Paragraphe 2: l'évolution et l'élargissement
du concept de sécurité alimentaire
8 La sécurité
alimentaire, une idée
ancienne et universellement
partagée
Si le concept de sécurité alimentaire ne date
que de notre époque, l'idée n'en demeure pas moins très
ancienne. En fait, les sociétés anciennes avaient mis en place
des politiques de sécurité alimentaire prévoyant une
réglementation sévère des marchés vivriers,
à l'image du système des greniers africains. Dès le moyen
âge, les villes européennes dotées progressivement d'un
degré avancé d'organisation économique et politique sont
à même de garantir l'approvisionnement d'une ville croissante.
Dans une perspective biblique, le récit de Joseph, fils
de Jacob, devenu gouverneur en Egypte après avoir été
vendu par ses propres frères, nous en fournit un bel exemple.
L'idée même de sécurité alimentaire est née
de la peur très ancienne de manquer de nourriture. Elle participerait de
ce fait de l'instinct de survie humaine, voilà pourquoi elle est
inhérente à toute société. En réalité
elle fait partie de l'histoire naturelle des hommes et constitue de la sorte la
fondation de l'édifice sociétal et social.
9 Les années
70 et l'émergence
du concept
Le concept de sécurité alimentaire est né
des années 70. Apparaissant à cette époque dans de
nombreux discours officiels, il a aujourd'hui évolué de
considération, englobant plusieurs aspects d'ordre, économique et
politique.
10 Les années
80 et l'enrichissement
du concept
Si dans les années 70, on appréhendait la
sécurité alimentaire comme liant la disponibilité des
biens et la capacité à les acquérir, le retour au
libéralisme dans les années 80, va en consacrer une autre
définition reposant sur les nécessités de l'ajustement
structurel afin de résoudre la crise de l'endettement. On y
réserve un champ d'intervention en faveur des couches les plus
vulnérables de la population. L'approche la plus récente de la
sécurité alimentaire est certainement liée à
l'émergence du concept de développement humain. Celle-ci comporte
principalement deux aspects:
1 La création de capacités personnelles par les
progrès en matière de santé, de savoir, et d'aptitude,
2 L'emploi que les individus font de ces capacités dans
leurs loisirs, à des fins productives ou culturelles, sociales et
politiques.
On y retrouve les trois indicateurs-clés suivants:
espérance de vie, alphabétisation, accès aux biens et
service de base.
La sécurité alimentaire est une notion
transversale qui renvoie à de nombreuses
Considération : développement
économique, politique agroalimentaire, relations Nord-Sud...
Dans le contexte des relations Nord-Sud, la
sécurité alimentaire se double d'une autre notion, celle de la
souveraineté alimentaire. La souveraineté
alimentaire désignerait le droit des populations, de leurs
Etats ou fédérations à définir librement leur
politique agricole alimentaire, sans fausser le jeu de la concurrence à
travers le dumping. Elle inclut donc la priorité donnée à
la production agricole locale pour nourrir la population, l'accès des
populations rurales (notamment les paysans) à la terre, à l'eau,
aux semences et aux crédits. Certains y voient l'occasion
d'opérer des réformes agraires et de lutter contre le
phénomène des OGM considéré comme une
véritable entrave au libre accès aux semences. L'idée de
souveraineté alimentaire promeut donc le droit des paysans à
produire des aliments de leur choix et le droit des consommateurs à
pouvoir décider librement ce qu'ils veulent consommer.
11 L'internationalisation
du concept
Le moins qu'on puisse dire, c'est que le concept de
sécurité alimentaire se meut dans le courant controversé
de la mondialisation et de l'internationalisation. Au plan international, la
sécurité alimentaire constitue une des préoccupations
majeures de la communauté internationale. Cet intérêt s'est
traduit par la mise sur pied de la FAO principalement chargée des
questions alimentaires dans le monde. En dépit du fait que les
situations d'insécurité alimentaire soient toujours
localisées, elles peuvent être qualifiées de mondiales.
C'est d'ailleurs à juste titre que l'organisation mondiale en a fait son
cheval de bataille comme en témoignent les nombreuses conférences
qu'elle organise autour de cette question cruciale. A l'Organisation des
Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture vont se greffer d'autres
organismes dans le traitement de la question de la sécurité
alimentaire. Il s'agit de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS),
l'Office International des Epizooties (OIE), la Commission Codex Alimentarius
et l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
Le
problème de la
juridicité du
concept
Si le droit à l'alimentation fait l'objet d'une
consécration juridique officielle, il n'en va pas de même de la
notion de sécurité alimentaire qui a glissé dans le
discours politique des années 70. En effet, aucun texte contraignant au
plan international ne fait usage du concept de façon expresse. Cela
s'explique par le fait que le concept en lui-même a été
dégagé bien tard après l'adoption de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme et le Pacte International relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels qui eux consacrent clairement le droit
à la nourriture. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue le fait
que la sécurité alimentaire repose d'abord sur le droit à
la nourriture qui en est la pierre angulaire. Considérer la
sécurité alimentaire comme un droit à part entière
aide à se concentrer sur les questions cruciales de la
responsabilité et de la non discrimination, qui ont aussi leur fondement
dans la loi des droits de l'homme. En résumé, la
sécurité alimentaire en tant que droit socio-économique,
concerne la bonne gouvernance et l'attention aux plus démunis et aux
marginalisés.
Le principal problème est que la reconnaissance de ce
droit sous-entendrait des prestations de la part des Etats vis-à-vis de
leurs populations respectives. Or il a souvent été argué
que le contenu de l'article 11 du Pacte International relatif aux droits
économiques sociaux et culturels qui consacre justement le droit
à la nourriture était trop vaste pour conférer des
obligations matérielles à la charge des Etats. Il est
considéré comme ayant une simple valeur programmatoire. Pour
Magaret VIDAR du bureau juridique de la FAO, « les gens
ont la responsabilité de se procurer leur nourriture, aussi
ne peut-on automatiquement s'en prendre à l'Etat pour la malnutrition.
« Mais l'Etat peut être responsable d'une circonstance qui la cause;
par exemple les populations doivent disposer de revenus suffisants ou d'un
accès à la terre pour acheter ou cultiver de la nourriture
», fait-elle remarquer.
Cependant, même lorsqu'au plan interne, le droit
à la nourriture fait l'objet d'une constitutionnalisation comme c'est le
cas en Afrique du Sud, il est rarement justiciable dans la mesure où
« les gens qui meurent de faim n'ont guère les moyens
d'intenter un procès. »
De ce point de vue, la sécurité alimentaire
reste une équation quasi-insoluble, insolubilité rendue plus
critique par l'imbroglio entretenu autour de la dialectique OGM /
sécurité alimentaire.
|