1.4 Les épreuves permettant de mettre en
évidence l'acquisition progressive d'une théorie de l'esprit
La force de la théorie de l'esprit tient aussi en
partie à la solidité des résultats expérimentaux.
Une grande variété de tâches a été
imaginée par les psychologues du développement afin de
détecter le passage à une théorie de l'esprit. Ces
différentes épreuves s'attachent le plus souvent à un des
états mentaux identifiés comme reliés à la
théorie de l'esprit. Il s'agit des tâches de fausse croyance,
d'émotion, de désir, d'intention, ou encore d'ignorance.
La première tâche fut celle de fausse croyance
proposée par Wimmer et Perner en 1983 : la scène du petit
Maxi (Wimmer et Perner in Bradmetz, 1999). L'enfant est considéré
comme ayant accès à la théorie de l'esprit lorsqu'il va
prédire que Maxi va aller chercher le chocolat au mauvais endroit parce
qu'il ignore que le chocolat a été déplacé par la
mère de Maxi en son absence. Ce qui marque bien que les enfants
comprennent que des représentations sur un même état du
monde peuvent différer selon les sujets et les informations dont ils
disposent (Bradmetz, 1999).
Ces premières expériences ne tenaient compte que
de la validité de la réponse sans s'attacher à la
justification du choix. Par la suite d'autres expériences utilisant le
même scénario intégrèrent des questions demandant
à l'enfant de justifier sa réponse afin d'ajouter une composante
qualitative. Ces justifications sont d'autant plus importantes pour les
modèles qui considèrent la formulation explicite du raisonnement
comme primordiale (Gopnik, 1993 in Bradmetz, 1999). Ces justifications
permirent également d'étudier les corrélations entre le
développement de certains aspects du langage et l'accès à
la théorie de l'esprit.
Les épreuves de fausse croyance présentent de
nombreuses autres variantes (Wellman, 2001 ; Wellman, 2004) comme les
épreuves de contenu inattendu ou celles
d'apparence-réalité. L'objectif étant différent, il
ne s'agit plus de tester la prise en compte des différences
d'états mentaux des sujets selon les informations dont ils disposent
mais d'évaluer la capacité de l'enfant à prendre
conscience que les états mentaux d'un même individu au cours du
temps peuvent varier en fonction de ses expériences. Avant
l'accès à la théorie de l'esprit, les enfants
« oublient » leur surprise face au contenu inattendu d'une
boîte de bonbons remplie de crayons par exemple.
Il est possible d'établir une classification des
épreuves en fonction de l'âge moyen de réussite (Wellman,
2004, Wellman, 2001). Les épreuves les plus simples étant celles
de désir et de croyance alors que les épreuves de fausse croyance
sont en moyenne réussies plus tardivement. Par contre les
différentes tâches portant sur la fausse croyance sont le plus
souvent réussies simultanément. De plus la réussite aux
épreuves de fausse croyance ne survient presque jamais avant celles
reliées aux émotions (Wellman, 2004).
Les différences entre les protocoles
expérimentaux ne peuvent pas expliquer seules les variations. Cette
réussite graduelle aux épreuves semble indiquer que les
difficultés croissantes rencontrées par les enfants sont
liées à des difficultés croissantes de
compréhension de la subjectivité mentale. Les enfants
réussissent plus précocement les épreuves de désirs
car cet état mental est plus facilement accessible que les croyances.
Les résultats expérimentaux sont donc sous-tendus par des
difficultés conceptuelles.
L'entraînement peut également jouer un rôle
dans la réussite des épreuves. En effet un entraînement
simple sur ces différentes épreuves permet une augmentation des
scores entre les épreuves de pré test et de post test (Hale,
2003). Cet effet d'entraînement n'est pas spécifique à un
type d'épreuve donné. L'entraînement sur des
épreuves de fausse croyance entraîne une amélioration des
résultats aux épreuves d'apparence-réalité ou
d'émotion. Ce facteur entraînement est donc à prendre en
compte dans les études au cours desquelles les enfants passent plusieurs
séries d'épreuves. Il est à noter que certains auteurs ne
remarquent aucune amélioration des résultats après
entraînement lorsque celui-ci ne fait pas intervenir le langage ou
lorsque l'expérimentateur se limite à indiquer si la
réponse est correcte ou erronée avant de donner la bonne
réponse (Clements, 2000 in Lohmann, 2003).
L'âge moyen d'acquisition d'une théorie de
l'esprit varie selon les auteurs. Mais l'ensemble des auteurs s'accorde
à dire que les enfants n'accèdent pas à la théorie
de l'esprit avant l'age de quatre ans. Les différences tiennent en
partie au degré de réussite des épreuves de fausse
croyance. Si la simple réussite aux épreuves est prise en compte
alors l'âge de quatre ans sera retenu. Par contre si on attend que les
réponses soient accompagnées d'une justification correcte alors
l'accès complet à la théorie de l'esprit est beaucoup
plus tardif.
Gauthier et Bradmetz (2004) replacent l'acquisition de la
théorie de l'esprit par rapport au modèle piagétien dans
une étude basée sur les compréhensions d'épreuves
de fausse croyance de second ordre. Dans ces épreuves les enfants
doivent « être capable de différencier non seulement
l'attitude propositionnelle d'un sujet A de celle d'un sujet B mais, aussi,
l'attitude propositionnelle d'un sujet B à propos de celle de A. Dans
leur étude ces auteurs soulignent la difficulté des enfants
à réussir ces épreuves avant l'accès au stade
piagétien des opérations concrètes.
L'acquisition complète de la théorie de l'esprit
est donc répartie sur plusieurs années au cours desquelles de
nombreux facteurs vont intervenir sur sa construction pour devenir
complète vers l'âge de 6-7 ans.
|