent de
celui attendu par l'enfant. Les boîtes peuvent contenir des crayons ou
des légumes par exemple. Avant d'ouvrir le récipient, nous
demandons aux enfants de deviner ce qu'il contient. Ensuite nous demandons aux
enfants d'ouvrir la boîte et de décrire ce qu'elle contient.
La question test est la suivante
« Avant d'ouvrir la boite qu'est-ce que tu pensais
du contenu de la boîte ? »
Cette question porte sur le rappel des représentations
de l'enfant avant l'ouverture de la boîte. Cette première question
est complétée par la suivante
« Si quelqu'un arrive maintenant dans la
pièce que dira-t-il si on lui demande ce qu'il y a dedans ?
».
Cette tâche est très proche de celle de
l'apparence réalité.
2.1.6 Histoire type 6 : Fausse
croyance associée à un état
émotif
Ces histoires sont basées sur le modèle du petit
chaperon rouge. Lorsqu'il frappe à la porte de sa grand-mère, le
petit chaperon rouge ignore que le loup a pris la place de sa grand-mère
alors que l'enfant qui écoute l'histoire le sait. L'état
émotif du petit chaperon rouge doit être déterminé
en fonction des connaissances dont il dispose et non en fonction des
connaissances de l'enfant. Le petit chaperon rouge n'a donc aucune raison
d'être effrayé.
Dans chaque histoire l'enfant doit prédire
l'état émotif d'un personnage à deux instants
différents de l'histoire. Nous lui demandons de justifier ses
réponses et posons les questions de contrôle pour finir. Nous
attendons des états simples et bien différenciés (joie,
colère, tristesse, content, bien). Si l'enfant n'a pas d'idée,
nous lui proposons quelques exemples dont la réponse attendue. Par
contre, nous ne donnons aucun indice sur l'état émotif du
personnage.
Première histoire :
Charlotte construit une belle étoile avec ces
carottes et ces tomates. Elle n'a pas terminé mais elle doit partir
faire du patin à glace avec ses copines. Pendant qu'elle est dehors,
Angélique entre et défait son étoile. »
Questions :
« Qu'est-ce que Angélique a fait pendant que
Charlotte est dehors ? »
« Comment se sent Charlotte, quand elle est
dehors avant de revenir dans sa chambre ? »
« Est-ce que tu peux expliquer
pourquoi ? »
« Et comment se sent Charlotte quand elle arrive
dans sa chambre après le patin ?»
« Est-ce que tu peux expliquer
pourquoi ? »
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