CONCLUSION
En définitive, on note que les OGM mettent en cause
toute une panoplie de droits de l'homme : droit à
l'alimentation, droit à un environnement sain, droit à la
santé, droit du consommateur à la sécurité et
à la souveraineté alimentaires, droit de participer aux prises de
décision, droits des communautés locales, droit aux
progrès de la science...et il est frappant de constater que certains
droits entrent directement en conflit avec d'autres. En effet, les droits de
propriété intellectuelle se heurtent par exemple aux droits des
communautés locales, le droit aux progrès de la science butant
sur l'éthique. Sans pour autant prétendre à
l'exclusivité et à l'exhaustivité de la
vérité sur un sujet inépuisé tel que celui des OGM,
nous nous proposons de frayer les pistes de réflexion suivantes dans
cette vaste forêt de confusion intellectuelle.
Privilégier une approche de solution au cas par
cas
L'examen des OGM montre que cette technologie peut avoir une
incidence sur une vaste gamme de produits végétaux et animaux et
que ses multiples conséquences peuvent, en ce qui concerne
l'agriculture, dépasser le cadre de la production alimentaire. La
biotechnologie moderne, si elle se développe de façon
appropriée, peut offrir de nombreux moyens nouveaux de contribuer
à la sécurité alimentaire. En même temps, la
rapidité avec laquelle peuvent survenir les modifications
entraînées par le génie génétique peut avoir
des effets encore mal connus ou inconnus sur la santé humaine et la
biosphère. Toute généralisation à propos des OGM
est toutefois impossible. Chaque application doit être analysée en
profondeur et de façon individuelle. Il y aura moins de controverses et
le débat sera plus constructif si les applications des OGM sont
évaluées de façon exhaustive et transparente, et si leurs
répercussions éventuelles à court et long terme sont
prises en considération. Il faut donc privilégier l'approche du
cas par cas dans l'évaluation des OGM.
Respecter la liberté de choix du consommateur,
assurer la participation du public au débat
Durant le développement de toute technologie agricole
ou alimentaire, il faut se pencher à chacune des étapes sur
diverses questions et préoccupations qui vont du rendement du produit et
de son intérêt économique à la
sécurité alimentaire du consommateur, et à la
réaction de la société. Il est important de se demander
« pourquoi on procède à la mise au point d'un produit
déterminé ? », « quelles sont ses
utilisations » et « qui décide de son
utilité ? », il faut répondre à ces
questions avec la plus grande transparence. Lorsqu'il met en balance tout
à fait rationnellement les risques, ou la perception qu'il en a, et les
avantages perçus, le consommateur conclut qu'il n'a pas besoin d'OGM. Il
en déduit qu'aucun risque ne mérite d'être pris, d'autant
plus que l'utilité des OGM ne lui paraît avérée que
pour les producteurs qui y trouvent la source de nouvelles rentes. Le public
n'a pas été informé de façon satisfaisante de
l'application de la technologie génétique à la production
alimentaire et de ses effets potentiels sur la santé humaine et
l'environnement.
L'inquiétude de l'opinion à l'égard des
OGM est diffuse et complexe et l'analyse en est, de ce fait éminemment
délicate. A l'examen, il apparaît toutefois que le terreau de
cette inquiétude est parfois nourri de faits et de symboles. Le risque
associé aux OGM est une chose, la conception que l'on a des OGM en est
une autre. Une autre source de méfiance à l'égard de la
gestion de l'innovation que constituent les OGM tient aux graves erreurs de
communications sur le sujet, notamment de la part des grands semenciers. La
communication des vendeurs de semences transgéniques a initialement
été tournée vers leurs clients directs, à savoir
les professionnels de l'agriculture, qu'il s'agissait de convaincre de
l'utilité du recours aux OGM. Les semenciers ont ainsi longtemps
mésestimé l'importance d'une communication à l'adresse des
non-professionnels, c'est-à-dire des consommateurs finaux. Lorsqu'ils
ont été conduits à rectifier le tir, ils ont
invoqué des arguments inspirés d'un nouveau messianisme :
vaincre la faim dans le monde, sauver l'environnement planétaire..., que
l'opinion, devenue défiante, jugea suspects et interpréta comme
une tentative de manipulation. Devoir de vérité oblige donc. Les
questions que soulèvent les OGM débordent fréquemment le
simple cadre de la science. En effet, un produit OGM, n'est pas un produit
neutre, il est considéré comme l'emblème d'un choix de
société, d'une vision du monde. Les attributs des produits OGM
renvoient à des valeurs. Cette symbolique associée aux OGM est
à la fois d'ordre culturel, éthique religieux, voire politique.
Les développements alimentaires du recours à la
transgénèse nourrissent d'autant plus l'inquiétude que
l'identité alimentaire est un puissant vecteur de la conscience
nationale. L'assiette est un repère culturel et le sentiment que
« l'on ne sait plus ce que l'on mange » est
déjà répandu. Ainsi que le précisait Axel KHAN,
à propos des OGM, « c'est bien plus la question des valeurs que
celle de la sécurité qui est posée par l'utilisation du
génie génétique en agriculture». En effet le
consommateur assure sa survie avec les aliments, mais en pensant qu'il devient
ce qu'il mange, il construit également son identité. Comme l'a
conclu Lionel Jospin lors du colloque final du 13 décembre à
Paris 2000: « répondre à la question que voulons-nous
manger, c'est en partie dessiner la société dans laquelle nous
voulons vivre »218. La question des biotechnologies
modernes, notamment des OGM renvoie à de nombreux aspects des choix
collectifs de notre société : la liberté de chacun
d'entre nous de choisir, et notamment de savoir ce qu'il mange ; la
confiance ou la défiance de l'opinion publique dans le progrès et
la recherche ou dans les institutions garantes de la
sécurité sanitaire, alimentaire et environnementale ; la
capacité de nos sociétés à organiser un large
débat démocratique permettant de définir, dans des
conditions acceptées par le plus grand nombre, des choix collectifs qui
apparaissent conformes à l'intérêt collectif.
Le débat est de savoir quels risques la
société décide de prendre collectivement en vue d'un plus
grand bien et à quelles conditions. Il est frappant de constater de ce
point de vue que la société fait jouer l'équilibre entre
les risques et les bénéfices à attendre en matière
d'OGM. En effet, on rencontre très peu de remises en cause des efforts
de recherche menés dans le domaine des thérapies
génétiques. De manière générale, l'opinion
semble bien disposée à l'égard des modifications
génétiques dans le domaine médical. Le caractère
génétiquement modifié d'un nombre croissant de vaccins
dans les domaines médical et pharmaceutique ne suscite pas
d'émotion comparable à celle constatée dans le domaine
alimentaire.
Il est indispensable que les risques et les avantages soient
soigneusement envisagés et que ceux qui se trouvent être les plus
nombreux à y perdre c'est-à-dire les agriculteurs soient
impliqués de manière très active dans le processus de
prise de décision comme ça été le cas au Mali. De
plus les cultures génétiquement modifiées entraînent
avec elles des risques sociaux, économiques potentiels, de même
que les brevets et les processus biologiques avec lesquels les compagnies
parviennent à contrôler les ressources alimentaires. Cela a un
impact profond sur l'agriculture et devrait être pris en compte dans
l'évaluation des risques et des bénéfices. Etant
donné le risque évident inhérent aux cultures
génétiquement modifiées, leur diffusion devrait être
envisagée avec beaucoup de prudence, or ce n'est pratiquement jamais le
cas. Le problème commence avec l'absence totale d'informations
concernant les OGM. En Afrique, les services de diffusion et le système
éducatif manquent de compétence et de personnel formé pour
informer les agriculteurs sur les OGM.
Repenser le rôle des médias
Les journalistes jouent un rôle fondamental dans la
polémique sur les OGM. Les médias se font l'écho de toutes
sortes de prises de décision contradictoires, de désaccords entre
les chercheurs scientifiques et de déclarations trompeuses concernant
les recherches effectuées, si bien que le public a de moins en moins
confiance.
Il importe certainement que le débat et la diffusion de
l'information s'inscrivent dans la transparence. Favorables ou
défavorables aux OGM, les informations devraient passer par un filtre
critique plus exigeant, ce qui contribuerait à dépassionner le
débat. Si les journalistes ne disposent naturellement pas de l'expertise
et des moyens matériels pour apprécier la validité des
résultats scientifiques, il leur appartient nécessairement de
rendre compte de façon équilibrée de la position de la
communauté scientifique. Est ainsi posée la question de
l'interférence entre la parole scientifique et l'amplification
médiatique excessive de certaines informations par rapport à
d'autres.
Impératif de développement et
responsabilité des scientifiques
On a souvent affirmé qu'il fallait s'abstenir de
certains développements pour protéger les
générations futures. Oui mais, comment savoir aujourd'hui quelles
seront les technologies de demain ? Ne risque-t-on pas, en faisant
l'impasse sur une technologie de rendre au contraire les
générations futures dépendantes des autres nations qui
auront développé la technologie, si celle-ci rencontre un
succès historique ? Que vaut cependant le devoir de recherche sans
audace ? En effet, partant du principe que le risque fait partie de toute
entreprise technologique, l'impératif d'audace est ce qui permet
d'entreprendre librement, et c'est ce qui définit aussi l'essence de la
liberté de l'homme. Les controverses scientifiques sur les OGM semblent
un débat infini pour la bonne et simple raison que les questions
posées par certains restent sans réponses concrètes :
l'allergénécité, la toxicité des OGM, le transfert
d'un gène à l'organisme, l'apparition d'insectes
résistants, le flux de pollen OGM. L'innovation technologique doit
privilégier le caractère concret de bénéfice
qualitatif plutôt que les objectifs productivistes. La notion de
progrès est en effet attachée à l'importance des apports
sociaux d'une innovation, lesquels ne sont pas perçus d'emblée,
s'agissant des OGM, mais méritent pourtant d'être mis en
perspective et encadrés par une nécessaire régulation.
Cette régulation doit viser à prévenir les dérives,
dont la plus visible est l'appropriation du vivant et dont les enjeux sont
mobilisateurs car porteurs de rapports de force entre les hommes. Elle doit
également permettre de mobiliser l'effort de recherche au
bénéfice des pays en développement et contribuer au
rééquilibrage des rapports Nord-Sud. Les chercheurs sont libres
de leurs recherches, dès lors que celles-ci se conforment au cadre
législatif ; mais parallèlement, les citoyens sont en droit
de demander des comptes à la recherche. Le droit pour le consommateur de
choisir et de savoir ce qu'il mange implique l'étiquetage et la
traçabilité des produits. Cela devra nécessairement passer
par l'amélioration du système de diffusion de l'information
scientifique. Il appartient aux scientifiques de restaurer la qualité du
débat scientifique, en ne précipitant pas le nécessaire
travail d'examen critique et de validation des publications.
Tenir compte de la spécificité des pays
en voie de développement
Certes, les problèmes que soulèvent les OGM ne
sont pas de nature différente dans les pays du Nord et les pays du Sud,
mais ils seront plus difficiles à traiter dans les pays du Sud en raison
précisément de leur moindre développement et de leurs
valeurs culturelles. Le recours aux OGM pose aussi la question du choix par les
pays africains d'une agriculture intensive reposant sur l'uniformité
génétique ou une agriculture extensive. Le continent
décidera de privilégier l'efficacité à court terme
grâce aux OGM ou de s'inscrire dans la continuité en sachant que
les résultats seront plus lents mais plus respectueux de la
biodiversité. Pour M. GLASZMANN, le recours aux OGM ne devrait
intervenir qu'en dernier ressort. Il faudrait chercher au maximum à
valoriser la diversité naturelle des espèces utilisées et
drainer des moyens vers l'exportation de la diversité
génétique naturelle, « Consolidant ainsi un
système de conservation des ressources génétiques,
d'exploitation et d'échange qui est absolument essentiel aux
agriculteurs africains »219. Encore faut-il le
rappeler, les problèmes de malnutrition dans le monde proviennent moins
d'une insuffisance de la production agricole globale que de situations de crise
et de la faiblesse des revenus d'une partie de la population.
Peut-on transférer la transgénèse aux
pays en voie développement ? Si cette question s'est posée,
c'est que très souvent, les opposants ont accusé les industriels
de vouloir appauvrir davantage les paysans les moins favorisés. Il
importe donc de repenser le systèmes des brevets afin de
préserver au mieux les droits des communautés locales. La loi
modèle africaine est une louable alternative, une voie salutaire que
l'ensemble des Etats sous-développés devrait emprunter.
Au demeurant, si l'exploitation des OGM devait se
généraliser dans les pays du Sud, notamment en Afrique, elle
devra impérativement se faire dans le respect des valeurs qui fondent
nos sociétés.
Sortir de la querelle idéologique
Il importe de sortir de la sphère idéologique
dans laquelle se sont enfoncés les acteurs. Très souvent, les
promoteurs de l'agriculture transgénique ont eu tendance à
affirmer que l'opposition aux OGM était de nature idéologique. Or
ne doit-on pas également s'interroger pour savoir si la promotion des
OGM est également de nature idéologique.
Avec l'étude des polémiques sur les OGM, on
passe d'un discours sur l'évaluation des risques à un discours
sur les valeurs. Pour ce qui concerne le discours, on passe de la
démonstration à la revendication. Les ONG revendiquent la
dangerosité de la technologie alors que les industriels en font la
publicité. La querelle des OGM n'est sans doute pas prête de se
terminer. Pourtant viendra peut-être un jour où la technologie
sera banalisée. En attendant ce jour, on peut supposer que les
controverses se poursuivront, faisant ainsi progresser la science. En finir
avec ce débat sans fin, c'est distinguer entre discours
idéologique et évaluation scientifique. Comme le souligne
Dominique LECOURT, on retrouve techno-prophètes et bio-catastrophistes
dans un duel. Les querelles idéologiques condamnent le discours sur les
OGM, conduisent à l'impasse, et mènent directement à la
violence, dont le meilleur exemple est l'arrachage des plantes
transgéniques. Sortir de la querelle idéologique est un
impératif car la violence n'est pas la solution dans l'Etat de
droit220.
Les dix mots-clés du mémoire
Droits de l'homme - sécurité alimentaire -
biotechnologies modernes - OGM - transgénèse - droits de
propriété intellectuelle - biosécurité - protocole
de Carthagène - loi modèle africain - principe de
précaution.
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