Section 2 : Les enjeux écologiques et
éthiques
Nous aborderons tour à tour les questions
écologiques et environnementales et les questions éthiques
découlant de la problématique des OGM
Paragraphe 1 : les enjeux écologiques ou
environnementaux
Considéré comme un droit de l'homme à
part entière, le droit à un environnement sain est reconnu dans
l'ordre juridique interne139 des Etats et dans l'ordre juridique
international.
Le principe 1 de la Déclaration de Stockholm (1972) lie
cependant les normes de protection de l'environnement aux droits humains
stipulant que : « l'homme a un droit fondamental
à la liberté, à l'égalité, et à des
conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité
lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être, il a le
devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour
les générations présentes et futures ». Il
existe bien sûr un lien étroit entre le droit à un
environnement sain et les autres doits de l'homme, mais il est souvent plus
facile d'aborder les problèmes liés à l'environnement par
d'autres droits de l'homme que par le droit à un environnement sain
lui-même. La détérioration de l'environnement affecte le
droit à la vie, à la santé, au travail, à
l'éducation, entre autres droits. C'est autant dire que le droit
à l'environnement est un droit fondamental de l'homme.
Certains aspects de la problématique des OGM touchent
à ce droit fondamental. En effet, le débat que les OGM suscitent
dans le monde entier a donné lieu à des alliances entre groupes
disparates s'intéressant à la sécurité sanitaire
des aliments mais également à la protection de l'environnement.
Il semble que les risques concernant l'environnement diffèrent à
plusieurs
égards. De l'avis de certains écologistes, la
pratique des plantes génétiquement modifiées est
préjudiciable à l'environnement. En effet le développement
de l'agriculture biotechnologique favorise la monoculture
généralement pratiquée sur de grandes surfaces. Une telle
situation peut conduire à l'évidence à une perte
substantielle de la biodiversité à travers l'adoption d'un
système agricole moderne bien aux antipodes des techniques culturales
traditionnelles telles que adoptées en Afrique par exemple. En effet, en
Afrique alors que la tendance est à une diversification des cultures sur
une même parcelle de terre (diversité génétique), ce
qui a pour avantage de sauvegarder la biodiversité, l'agriculture
biotechnologique monoculturale repose sur l'uniformité
génétique. De plus, les cultures génétiquement
modifiées peuvent avoir une influence sur les autres cultures, mais
aussi sur les autres organismes qui vivent dans les champs, dans le sol et
autour des champs. On note donc des risques de dissémination, de
pollution et de contamination liés à l'invasion des cultures
génétiquement modifiées.
Les plantes génétiquement modifies se conduisent
comme toutes les autres plantes, c'est-à-dire qu'elles se
fécondent entre elles, se croisent avec les plantes du champ voisin,
produisent des graines qui se multiplient et se disséminent. Les OGM
plantés en plein champ vont donc se croiser avec les plantes voisines
sous l'effet du vent ou par le canal des insectes et envahir leur
environnement, contaminant les autres cultures. Les OGM peuvent donc se
répandre de façon incontrôlée dans la nature sous
l'effet de la pollinisation croisée. L'histoire de Percy SCHMEISER
illustre bien cette possibilité. Agriculteur canadien, Percy SCHMEISER
cultive du colza, une plante oléagineuse des pays froids, depuis des
dizaines d'années. Il a développé sa propre
variété locale qui résiste bien aux maladies et qui a peu
de mauvaises herbes. En 1996, ses voisins achètent à Monsanto,
la variété de colza transgénique qui tolère
l'herbicide Round Up, lui-même commercialisée par Monsanto.
En 1997, Percy SCHMEISER pulvérise comme d'habitude de
l'herbicide Round Up sur les bords de son champ afin d'éliminer les
mauvaises herbes et les repousses de colza. Deux semaines plus tard, il
remarque que ces plants de colza ont survécu et résistent
à l'herbicide. Ce qui signifie que son champ de colza conventionnel a
bien pu être contaminé par les cultures voisines de colza
génétiquement modifié. La preuve : il récolte
son colza et, comme il l'a toujours fait, il utilise une partie de sa semence
pour l'année suivante. En 1998, Monsanto l'accuse d'avoir utilisé
son colza transgénique breveté sans payer le prix de la licence
d'utilisation. L'affaire est portée en justice140. La
possibilité de la contamination des cultures biologiques ou
conventionnelles par les cultures transgéniques pose le problème
de la coexistence entre les différentes filières. En effet est-il
techniquement possible de faire coexister les filières
génétiquement modifiées et les filières non
génétiquement modifiées sans que les premières ne
nuisent aux secondes. Les scientifiques semblent être pour le moins
unanimes sur la question. En effet suite à l'affaire Percy SCHMEISER qui
constitue un exemple en la matière, une frange non moins
négligeable de la communauté scientifique
Estime que le principe de la
coexistence des différentes filières est un leurre. Dans
un rapport présenté à la Commission Européenne en
janvier 2002, l'Institut d'Etudes Technologiques Prospectives du Centre
Européen des Recherches Conjointes affirmait que « La
coexistence entre l'agriculture OGM et non-OGM ou l'agriculture biologique est
impossible... »141. Des tests sur le flux de pollen
ont montré que le pollen de blé peut voler au moins une heure, ce
qui voudrait dire qu'il peut, selon la vitesse du vent, parcourir une distance
très longue. Le pollen de colza, qui est encore plus léger, peut
voler entre trois et six heures. Un vent normal de soixante dix
kilomètres à l'heure, se « moque des distances de
séparation de quelques centaines de mètres
prévues par la loi » commente Percy SCMEISER qui semble
tourner en dérision ceux des scientifiques qui estiment que le risque de
contamination peut être efficacement contrôlé, à
condition de prévoir des mesures rigoureuses qui sont entre autres,
« L'établissement des zones-tampons entre les cultures des
deux types, le recours à des pièges à pollen ou la bonne
gestion des dates de semis et de récolte pour créer un
décalage entre les périodes de pollinisation des plantes
génétiquement modifiées et les autres plantes, le respect
scrupuleux des distances d'éloignement entre ces cultures avec la
possibilité de les moduler en fonction des espèces d'une part, et
des conditions particulières de la zone, d'autre
part.»142. Contrairement à Percy SCHMEISER,
certains écologiques favorables aux OGM vont plus loin pour affirmer que
l'utilisation des plantes génétiquement modifiées peut
avoir des effets bénéfiques sur l'environnement dans certains
cas, notamment par la réduction de quantité de produits
phytosanitaires avec des plantes génétiquement modifiées
peu exigeantes en pesticides ou en insecticides. On évoque même de
plus en plus la possibilité de l'utilisation de produits moins polluants
parce que biodégradables à partir des manipulations
génétiques143.
Si ces solutions méritent qu'on y prête une
oreille attentive, on ne peut néanmoins s'empêcher de se poser
quelques questions sur la coexistence des différentes
filières ; en effet, comment peut-on éviter que les graines
de maïs génétiquement modifié tombent par terre et
germent plusieurs années après ? Comment un agriculteur
pratiquant les cultures biologiques ou conventionnelles peut-il être
sûr que son tracteur, sa charrette et même ses bottes ne
transportent pas de grains transgéniques ? Comment alors peut-on
éviter les mélanges de semences sur les lieux de stockage ?
C'est à autant de questions qu'il faudra répondre si on veut
appliquer le principe de la coexistence des différentes
filières.
Concrètement, il est extrêmement difficile de
faire coexister deux filières étanches, l'une
transgénique, l'autre biologique ou conventionnelle. En effet, quand les
semences sont mélangées dans les charrettes ou les greniers, il
est souvent difficile de faire le tri entre les OGM et les cultures
traditionnelles, car les grains se ressemblent beaucoup. Seule une analyse
technique complexe (analyse PCR) permet de vérifier si le patrimoine
génétique d'une semence a été modifié ou
non144. De plus en plus les transnationales intervenant dans le
domaine des biotechnologies s'activent en vue de sauvegarder la
diversité génétique des semences des plantes
cultivées145. Pour certains observateurs à l'instar de
Robert Ali Brac De La PERRIERE et Frederick PRAT, « Si les
industriels promoteurs des cultures transgéniques prennent au
sérieux la nécessité de sauvegarder les ressources
génétiques des plantes, c'est parce que de nombreux indices
attestent la contamination des plantes conventionnelles par les plantes
génétiquement
modifiées »146. La dispersion du
pollen des plantes génétiquement modifiées dans la nature
et précisément dans les mauvaises herbes pourrait rendre ces
dernières plus résistantes aux herbicides et aux insectes, ce qui
nécessiterait pour leur traitement l'usage de produits plus puissants et
plus toxiques. De plus, on admet que l'utilisation répétée
d'un même herbicide peut entraîner une modification de la flore
car sous l'effet des pressions très fortes qui s'exercent sur elles, un
processus de sélection fait apparaître des biotypes
résistants aux herbicides associés aux plantes
transgéniques conçues pour posséder une tolérance
à l'égard de ces herbicides. Autre risque : la
possibilité d'une colonisation du sol par les plantes
génétiquement modifiées. Le génie
génétique permet en effet qu'une fois utilisé, par exemple
du soja génétiquement modifié sur un sol donné, il
ne soit plus possible d'y cultiver du soja biologique. Les effets
écologiques ou génétiques de l'introduction d'OGM dans
l'environnement peuvent inclure :
- Des effets non voulus sur la dynamique des populations
animales et végétales dans le milieu récepteur
résultant des impacts sur les espèces non ciblées pouvant
subir des répercussions directes du fait de la prédation ou de la
concurrence, ou indirecte à cause des changements intervenus dans
l'utilisation des terres ou les pratiques agricoles. Certaines recherches
relatives à l'impact des OGM sur les espèces non ciblées
ont donné des résultats qui ne sont pas de nature à
rassurer. Il a par exemple été constaté que les
variétés Bt secrètent des toxines Bt dans la
rhizosphère ; ces toxines sont alors présentes dans des
concentrations plus élevées que dans les conditions normales, ce
qui pourrait avoir des conséquences sur les populations d'insectes du
sol qui se nourrissent de ces plantes. Le vif intérêt
suscité par les papillons Monarque (Danaus Plexippus)
très populaire en Amérique du Nord a donné lieu aux
travaux les plus importants sur l'impact des OGM sur les espèces
sauvages, et les consommateurs s'intéressent de très près
à cette question. Ces travaux dont les résultats ont
été largement diffusés ont révélé la
toxicité du pollen Bt pour les larves de Monarque
élevés en laboratoire. Ces travaux vérifient ainsi
l'hypothèse selon laquelle la biodiversité pourrait bien
disparaître sur le long terme, sous la menace des OGM. Par le pollen, des
échanges de gènes peuvent avoir lieu entre les plantes
génétiquement modifiées et les espèces sauvages
apparentées qui poussent dans les forêts, dans les prairies et les
savanes. Ces échanges peuvent transformer les propriétés
des plantes sauvages utilisées en agriculture pour l'obtention de
plantes cultivées ou pour l'amélioration des plantes
cultivées. Ces échanges peuvent également changer les
propriétés des plantes sauvages utilisées par la
médecine traditionnelle.
-On n'exclut pas la possibilité de contamination des
micro-organismes du sol par les OGM. En effet, il n'est pas rare de rencontrer
dans la nature des micro-organismes capables d'introduire des gènes de
plantes dans leur propre patrimoine héréditaire à
l'occasion d'un flux de gènes. Il pourrait donc y avoir un transfert de
gènes entre la plante OGM et le micro organisme environnant. Une telle
possibilité existerait, qu'elle conduirait sûrement à un
dérèglement de l'équilibre
écologique, quand on sait que certains micro-organismes jouent un
rôle catalyseur dans le maintien de cet équilibre.
Par sa nature même, le risque environnemental
éventuellement associé aux OGM est souvent beaucoup plus
difficile à appréhender que le risque sanitaire. D'une part, la
sécurité sanitaire concentre ses moyens sur les effets directs
pour l'homme, là où la sécurité environnementale
doit évaluer un large champ d'espèces végétales et
de populations animales, ainsi que leurs innombrables interactions. D'autre
part, et surtout, les effets environnementaux sont nécessairement des
effets à terme, et donc logiquement beaucoup plus difficiles à
évaluer a
priori. Il convient d'insister d'emblée sur un point
fondamental, qui explique les inquiétudes des populations : les OGM
sont perçus comme une évolution irréversible. Dans ces
conditions, le droit à l'erreur ne serait vraiment permis, ce qui
confère au débat une tension dramatique qui explique sans doute
les incompréhensions parfois animées de violences. Enfin le
débat sur les OGM met en confrontation deux visions du
développement durable : d'un côté les partisans d'une
durabilité faible, estiment que l'épuisement et la
dégradation de l'environnement naturel peuvent être
compensés par l'investissement et le progrès technologique qui
permettent la découverte de substituts. Cette hypothèse de
substituabilité présente et future entre le capital naturel et
les autres formes de capital, combinée à une vision très
optimiste des possibilités de la technologie, aboutit à nier la
spécificité des actifs naturels, et donc l'existence de
contraintes écologiques absolues.
De l'autre côté, dans sa version la plus rigide,
la durabilité forte souligne la spécificité du capital
naturel. Alors que le capital technique reproductible peut toujours être
modifié en hausse ou en baisse, la diminution du capital naturel est,
elle, souvent irréversible. Le progrès technique est impuissant
à y remédier et l'hypothèse de totale
substituabilité entre le capital technique et naturel est
rejetée147.
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