Paragraphe 2 : au plan régional africain
Il s'agira pour nous d'examiner successivement la
législation africaine et celle ivoirienne
A La législation africaine
Au plan africain, il existe deux lois dénommées
lois modèles africaines ; la première est relative à
la protection des droits des communautés locales tandis que la seconde
est relative à la sécurité en biotechnologie. Nous les
étudierons successivement.
1- La loi modèle africaine pour la protection
des droits des communautés locales, des
agriculteurs et des obtenteurs, et des
règles d'accès aux ressources biologiques
a- Le contexte
Les sociétés africaines ont constamment
innové et fait évoluer leurs connaissances et technologies, pour
les adapter à différentes conditions, comme l'ont fait toutes les
sociétés humaines. La période coloniale a imposé
des changements sans laisser de choix aux peuples locaux. Le
« paradigme de développement »
d'aujourd'hui continue d'imposer des valeurs et des priorités
étrangères. Cependant, de plus en plus les gens commencent
à réagir. Ils estiment que les nouvelles technologies doivent
être adaptées aux valeurs et aux besoins des communautés,
aux traditions culturelles différentes, à qui elles sont
destinées. Il faut que ces nouveautés contribuent à la
qualité de vie d'une société, en harmonie avec
l'environnement et il ne faut pas qu'elles sapent ou détruisent les
modes de vie des populations locales. Au cours du vingtième
siècle, les sciences et technologies occidentales ont fait des
progrès rapides dans tous les domaines, modifiant
considérablement la structure de la société dans son
ensemble, le pouvoir politique et économique et, surtout, le
contrôle et l'accès aux différentes ressources biologiques
nécessaires aux moyens de subsistance durables179.
Il est généralement admis que la conservation et
l'utilisation durable de la diversité biologique sont nécessaires
au bien-être des systèmes vitaux de la planète, dont
dépend l'humanité toute entière. Certains tentent au
contraire de réclamer des droits de monopole privé sur la
diversité biologique d'une communauté. La mainmise des monopoles
industriels sur les ressources naturelles des populations autochtones a
d'importantes conséquences au niveau local, national et régional
sur la sécurité et la souveraineté alimentaires,
l'agriculture, le développement rural ainsi que la santé et
l'environnement végétal. Le brevet sur les organismes vivants ou
sur les plantes ou leurs éléments signifie la reconnaissance
légale de droits exclusifs privés sur ceux-ci et leur
descendance.
Pour les Africains, les brevets ou toute autre forme de droits
de propriété intellectuelle sur les organismes vivants ont de
graves conséquences sur le mode de vie des communautés qui se
sont succédées sur le continent pendant plusieurs
générations. La Convention sur la Diversité
biologique (CDB) reconnaît dans son préambule le rôle
et les réalisations des communautés locales et autochtones dans
la conservation de la biodiversité et par là même, la
nécessité de réaffirmer et de protéger les droits
des communautés. Les Accords sur les ADPIC qui confèrent aux
droits de propriété intellectuelle la possession privée,
individuelle et exclusive sur les formes de vie, sont en totale contradiction
avec les principes de base de la Convention.
Il semble de plus en plus que les régimes de
propriété intellectuelle (DPI) ne peuvent pas protéger les
technologies, les innovations, les pratiques et la biodiversité locale.
Ces Systèmes favorisent le biopiratage, le pillage de la
créativité et des innovations et autres pratiques des
communautés locales, les privant des bénéfices
économiques tirés de ces produits. Dans un tel contexte, un
système qui reflète et protège le caractère
essentiel de la richesse culturelle de l'Afrique s'impose. C'est pour
répondre à ces différentes préoccupations tenant
compte des spécificités africaines des agriculteurs que la
loi modèle africaine relative à la protection des droits des
communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des
règles d'accès aux ressources biologiques, a
été adoptée à Lusaka en Zambie en 2001, par le
sommet des chefs d'Etat dans le cadre de la défunte Organisation de
l'Unité Africaine (OUA).
La loi modèle africaine relative à la
protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des
obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques
reconnaît la nature dynamique des modes de vie riches en
biodiversité des populations locales et leur importance dans le
patrimoine humain. Ainsi que le pense le Docteur J.A EKPERE180, si
certaines lois favorisent les intérêts des puissants qui cherchent
à limiter le développement des autres peuples, cette loi cherche
plutôt à défendre les modes de vie des communautés.
Elle définit une limite claire entre les systèmes des
communautés d'une part, et le contrôle exclusif de la
privatisation du vivant d'autre part. Elle permet donc à la
communauté de se protéger. Pour l'essentiel cette loi s'adosse
à la Convention sur la biodiversité qui impose de respecter et
préserver les styles de vie innovants des communautés locales et
autochtones, dont le consentement doit par ailleurs être obtenu pour
avoir accès à leurs ressources biologiques, à leurs
connaissances et à leurs pratiques. Elle leur garantit une part des
bénéfices obtenus par ceux à qui l'accès est
autorisé. C'est donc un système légal qui définit
les règles d'accès et de partage des bénéfices
ainsi que les droits des communautés, notamment les droits des
agriculteurs, en tenant compte des caractéristiques particulières
de l'Afrique et l'énorme diversité biologique et culturale qui
distingue ses sociétés à dominante rurale.
L'un des principaux accords de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC), les accords sur les Aspects des Droits de
Propriété Intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) oblige ses
Etats-membres à adopter soit des brevets181, soit un
système « sui generis
effectif »182pour une nouvelle variété
végétale. Les pays du Nord et le Secrétariat de l'Union
pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) essayent de
promouvoir la Convention de l'UPOV de 1991 en tant qu'option
« sui generis » appropriée. Les pays
africains rejettent de plus en plus cette convention parce que pour ces
derniers, elle n'est qu'un instrument qui permet aux monopoles étrangers
d'obtenir des droits sur la diversité locale. La loi modèle
africaine inclut donc des droits d'obtenteur, formulés de telle
façon que la longue tradition d'innovation et de sélection des
communautés d'Afrique ne soit pas menacée par les nouvelles
normes commerciales de sélection et d'innovation, largement
dictées par les groupes d'intérêts et /ou pour les
marchés étrangers. De ce fait, elle remplirait pour certains
juristes les obligations prévues par l'article 27.3 (b) des Accords
ADPIC en faveur d'une option sui generis, tout en respectant les
obligations prévues par la Convention sur la Diversité
biologique.
Plusieurs principes découlent de ce texte juridique
dont nous étudierons les plus fondamentaux :
C- Les principes
- La souveraineté et la sécurité
alimentaires183 :
La monopolisation des produits agrochimiques, les semences
homogènes, la monoculture et maintenant le génie
génétique tendent à réduire la biodiversité.
Non seulement le génie génétique sert à produire
des semences homogènes, mais il est sous le contrôle des grandes
compagnies des pays industrialisés. Ainsi, l'agriculture industrielle
protégée par les brevets telle que nous la connaissons
actuellement empêche le contrôle local et national sur la
production alimentaire. On peut craindre que ces systèmes et
technologies qui limitent la biodiversité aient de graves
conséquences sur la sécurité et la souveraineté
alimentaire de l'Afrique. Devant cette situation, la loi modèle
africaine réagit vigoureusement en s'assignant entre autre comme
objectif de « veiller à l'utilisation efficace et
équitable des ressources biologiques afin de renforcer la
sécurité alimentaire nationale »184. La
véritable sécurité alimentaire, qui assure
l'autosuffisance des communautés et des nations, nécessite la
décentralisation plutôt que la centralisation. Il faut donc un
système décentralisé de production qui permet aux
communautés locales de rester autonomes dans leurs choix et dans la
maîtrise et la gestion des ressources et des moyens de subsistance. Il
s'agit d'un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle
des Droits de l'homme185 . Seuls les produits agricoles en
excédent devraient être exportés et une fois seulement que
les besoins alimentaires du pays ont été satisfaits. Les droits
coutumiers des agriculteurs à garder, utiliser, échanger et
vendre les semences sont reconnus par la loi modèle africaine, parce
qu'ils sont le fondement des pratiques agricoles et ont toujours
été pratiqués par les communautés agricoles.
- Souveraineté, droits et responsabilités
inaliénables de l'Etat186 :
L'Etat est l'entité légalement reconnue pour
représenter le peuple. C'est au peuple qu'il appartient de lui
conférer sa souveraineté et son autorité. L'Etat a donc la
responsabilité et le devoir de défendre les droits de ses
populations et de les protéger contre des interventions
extérieures non sollicitées. Le principe de
l'égalité souveraine des Etats et les principes de
non-intervention qui en découlent sont inscrits dans l'article 2 de la
Charte des Nations-Unies et l'article 3 de la Convention sur la
Diversité Biologique qui établit que les Etats ont le droit
souverain d'exploiter leurs propres ressources avec la responsabilité de
les conserver et de les gérer de façon durable. En son sein,
l'Etat doit donc protéger la diversité culturelle de la
population, tenir compte de ses opinions et concilier des intérêts
divergents. C'est le contrat social établi entre le peuple et lui.
Ainsi, il faut clarifier la relation entre les droits d'un Etat et ceux des
communautés locales. L'Etat doit protéger les droits des
communautés locales dont les systèmes socioculturels sont
indissociables des principes de durabilité et assurent la
création, le maintien et la protection de la
biodiversité187. La loi modèle africaine est
fondée sur le principe que les connaissances, innovations et pratiques
associées à la biodiversité des communautés locales
sont le résultat de nombreuses pratiques vérifiées et
expérimentées par les générations passées et
présentes188. Pour préserver et garantir leur
continuité et leur évolution, elles doivent être
transmises aux générations futures. C'est un droit fondamental et
une responsabilité de chaque génération envers celle qui
lui succède. Ainsi, personne n'a le droit de s'approprier, de vendre ou
de monopoliser un quelconque élément d'une ressource biologique
et des connaissances, innovations et pratiques qui lui sont associées.
En ce sens, les droits des communautés sont considérés
comme inaliénables189 et ceux qui les détiennent ne
doivent en être privés. Il s'agit de droits et de
responsabilités intergénérationnels. Nul ne peut, de son
propre chef, affaiblir ou abolir ces droits par ses décisions, mais au
contraire, a le devoir de les défendre et de les transmettre aux
générations futures.
-Les droits et responsabilités des
communautés190:
La loi modèle de l'unité africaine
définit les « communautés locales » comme des
populations humaines vivant dans une zone géographique donnée.
Elles créent, utilisent, gèrent, et transmettent leur richesse
biologique, connaissances, innovations et pratiques. Celles-ci sont
régies par leurs propres lois coutumières qu'elles soient
écrites ou orales. Les droits des communautés revêtent une
importance majeure dans la mesure où les rédacteurs de la loi y
consacrent toute la Quatrième Partie.
Les droits des communautés reconnaissent que les
pratiques coutumières des communautés locales dérivent de
devoirs et de responsabilités a priori des générations
passées et futures des espèces humaines et non humaines. Cette
conception traduit une relation fondamentale avec toute forme de vie et
s'imprègne d'un profond besoin de respect. Les droits et
responsabilités des communautés qui régissent
l'utilisation, la gestion et le développement de la biodiversité,
ainsi que les connaissances, innovations et pratiques traditionnelles qui lui
sont associées, ont existé bien avant l'émergence des
droits privés sur la biodiversité et les concepts de
propriété et de possession individuelle. Les droits des
communautés sont donc considérés comme naturels,
inaliénables, préexistants ou primaires. La loi modèle
africaine reconnaît leur caractère a priori dans son
préambule. Ces droits conduisent à formaliser l'existence du
contrôle communautaire sur la biodiversité. Ce système de
droits qui favorise la conservation et l'utilisation durable de la
diversité biologique et encourage l'utilisation et le
développement des connaissances et technologies, est tout à fait
essentiel à l'identité des communautés locales et au
rôle irremplaçable qu'elles jouent dans la conservation et
l'utilisation durable de cette diversité. Les droits des
communautés sont particulièrement importants pour la nature
multiethnique de l'Afrique. La loi offre ainsi l'opportunité de
reconnaître et de soutenir le riche héritage culturel et les
ressources biologiques de l'Afrique par la reconnaissance d'un système
de droits préexistants. L'ONU a reconnu l'existence des droits
collectifs des communautés locales et autochtones dans le Projet de
Déclaration des droits des peuples autochtones, et a recommandé
que tous les Etats appliquent ces droits dans leur législation
nationale191. Le droit international reconnaît à l'Etat
des droits souverains sur ses ressources biologiques192. Cependant,
le caractère intangible des connaissances relatives à ces
ressources et technologies n'est pas protégé. La CDB a fort
heureusement évoqué cette situation en son article 8(j) en
reconnaissant l'importance des connaissances, innovations et pratiques des
communautés autochtones et locales en rapport avec la conservation de la
biodiversité et son utilisation durable et équitable.
L'existence, presque partout dans le monde, de droits
collectifs des communautés doit être reconnue avant que ces droits
ne soient complètement laminés par les intérêts
commerciaux. La loi modèle africaine place les droits et
responsabilités des communautés au coeur même de
l'utilisation de la biodiversité et des connaissances innovations et
pratiques associées pour défendre le riche héritage de
l'Afrique en matière de diversité biologique et de culture.
-La valeur des connaissances
autochtones193 :
Les sociétés rurales ont de grandes
connaissances écologiques parfois spécifiques aux
différents sols, minéraux, espèces et cycles saisonniers,
parfois relative à une interprétation dynamique des
écosystèmes sur lesquels elles ont co-évolué. Les
cultures autochtones ont donc une conception écologique du monde qui
rappelle que, comme toutes les autres espèces, nous sommes tous
intimement soumis aux lois de la nature. Cela les amène à
respecter les cycles dynamiques de la vie et ses interactions et à se
sentir responsables et constructifs au sein d'écosystèmes dont
elles font intégralement partie. La loi modèle africaine donne
à l'Afrique les moyens de protéger sa richesse culturelle et
au-delà, sa richesse biologique. Non seulement elle reconnaît
officiellement la diversité dans la loi, mais elle soutient et renforce
activement les capacités d'adaptation et développement des
diverses cultures du continent
- Participation totale à la prise
de décision194:
La loi modèle africaine cherche à garantir la
participation réelle des communautés locales dans la prise de
décision sur toutes les questions relatives à leurs richesses
biologiques, connaissances et technologies. Ainsi, il faut que les
communautés locales et autochtones participent à
l'élaboration et à l'exécution de plans, politiques,
programmes et processus qui ont une incidence sur leur vie et leur territoire,
et qui ont un rapport avec la conservation et l'utilisation durable de la
biodiversité.
Chaque culture a ses propres conceptions du monde, qui
déterminent son évolution au cours des siècles. Si la
diversité des traditions et des connaissances des communautés
doit être préservée et transmise aux
générations à venir, il faut que ces communautés
soient à même de prendre des décisions selon leur us et
coutumes. En effet, c'est leur développement qui est en cause. On doit
également tenir compte de la diversité culturelle de l'Afrique
lors de tout processus de participation. D'après la loi modèle
africaine, les communautés locales doivent être consultées
lors du partage des bénéfices tirés de l'accès et
de l'utilisation de leurs ressources biologiques, connaissances et
technologies. C'est le seul moyen pour que les communautés participent
de façon totale et équitable et selon leurs us et coutumes, aux
décisions qui touchent à la biodiversité.
- L'accès à la diversité biologique
et génétique195 :
L'article 15 de la CDB établit que
l ' « accès aux ressources génétiques
» doit être limité à une utilisation raisonnable de
ces ressources d'un point de vue environnemental. Les systèmes
traditionnels d'accès, d'utilisation ou d'échange de la
biodiversité ne doivent pas être remis en cause. La loi
modèle donne une définition large de
l' « accès » qu'elle décrit comme
« l'acquisition de ressources biologiques, de leurs produits
dérivés, des connaissances, d'innovations, de technologies ou de
pratiques des communautés telle qu'elle est autorisée par
l'autorité compétente nationale.» Elle définit
le contrôle de l'accès à la biodiversité et aux
connaissances et technologies des communautés comme « le
devoir de l'Etat et de son peuple »196. Dans ce contexte,
elle prévoit un système d'accès soumis au consentement
donné en connaissance de cause des communautés locales
concernées ainsi que l'Etat.
- Le
Consentement donné en connaissance de
cause197:
La CDB établit que l'accès aux ressources
génétiques doit être soumis à l'obtention du
consentement donné en connaissance de cause du pays d'origine, sauf si
celui-ci en décide autrement198 . Sur le fondement de
cette dispositions, l'article 3.1 de la loi modèle africaine stipule
que « l'accès à toute ressource biologique et
/ou connaissances ou technologie des communautés locales dans toute
partie du pays devra être soumis à une demande en vue d'obtenir le
consentement donné en connaissance de cause et une autorisation
écrite ». La loi modèle africaine contient des
dispositions spécifiques relatives à la consultation des
communautés concernées. Elle donne à l'autorité
compétente nationale l'obligation de garantir que cette consultation a
bien lieu. L'accès aux ressources biologiques est invalide si le
consentement donné en connaissance de cause n'a pas été
donné. C'est aussi le cas si la permission a été
accordée mais que la procédure de consentement donné est
incomplète, ou encore si elle n'est pas en conformité avec les
critères d'une participation réelle et équitable.
La loi modèle africaine
reconnaît que le partage des bénéfices est
un « droit » des communautés locales. Il
correspond à l'un des trois objectifs de la CDB qui dispose dans son
article 1 que « le partage juste et équitable des
avantages découlant de l'exploitation des ressources
génétiques, notamment grâce à un accès
satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert
approprié des techniques pertinentes, compte tenu de tous les droits sur
ces ressources et aux techniques, et grâce à un financement
adéquat », doit être une réalité.
-Le partage des bénéfices justes et
équitables199:
L'Etat doit garantir qu'un pourcentage déterminé
(minimum cinquante pour cent) de tout profit financier est restitué
à la communauté locale. Dans la partie consacrée aux
droits des agriculteurs, la loi modèle insiste su ce droit
fondamental dû aux communautés locales.
Les bénéfices non financiers sont au moins aussi
intéressants que les bénéfices financiers. Il s'agit
notamment de la participation à la recherche et au développement
en vue du renforcement des capacités, l'accès aux technologies
utilisées pour étudier et améliorer la ressource
biologique, le retour des informations relatives aux ressources biologiques
auxquelles l'accès a été autorisé...
-Les droits
d'obtenteur200 :
La loi modèle africaine reconnaît le droit des
obtenteurs sur les variétés qu'ils élaborent, tout en
favorisant un système d'obtention commerciale adapté aux
systèmes agricoles africains. La loi modèle consacre toute une
section aux droits d'obtenteurs. La loi modèle reconnaît
que les agriculteurs sont, et ont toujours été, des obtenteurs et
elle cherche à garantir que les obtenteurs exclusivement commerciaux ne
portent pas atteinte aux pratiques coutumières des agriculteurs. Pour
les Africains, la section de la loi modèle relative aux droits
d'obtenteurs remplit bien les obligations de l'article 27.3 (b) des Accords
ADPIC en faveur d'un système sui generis pour les
variétés végétales. Les droits des agriculteurs
font cependant partie des droits des communautés, et de ce fait n'ont
pas à satisfaire les obligations des ADPIC. Elle reconnaît ainsi
les efforts et les investissements, tant des individus que des institutions,
dans l'élaboration de nouvelles variétés
végétales et propose une reconnaissance et une récompense
économique. L'obtenteur acquiert les droits exclusifs de produire et de
vendre la nouvelle variété. Cependant, ces droits doivent
être protégés conformément aux dispositions
relatives aux droits des agriculteurs de la ladite loi. Ceci signifie que les
agriculteurs peuvent conserver, utiliser, échanger et vendre les
semences et boutures de leur exploitation. Les Africains estiment que l'UPOV
est une fausse alternative au brevet dans la mesure où la
révision de cet accord en 1991 le place quasiment sur le même
terrain que le système des brevets.
- Pas de brevet sur le
vivant201:
Le groupe de travail de la Commission
scientifique, technique et de recherche de l'OUA estime que « la
privatisation des formes de vie à travers le régime des droits de
propriété intellectuelle viole le droit fondamental à la
vie et va à l'encontre du concept africain du respect de la
vie. »202
La loi modèle africaine partage les inquiétudes
exprimées dans la position commune du groupe africain concernant les
accords sur les ADPIC. La loi est claire à ce sujet tant dans son
préambule que dans la troisième partie relative à
l'accès aux ressources biologiques, où elle
déclare que les brevets sur les formes de vie et sur les processus
biologiques ne sont pas reconnus et donc, pas applicables.
La loi préconise l'interdiction des brevets sur les
végétaux et les animaux, ainsi que sur les micro-organismes et
tous les organismes vivants et leurs éléments. Elle
déclare également que les processus naturels qui permettent la
production de végétaux, d'animaux et tout autre organisme vivant
ne peuvent faire l'objet de brevet.
- Vers l'égalité des sexes- un principe
transversal203:
Partout dans le texte de la loi modèle africaine, des
dispositions sont prévues qui reconnaissent la contribution des femmes
dans la conservation de la biodiversité. En effet elles jouent un
rôle majeur et vital au sein des communautés locales et agricoles.
Leur apport est déterminant dans tous les pays riches en
biodiversité, et les pays africains ne font pas exception.
Paradoxalement, les procédures de prise de décisions menacent
souvent le rôle coutumier de ces dernières. La loi modèle
est une alternative de solution à la promotion des droits des femmes, ce
parce qu'elle reconnaît formellement leurs droits coutumiers et leur
droit à participer de façon pleine et entière aux
processus de décision.
Elle prévoit clairement que les femmes soient
consultées et impliquées dans des décisions prises dans le
cadre du consentement donné en connaissance de cause, en tant que
membres à part entière de la « communauté locale
concernée ». Les intérêts des femmes sont aussi
pris en compte dans le partage des bénéfices tirés de la
diversité biologique, puisque ceux-ci sont restitués à la
communauté locale et doivent être redistribués
« d'une façon qui traite les hommes et les femmes
équitablement ». Cette loi évoque le rôle
essentiel des femmes et leur contribution dans la conservation de la
biodiversité dans toutes ses sections. Il ne pourra y avoir
d'égalité des sexes si cet élément fondamental
n'est pas pris en compte dans l'ensemble du droit national.
Dans l'ensemble la loi modèle africaine sur la
protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des
obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques
est profondément enracinée dans la philosophie des droits de
l'homme. Elle pourrait largement contribuer à l'amélioration des
conditions de vie des agriculteurs des pays africains dans la mesure où
elle se donne comme un instrument décisif dans la protection de leurs
différents droits.
1 La loi modèle africaine sur la
sécurité en biotechnologie
a Contexte et champ d'application
L'article 19.3 de la Convention sur la diversité
biologique appelle les parties contractantes à déterminer les
modalités d'un protocole sur la biosécurité. La
création d'un groupe de travail sur la biosécurité a
permis d'entamer les négociations dès 1996. La sixième
rencontre de ce groupe de travail à Carthagène (Colombie) a vu se
renforcer les oppositions entre les différents groupes de
négociation. Les consultations informelles à Vienne (Autriche)
ont permis de faire évoluer ces négociations entre
représentants de chaque groupe de pays, avec des consultations entre les
pays du Sud, rarement réunis et des consultations informelles avec la
société civile et les industriels. La conférence
extraordinaire des parties à Montréal (Canada) en janvier 2000 a
donné naissance au Protocole de Carthagène dont s'inspire
largement la loi modèle africaine sur la sécurité en
biotechnologie. Cette loi adoptée en 2001, s'applique à
l'importation, à l'exportation, au transit, à l'utilisation
confinée, à la dissémination ou la mise sur le
marché de tout OGM, qu'il soit destiné à être
disséminé dans l'environnement ou utilisé comme produit
pharmaceutique, denrée alimentaire, aliment pour bétail ou
produit de transformation, ou d'un produit dérivé
d'OGM204.
b- Les stipulations de la loi
L'autorisation préalable donnée en connaissance
de cause et la notification écrite205 sont exigées par
ladite loi, avant l'importation, le transit, l'utilisation confinée, la
dissémination ou la mise sur le marché d'OGM. Elle accorde une
importance particulière à l'évaluation et à la
gestion des risques206. Aucune décision d'importation,
d'utilisation confinée, de dissémination ou de mise sur le
marché d'un OGM ou dérivé d'OGM ne peut être prise
par l'Autorité compétente sans évaluation des risques pour
la santé humaine, la diversité biologique et
l'environnement207. L'autorité compétente peut, entre
autres, interdire l'importation, l'utilisation confinée, la
dissémination ou la mise sur le marché de tout OGM ou
dérivé si ses caractéristiques ou traits
spécifiques entraînent des risques inacceptables pour la
santé humaine, la diversité biologique, l'environnement, les
conditions socio-économiques ou les normes culturelles. C'est une loi
qui tient largement compte de la volonté et de la
spécificité de chaque pays dans la mesure où «
Si un organisme génétiquement modifié ou un produit
dérivé (...) a fait l'objet d'une interdiction légale dans
le pays d'origine, son exportation ne pourra être en aucun cas
autorisée »208. On pourrait en déduire
qu'un OGM peut faire l'objet d'une mesure d'interdiction dans un pays africains
en raison de plusieurs facteurs d'ordre sanitaire, environnemental,
socio-économique, éthique, culturel ou religieux. Cette
disposition tend donc à protéger les pays dans leur
spécificité, par le respect scrupuleux des valeurs
socioculturelles qui guident leurs choix de société.
La dissémination involontaire est soumise à des
mesures d'urgence209 et la loi modèle fait obligation
d'identifier et d'étiqueter tout OGM ou tout produit qui en est
dérivé210.
Au total, tout comme son inspirateur (le protocole de
Carthagène), la loi modèle africaine sur la
sécurité en biotechnologie repose sur le principe de
précaution, qui fait l'objet d'une consécration formelle et
officielle au paragraphe 3 de son préambule. En consacrant le principe
de précaution, les rédacteurs de la présente loi ne
cachent pas leur inquiétude devant les risques potentiels
découlant de l'utilisation incontrôlée des biotechnologies
modernes.
B- La législation ivoirienne
1- Le contexte :
La Côte d'Ivoire, comme de nombreux pays en
développement a pris une part très active à la
Conférence de Rio de 1992 sur l'Environnement et le
Développement, au cours de laquelle ont été
discutés et adoptés au niveau mondial, l'Agenda 21 qui
présente les biotechnologies comme un outil de promotion susceptible de
contribuer à atteindre les objectifs du développement durable, et
la convention sur la diversité biologique dont l'article 19 est relatif
à la biotechnologie et au partage des avantages qui en découlent.
Toutefois, comme les effets secondaires des produits dérivés des
biotechnologies modernes restent encore incertains, la communauté
internationale invite à la précaution. Dans le cadre de la
recherche des moyens de gestion des risques biotechnologiques, un atelier
sous-régional sur les technologies nouvelles et les produits qui en
découlent a été organisé dans la capitale
économique ivoirienne. Cet atelier a définit les enjeux de la
biotechnologie nouvelle pour l'Afrique et particulièrement pour les
régions Ouest et Centre. Il a été noté que la
biotechnologie moderne présente des potentialités pour
l'amélioration des productions agricoles. Mais certaines manipulations
pourraient constituer une menace pour les ressources naturelles. En
considération des enjeux socio-économiques, environnementaux,
sanitaires et éthiques, le gouvernement ivoirien a mis sur pied un
comité ad hoc pour réfléchir sur cette nouvelle donne et
surtout proposer une réglementation pour l'importation, la production,
l'expérimentation, l'utilisation, ou la mise sur le marché
national des OGM. Parallèlement à cette démarche, la
Côte d'Ivoire participait très activement aux réflexions du
Comité intergouvernemental sur la prévention des risques
biotechnologiques. Le Protocole de Carthagène sur la prévention
des risques biotechnologiques qui en a résulté fait peser sur les
Etats-parties une obligation majeure ; son article 2 dispose que :
« chaque partie prend les mesures juridiques, administratives et
autres nécessaires et appropriées pour s'acquitter de ses
obligations au titre du protocole ».
C'est dans ce cadre que la Côte d'Ivoire a
sollicité et obtenu du Fonds pour l'Environnement (FED) des ressources
pour définir sa politique de gestion et d'utilisation des OGM sur son
territoire. Un cadre national de biosécurité a été
proposé, il s'agit de l'avant-projet de loi portant prévention
des risques liés aux biotechnologie. Le texte est dans sa mouture
très fidèle à la loi modèle africaine qui retrace
les directives du Protocole de Carthagène.
2- OGM et régime juridique en Côte d'Ivoire
L'étude de la législation en matière de
biotechnologie et de biosécurité a révélé
que bien qu'il n'existe pas de textes réglementaires
spécifiquement relatifs aux OGM, l'on ne saurait évoquer un
quelconque vide juridique. En effet, soucieux de protéger son couvert
végétal d'où il tire la quasi-totalité de ses
ressources alimentaires, le gouvernement ivoirien a dès le début
de son indépendance pris des mesures de protection de ses cultures.
Ainsi, les importations de semences et autres végétaux ont
été soumises à des règles très strictes.
Cependant, compte tenu des risques potentiels que les OGM présenteraient
pour la santé de l'homme et l'environnement, ceux-ci constituent
aujourd'hui une spécificité qui commande des précautions
particulières. Or, la législation gouvernant la
sécurité en matière de biotechnologie est quasi
inexistante. On trouve quelques dispositions dans des textes
réglementant des secteurs similaires. Mais elles sont parcellaires et
insuffisantes. Un renforcement de la réglementation nationale s'impose,
à l'effet de l'adapter à l'environnement international et aux
nouvelles technologies.
Mais, avant de suggérer ces mesures à prendre,
il est important de présenter le cadre normatif existant.
a Le cadre normatif existant :
En l'absence de législation nationale spécifique
à la prévention des risques biotechnologiques, des dispositions
de textes existants peuvent aisément s'appliquer à certains
aspects des OGM. Il s'agit notamment de textes relatifs à l'introduction
des végétaux en Côte d'Ivoire, à la protection des
végétaux existants et de la prévention d'atteinte à
la diversité biologique, à l'utilisation de produits
phytosanitaires...
- Introduction des végétaux en Côte
d'Ivoire
En Côte d'Ivoire, aucune opération
d'introduction, d'importation et d'exportation de toute espèce animale
ou végétale ne peut se faire sans une autorisation
préalable de l'autorité compétente. Ce principe est
posé par l'article 16 de la loi n° 96-766 du 30 octobre 1996
portant code de l'environnement. Mieux, le gouvernement s'est très
tôt doté de mesures préventives contre les
végétaux et autres matières susceptibles de
véhiculer des organismes dangereux pour les cultures nationales avec la
mise en oeuvre du décret n° 63-457 du 07 novembre 1963 fixant les
conditions d'introduction et d'exportation des végétaux et autres
matières susceptibles de véhiculer des organismes dangereux pour
les cultures. Ce texte conditionne l'importation des végétaux
à l'obtention préalable d'un certificat phytosanitaire attestant
de l'état sanitaire des végétaux en cause. Ce permis
d'importation est délivré par le Ministère en charge de
l'agriculture à travers les services spécialisés de la
protection des végétaux. Par application de ces dispositions, le
gouvernement de Côte d'Ivoire dispose d'un texte pour se prononcer sur le
transfert et l'importation de certains types d'OGM dont la dangerosité
est avérée ou probable ailleurs. En outre, le décret
n° 92-392 du 1er juillet 1992 relatif à l'homologation
et à la protection des variétés végétales,
à la production et à la commercialisation des semences et plants
qui soumet à homologation les variétés
végétales nouvelles avant leur multiplication, permet au
gouvernement d'opérer une stricte sélection des semences et
plants, y compris les semences et plants génétiquement
modifiés.
3 Protection phytosanitaire
L'utilisation des produits phytosanitaires a fait
également l'objet d'une réglementation. Ceci s'explique par le
fait que l'économie du pays repose essentiellement sur l'agriculture.
Ainsi, l'utilisation de tout pesticide qui peut s'avérer dangereux pour
la santé de l'homme et les ressources naturelles, a été
soumise à agrément par le décret n° 89-02 du 04
janvier 1989 relatif à l'agrément, la fabrication, la vente et
l'utilisation des pesticides. Les articles 4 à 7 fixent les conditions
et formalités d'obtention de l'agrément. L'agrément est
accordé par un arrêté du ministre de l'agriculture sur
proposition d'un comité interministériel dit
« comité de pesticides ». Cette procédure
très intéressante peut être utilisée pour les
demandes concernant des expérimentations et utilisations en usine de
certains types d'OGM tolérants aux herbicides et pesticides.
4 Etude d'impacts environnementaux
En application des principes de développement durable,
la loi n° 96-766 du 03 octobre 1996 portant code de l'environnement fait
obligation à tout initiateur de projets de développement
d'obtenir une autorisation du Ministère en charge de l'environnement.
Cette autorisation est accordée sur la base d'une étude
préalable des conséquences du projet sur l'environnement. Le
décret n° 96-894 du 08 novembre 1996 déterminant les
règles et procédures applicables aux études relatives
à l'impact environnemental des projets de développement
définit les différents types de projets en trois
catégories. Ainsi, on distingue les projets qui de par leur nature sont
exemptés des études d'impacts environnementaux, les projets ne
présentant pas de risques sérieux pour l'environnement soumis
à un simple constat d'impact et les projets qui en raison de leur
nature, de leurs dimensions, de la sensibilité des sites qui les
accueillent, peuvent présenter des risques sérieux pour
l'environnement, soumis à une étude d'impacts environnementaux
complète. Certaines activités concernant les OGM peuvent entrer
dans la dernière catégorie, notamment les essais en champ. En
plus, l'article 16 fait obligation de consulter le public en réalisant
une enquête publique dans la zone d'implantation du projet. La prise en
compte de l'avis des populations bénéficiaires du projet ou
susceptibles d'êtres perturbées par le projet est un facteur
important dans la prise de décision. Cette procédure est
très intéressante à utiliser dans la phase transitoire
d'autant plus que l'étude des risques éventuels, l'information et
la consultation du public sont des étapes incontournables dans le cadre
de certaines utilisations des OGM.
b- Nécessité de renforcement de la
réglementation sur les OGM
Après l'inventaire de l'arsenal juridique relatif
à la problématique biosécurité / OGM, on constate
que les textes sont anciens et mal ou pas tout à fait adaptés
à la nouvelle donne des biotechnologies modernes. Les dispositions
existant aussi bien en matière d'importation, d'homologation des
végétaux qu'en matière de dissémination demeurent
insuffisantes s'agissant des OGM. En effet, les préoccupations
concernant la prévention des risques potentiels, réels ou
supposés des OGM ne sont pas tout à fait pris en compte par ces
textes. Il y a donc lieu de prendre des dispositions qui viseraient à
garantir la sécurité ou à minimiser ces risques.
L'avant-projet de loi nationale sur la biosécurité a
été initié pour combler ce quasi-vide juridique.
Inspiré de la loi modèle africaine sur la sécurité
en biotechnologie, il en est une copie conforme. Il se présente sous
cinq titres qui sont :
Titre 1 : Les dispositions générales
Titre 2 : L'utilisation confinée des OGM et leur
dérivés
Titre 3 : La responsabilité et les dispositions
pénales
Titre 4 : Les disposions finales
En attendant la transformation de cet avant-projet de loi en
projet, puis en loi adoptée par le parlement et compte tenu de la
situation sociopolitique du pays et de l'urgence en la matière, il est
nécessaire de prendre un décret pour définir un
régime juridique sui generis sur les OGM en Côte
d'Ivoire. Ce régime devra contenir des règles pour
prévenir les éventuels effets nuisibles des OGM sur la
santé humaine et l'environnement.
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