Section 2 : La responsabilité et la
réparation des dommages découlant de l'utilisation des
biotechnologies modernes
Tous les systèmes de droit comportent, plus ou moins
élaborés, des mécanismes organisant la
responsabilité de leurs sujets. Cela suppose que les sujets de droit
engagent leur responsabilité lorsque leurs comportements portent
atteinte à l'ordre public ou aux droits et intérêts des
autres sujets de droit.
Dans l'ensemble, les textes juridiques qui font l'objet de
notre étude montrent que les biotechnologies ont un caractère
ambivalent. En effet, s'il est reconnu que celles-ci peuvent contribuer au
développement des sociétés, l'on ne saurait pour autant
nier les risques que leur utilisation pourrait faire peser sur la santé
humaine et l'environnement. Pour circonscrire ces risques et les minimiser ces
textes organisent des régimes de responsabilité et de
réparation sur les OGM. Les OGM posent un problème
général lié à l'environnement. Les problèmes
de la responsabilité qui seront traités ici le seront
nécessairement dans le cadre du droit de l'environnement.
Paragraphe 1 : le problème de la
responsabilité
La responsabilité environnementale se donne en droit
comme le moyen par lequel celui qui occasionne une atteinte à
l'environnement est amené à réparer le dommage qui en
résulte. Les références à la responsabilité
apparaissent dans de nombreux traités internationaux qui
préviennent sur l'obligation de réparer les torts
occasionnés. Dans la plupart des textes, cette obligation s'applique
à des individus ou à des opérateurs privés auteurs
de l'action211. La responsabilité est
généralement stricte : le plaignant n'a pas à prouver
que le responsable était bien en faute, mais simplement que
l'activité ou le service fourni est bien la cause du dommage pour lequel
il cherche compensation. La plupart des Etats sont déjà pourvus
de lois nationales sur la responsabilité obligeant les responsables d'un
dommage causé par leur activité ou leur produit à
dédommager les victimes. Ces lois devraient aussi s'appliquer aux
dommages causés par les OGM. De plus l'article 27 du protocole de
Carthagène demande aux parties d'adopter « un processus
visant à élaborer des règles et procédures
internationales appropriées en matière de responsabilité
et de réparation pour les dommages résultant de mouvements
transfrontières d'organismes vivants
modifiés ». Récemment, face à la
diffusion des biotechnologies modernes, certains Etats et régions ont
entrepris d'élaborer des régimes de responsabilité
spécifiques aux dommages liés aux OGM, comme c'est le cas par
exemple de la loi modèle africaine sur la sécurité en
biotechnologie. Un régime international sur la biosécurité
pourrait correspondre en partie au schéma des régimes de
responsabilité fixés par traité, étant donné
la nature transnationale de l'activité en cause et les risques qu'elle
comporte. Certaines des solutions adoptées dans les régimes de
responsabilité internationaux existants pourraient servir utilement de
modèle aux Etats signataires du protocole de Carthagène lors de
leurs débats sur l'article 27. Mais, sur d'autres aspects, le
régime de biosécurité se montera plus novateur. Le
degré d'incertitude quant aux effets des OGM sur l'environnement et le
rôle du principe de précaution dans ce contexte seront
probablement à l'origine d'âpres discussions lorsque les Etats
aborderont la question de la mise en forme des règles et
procédures de responsabilité dans ce domaine. L'avant-projet de
loi sur le cadre national de biosécurité a été
déterminant sur cette question dans la mesure où son
mécanisme de responsabilité prévoit des sanctions
pénales.
Le processus initié sous l'article 14 de la Convention
sur la Biodiversité devrait particulièrement intéresser
les signataires du Protocole de Carthagène. Cet article invite en effet
la Conférence des parties à se pencher sur la question de la
responsabilité et de la réparation pour les dommages
causés à la diversité biologique sur la base des
« études qui seront entreprises ». Ceci prend en
compte des questions de restauration et de compensation mais omet d'examiner la
responsabilité dans la mesure où celle-ci est « d'ordre
strictement interne ». Même s'il y a quelque double emploi dans
les questions abordées dans les articles 14 de la Convention sur la
biodiversité et 27 du Protocole de Carthagène, d'importantes
différences existent. L'article 14 se rapporte aux dommages
causés par les organismes vivants modifiés et ne se
préoccupe que des atteintes à la biodiversité en ignorant
les autres types de dommages tandis que le régime de
responsabilité du protocole devra finalement prendre en compte, les
atteintes à la santé humaine et à la
propriété.
En outre, il convient de rappeler que dans tout régime
international de responsabilité, les parties doivent s'entendre sur la
nature des dommages à couvrir. Certains instruments juridiques couvrent
un éventail de dommages tels que la perte de vie, les dommages
personnels et les atteintes à la propriété212,
tandis que certains instruments précisent que pour entrer dans la
définition du dommage, le préjudice subi par l'environnement ne
doit pas être insignifiant. On peut se demander ce qu'il en est pour les
dommages environnementaux imputables aux OGM : existe-il un niveau de
contamination par du matériel génétiquement modifié
suffisamment élevé pour constituer un dommage signifiant à
l'environnement ? Doit-on fixer un seuil à partir duquel la
contamination sera considérée comme effective et
signifiante ? Sinon au regard du principe de précaution, est-il
utile de fixer un tel plafond ?
Enfin, dans les régimes de responsabilité
stricte, la responsabilité est portée sur une personne en
particulier qui devient alors le référent pour toute poursuite ou
demande d'exonération. Divers instruments viennent résoudre la
question de qui doit être tenu responsable. Selon le cas, ce peut
être l'opérateur ou la personne chargée de contrôler
l'installation ou l'activité mise en question. Dans d'autres cas, le
responsable peut être une personne qui n'est pas directement
chargée de ce contrôle mais qui est partie prenante de
l'activité à un moment donné, par exemple l'armateur dans
les régimes sur la pollution par hydrocarbures. Dans un certain nombre
de cas, le poids de la responsabilité peut être partagé
entre les différents acteurs impliqués dans l'activité.
Dans le cas des mouvements transfrontières des organismes vivants
modifiés, si l'on adopte la responsabilité stricte, les Etats
devront prendre en compte les différents acteurs de la
chaîne : les fabricants, les producteurs, les exportateurs, les
transporteurs et les importateurs. Ils devront aussi déterminer sur qui
doit reposer la responsabilité tout en assurant une répartition
équitable de la charge.
Paragraphe 2 : le problème de la
réparation
Comme toutes les innovations, les OGM peuvent comporter des
risques. La nouveauté de ces produits justifie que leur
développement soit inscrit dans un cadre législatif ou
réglementaire très exigeant. Une société
créatrice peut-elle être une société sans
risques ? Assurément non ; mais il convient de les encadrer.
Ce paragraphe sera consacré à l'examen de
certains principes clés qui jouent un rôle moteur dans le
déclenchement du mécanisme de la réparation. Le premier
principe identifié est le principe de
précaution. Il met en évidence les rapports entre le
droit et la science. Il a pour ambition d'exercer un certain contrôle sur
la technique et la science. Il s'efforce de remonter en amont alors que,
souvent, le droit court, plus ou moins essoufflé derrière cette
dernière. En termes caricaturaux, il se traduit par le dicton
« Dans le doute, abstiens-toi » et aussi à un
impératif : « Mets tout en oeuvre pour agir au
mieux ». La mise en oeuvre du principe signifie soit ne pas
agir c'est-à-dire respecter une obligation d'abstention, renoncer
à une action non maîtrisée, soit prendre des
mesures juridiques et autres pour limiter les futurs effets sur
l'environnement et la santé. Il faut cependant reconnaître avec
Jean-Marc LAVIEILLE que « plus on attend pour
légiférer, plus il est difficile de le faire. Plus on attend pour
résister, moins on est capable de dire non, d'effectuer des remises en
cause »213. Il existe certainement une nuance entre
prévention et précaution. En effet lorsqu'il y a certitude sur un
phénomène et sur les conséquences d'une action face
à celui-ci, on se trouve dans une situation de prévention. On a
la connaissance du risque. Par contre la précaution est une attitude qui
consiste à prendre des mesures face à un risque inconnu ou mal
connu. Sur la responsabilité pour manquement aux obligations
découlant du principe de précaution, on retiendra que peut
être jugé responsable, non seulement celui qui n'a pas pris de
mesures de prévention du risque mais aussi celui qui en cas
d'incertitude n'aura pas eu une démarche de précaution. Le
principe de précaution consiste désormais à dire que
« non seulement nous sommes responsables de ce que de ce que nous
savons, de ce que nous aurions dû savoir, mais aussi, de ce dont nous
aurions dû nous douter. » Tel que présenté, le
principe de précaution laisse peu de chance aux contrevenants (Etats ou
individus) d'échapper à leur responsabilité pour dommage
causé par l'utilisation des OGM, à l'environnement ou à la
santé. Invoqué régulièrement, le principe de
précaution est également controversé. Pour certains, sa
mise en oeuvre va conduire insensiblement à le transformer en un
principe d'inaction ou d'abstention. Cette dérive, forme de
« mutagenèse dirigée » du principe de
précaution, l'a progressivement éloigné du concept
originel, qui désignait plutôt une forme d'action prudente. Cette
évolution, voire cette dérive est, à en croire le
sociologue Alain TOURAINE, l'expression de la société
d'inquiétude dans laquelle nous vivons214.
Concrètement, la première sanction découlant de la
violation d'une règle de droit international est la réparation
« in integrum » c'est-à-dire la remise de
la chose dans son état initial. Généralement, cette
sanction est difficilement
applicable. On a donc trouvé la solution dans
le principe pollueur-payeur qui veut
que celui qui pollue par exemple l'environnement s'acquitte d'une
certaine somme d'argent en guise de compensation. Mais comme le fait si bien
observer Jean-Marc LAVIEILLE215, certains sont inquiets de la mise
en oeuvre de ce principe qui peut freiner l'esprit d'entreprise, remettre en
cause des projets de développement. D'autres insistent plutôt sur
les dérives possibles du principe. Autant le principe est
nécessaire en termes de responsabilité autant il ne faut pas
qu'il devienne ici une incitation à la pollution. Des opérateurs
peuvent par exemple polluer l'environnement par une utilisation
incontrôlée des OGM pour autant qu'il leur sera possible de payer
l'amende ou réparer pécuniairement le dommage. C'est la raison
pour laquelle les amendes doivent être dissuasives.
Il reste que le droit international de l'environnement remet
en cause les règles traditionnelles de la responsabilité. En
effet, comme peuvent le constater avec regret Patrick DAILLIER et Alain
PELLET216, les mécanismes de responsabilité en Droit
International de l'Environnement ont plutôt abouti à une dilution
du domaine de la responsabilité avec l'apparition de mécanismes
de responsabilité « molle » découlant de la
conjugaison de plusieurs facteurs dont la fluidité et
l'imprécision des normes, la difficulté dans
l'appréciation des manquements, le caractère diffus des dommages,
la difficulté dans l'identification de la source de pollution en raison
des incertitudes scientifique, si bien que le lien nécessaire entre le
manquement et le dommage, indispensable à la mise en oeuvre de la
responsabilité, ne peut, dans bien des cas, être établi
avec certitude. L'affaire Percy SCHMEISER que nous avons évoquée
précédemment révèle peut-être bien toutes ces
difficultés. Revenons sur cette affaire qui constitue un
précédent historique dans les annales de la justice. L'histoire
de Percy SCHMEISER est particulièrement tragique et met en exergue le
flou juridique entretenu face aux nouvelles technologies.
En 1998, la firme Monsanto accuse l'agriculteur canadien
d'avoir utilisé son colza transgénique breveté sans payer
le prix de la licence d'utilisation. L'affaire est portée devant le
tribunal. Monsanto déclare que sa variété
transgénique est protégée par un droit de
propriété intellectuelle, un brevet et que le brevet a
été violé. Le géant agro-industriel réclame
à Percy SCHMEISER le prix des semences, un pourcentage de la
récolte et une amende de 175000 dollars c'est-à-dire plus 9
millions de FCFA. Percy SCHMEISER affirme devant le tribunal qu'il n'a jamais
délibérément planté des semences
génétiquement modifiées. Au contraire, la contamination de
son champ par des plantes transgéniques fait que son travail en tant que
sélectionneur, sa variété, son sol et ses
bénéfices ont souffert de sérieux dommages puisqu'il ne
peut plus vendre son colza comme « non OGM . Et pourtant en
2000, le tribunal rend son jugement en faveur de Monsanto qui déclare
que « peu importe comment les gènes
génétiquement modifiés sont parvenus dans le champ de M.
SCHMEISER, il aurait dû donner sa récolte au
propriétaire du brevet »217. Le verdict du
tribunal condamnant SCHMEISER est stigmatisé par bon nombre
d'observateurs qui estiment qu'il y a eu là une application à la
renverse du principe pollueu-payeur, dans la mesure où plutôt que
de faire payer le pollueur, c'est le pollueur qui a été
payé.
|