DEUXIEME PARTIE : DEPASSER LA CONTROVERSE AUTOUR
DE LA
DIALECTIQUE
OGM/SECURITE ALIMENTAIRE
Après avoir analysé, les enjeux alimentaires
liés aux OGM, la deuxième partie du travail consistera à
exposer, les autres enjeux des biotechnologies modernes (chapitre 1) sans bien
sûr omettre l'analyse des questions juridiques s'y rapportant (chapitre
2).
CHAPITRE I : Les autres enjeux des biotechnologies
modernes
Au delà de la question de la sécurité
alimentaire, les OGM soulèvent des enjeux de divers ordres : enjeux
économiques et politiques, enjeux écologiques et éthiques,
enjeux juridiques, la question des OGM ne manque pas de réveiller des
débats d'école et des querelles de doctrine.
Section 1: Les OGM, des enjeux économiques,
commerciaux et de stratégie géopolitique
Nous aborderons successivement dans cette section, les enjeux
économiques et commerciaux d'une part, et d'autre part, les enjeux de
stratégie géopolitiques liés aux OGM.
Paragraphe 1 : Les enjeux économiques et
commerciaux
D'après le rapport de la FAO sur la situation de
l'alimentation et de l'agriculture 2003/2004, la recherche en biotechnologie
agricole est essentiellement le fait de grands groupes privés
implantés principalement dans les pays industrialisés. Il s'agit
là d'une orientation profondément différente par rapport
à la révolution verte, où le secteur public joua un
rôle de premier plan pour diriger la recherche agronomique sur les
problèmes de la faim et de pauvreté rurale dans le monde en
développement. Pour l'Organisation, ce changement de paradigme a des
répercussions importantes sur le type de recherche, les types de
technologies élaborées, et la façon dont ces technologies
sont utilisées. « La domination du secteur privé
dans les biotechnologie agricoles suscite des préoccupations sur le fait
que les agriculteurs des pays en développement, et en particulier les
paysans pauvres ne pourront en profiter, soit parce qu'ils ne disposent pas des
innovations appropriées, soit parce qu'elles sont trop
coûteuses »114indique-t-elle. Comme le fait
remarquer Stephane DAZIE du Centre Africain pour les études
technologiques : « le développement des biotechnologies
dans l'Est et le Sud de l'Afrique n'est pas basé sur des politiques
particulières que les gouvernements ont mis en place mais sur les
intérêts de certains chercheurs et quelques fondations procurant
les financements»115
Les sociétés transnationales vivent de leur
commerce. Près du tiers des échanges commerciaux se pratiquent
entre les transnationales et leurs propres organisations : une filiale
vend des produits ou en achète à une autre filiale
installée dans un autre pays, par exemple, ou fait du commerce avec la
société mère. Elles sont particulièrement actives
dans les secteurs de la transformation et de la commercialisation des produits
agroalimentaires. Il n'est pas rare que plus de quatre vingt pour cent du
commerce d'un produit agricole se retrouve entre les mains d'une poignée
de méga-entreprises. Les OGM n'échappent pas à la logique
mercantile de ces multinationales. Comme le fait remarquer John
MADELEY116, il existe un lien étroit entre les règles
commerciales élaborées par l'Organisation Mondiale du Commerce et
l'essor du commerce des cultures génétiquement modifiées.
Les impératifs de la croissance économique et de l'accumulation
ont amené les pays industrialisés à s'investir activement
dans le domaine des biotechnologies modernes et à rechercher des
marchés. Ils ont tenté de s'assurer un accès au
marché mondial au moyen des accords de libre-échange, notamment
lors des négociation du cycle de l'Uruguay (Uruguay Round) dans le cadre
du GATT, dont les résultats sont maintenant inscrits dans les statuts de
l'OMC. A ce jour une poignée de méga-entreprises règnent
sur l'industrie des aliments génétiquement modifiés :
il s'agit des firmes Monsanto (USA), de Sagynta (Suisse), de Dupont (USA) pour
ne citer que ces dernières. Pour maximiser leur profit, ces
transnationales doivent vendre leurs semences génétiquement
modifiées partout dans le monde. Cela est rendu possible par
l'instauration des droits de propriété intellectuelle
(DPI) dans les relations commerciales. L'un des principaux facteurs
à l'origine des investissements croissants du secteur privé dans
la recherche sur les biotechnologies est le fait que depuis vingt cinq ans,
entrent en jeu des mesures internationales vigoureuses pour protéger les
droits de propriété intellectuelle. Le secteur privé
a reçu des incitations économiques pour investir dans la
recherche et le développement des biotechnologies modernes. Mais si les
droits de propriété intellectuelle ont fortement stimulé
la recherche du secteur privé dans les pays développés,
ils peuvent en retour restreindre l'accès aux outils de recherche pour
les scientifiques des pays en développement. En effet, de nombreuses
innovations de la génétique sont protégées par des
DPI, ce qui signifie que les pays en développement se heurtent à
des coûts croissants d'accès et d'utilisation des nouvelles
technologies.
Mais qu'est-ce qu'un droit de propriété
intellectuelle ?
Le droit de propriété intellectuelle
reconnaît à un individu ou à une firme, la
propriété exclusive sur une invention, sur les nouveaux
résultats d'une recherche ou d'une sélection. Pour certaines ONG
africaines, la société industrielle et la logique de profit qui
la soutient ont permis de développer ce mécanisme pour
protéger les créations de l'esprit. Un DPI est accordé
à toute firme qui en fait la demande et qui peut montrer que le produit
à protéger est un nouveau produit. Les brevets qui
matérialisent ces DPI117 assurent aux inventeurs ou
créateurs, le droit exclusif d'exploiter leur invention pendant une
certaine période. De façon plus concrète, les DPI
empêchent les autres d'exploiter cette invention ou création et
permettent ainsi aux créateurs de tirer un bon profit, monétaire
généralement de leur invention. Après cette
période, l'invention tombe dans le domaine public et peut être
exploitée par d'autres individus ou d'autres firmes.
Le brevet accorde à son titulaire l'exclusivité
de son innovation, exclusivité qui comprend la fabrication, la vente, ou
la distribution de l'article ou de la matière brevetés, de
même que l'utilisation ou l'exploitation de la méthode ou du
procédé en vue de fabriquer un article ou une substance. Le
brevet serait le mode de protection de la propriété
intellectuelle qui rapporte plus de profit à son
propriétaire ; il lui confère un monopole d'exploitation de
vingt à vingt cinq ans. Mais la procédure d'obtention des brevets
serait également coûteuse118. Toutefois le
propriétaire d'un brevet peut autoriser un tiers à utiliser son
produit ou son procédé contre le paiement d'une redevance ou
royalty. L'accord de l'OMC accorde une place dominante aux brevets. En effet,
à travers les Accords sur les Droits de Propriété
intellectuelle touchant au Commerce (APDIC), l'Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) oblige les Etats-parties à se doter d'un système
de protection de la propriété intellectuelle. L'accord sur les
APDIC est l'entente internationale la plus exhaustive qui existe sur les droits
de propriété intellectuelle ; elle complète les
conventions de la propriété intellectuelle en les assortissant
d'obligations substantielles découlant des règles de
l'OMC119. Tout en autorisant les pays membres à interdire le
brevetage des plantes et des animaux, l'article 27,3(b) requiert
néanmoins une forme de protection de la propriété
intellectuelle pour les nouvelles variétés
végétales. Les firmes biotechnologiques se servent bien
évidemment de ce cadre juridique pour non seulement amortir le
coût des investissements opérés mais également
réaliser de gros profits.
Dans le cas des brevets sur la vie, il s'ensuit que leurs
détenteurs peuvent empêcher tout autre personne de fabriquer ou
d'utiliser les semences, plantes et animaux ainsi brevetés. Pour Ralph
NADER, « Sous le régime autocratique et secret de l'OMC,
les transnationales, convoitent le monopole international des brevets, et non
seulement sur les médicaments mais sur les semences, la flore et la
faune. Les règles visent à soumettre les normes des pays membres
en matière de santé et de sécurité alimentaire aux
impératifs du commerce international ». A en croire
certains esprits hostiles à la philosophie libre-échangiste qui
guide les relations commerciales actuelles dont l'OMC passe pour être le
porte voix, les
transnationales se servent de cette instance pour
« instaurer un marché mondial
déréglementé qu'elles pourront contrôler et
où il n'y aura pas de place pour des lois efficaces destinées
à protéger l'environnement et les droits de
l'homme »120. Les transnationales favorisent la
monoculture et, partout où c'est possible, exigent des agriculteurs
qu'ils achètent leurs intrants, en plus de leur interdire de conserver
ou de vendre leurs propres semences. En contrôlant le matériel
génétique de la semence au marché et en obligeant les
fermiers à payer des prix parfois au-dessus de leurs moyens, pour leurs
semences et leurs intrants, les grandes firmes tentent de tirer le maximum de
profits de leurs investissements. Les grandes firmes semencières n'ont
certainement pas inventé les semences génétiquement
modifiées pour aider les petits agriculteurs des pays du Sud. Ces
derniers craignent que les OGM ne nuisent à leur agriculture et à
leur sécurité alimentaire, tout particulièrement en
permettant à des transnationales de contrôler leur
approvisionnement alimentaire. Dans les pays du Sud en particulier, ces
monopoles menacent grandement les bases de la sécurité
alimentaire dans la mesure où le contrôle des semences
échappe de plus en plus aux agriculteurs. La technologie
« terminator » mise au point par la firme MONSANTO
et qui oblige les paysans à renouveler leurs semences chaque saison
trahit bien les velléités d'expansion économique des
industries biotechnologiques. Or la majorité des petits agriculteurs du
tiers-monde n'ont pas les moyens d'acheter de nouvelles semences chaque
année. Et comme la plupart des banques sont réticentes à
accorder des prêts à des paysans qui ne peuvent offrir de
garanties, il leur est difficile d'emprunter. De toute façon, même
s'ils avaient accès au crédit, bon nombre d'agriculteurs sont
d'avis que les semences, trop importantes pour être laissées entre
les mains d'entreprises étrangères, doivent demeurer sous le
contrôle des communautés locales. Dan GLICKMAN, secrétaire
américain à l'agriculture sous l'administration CLINTON attira
d'ailleurs l'attention sur « le risque que les petits
agriculteurs deviennent dépendants des technologies brevetées par
des entreprises privées, notamment les OGM, soulignant que les choix
motivés par les intérêts commerciaux en matière de
développement technologique ne répondent pas aux besoins des
agriculteurs démunis et, pire encore, qu'ils risquent de les
réduire à la condition de
serfs. »121 Le système des brevets et
le rôle que jouent les grandes firmes dans le secteur des aliments
transgéniques représentent un risque pour les petits agriculteurs
au profit des grandes firmes monopolistiques. Les brevets apparaissent comme un
outil vital des transnationales. Les grandes firmes de la biotechnologie
possèdent les ressources pour mettre au point des produits brevetables
et les protéger légalement, ce que favorisent d'ailleurs les
règles de l'OMC. Pour Mark CURTIS, « les règles du
commerce international sur les brevets permettent à
des entreprises colossales d'accaparer le contrôle des produits du Sud
aux dépens des affamés. »122
De nos jours, des compagnies, des universités, des
chercheurs et, en particulier, des gouvernements semblent jouer gros en se
lançant dans une chasse au trésor des brevets dont la vente leur
rapportera des milliards de dollars. Ainsi, on a pu voir à la fin du
vingtième siècle des brevets être accordés à
l'égard du savoir et des plantes des indigènes, des
mictro-organismes, des gènes, des animaux, voir des cellules et des
protéines humaines.
La mondialisation des systèmes de DPI à
l'occidentale dans un monde où règnent de profondes
inégalités vient saper directement les droits économiques
des pauvres.
Ainsi que le signalait Deepak NAYYAR, « Il est
essentiel de garantir une récompense aux innovateurs, mais la protection
des bénéfices monopolistiques ne doit certes pas avoir la
préséance sur les intérêts des consommateurs dans un
monde qui se caractérise par un développement
inégal»123. Le défi consiste dans l'atteinte
d'un équilibre : une protection qui encourage l'innovation sans
nuire au bien commun. L'Accord sur les ADPIC a malheureusement
dépassé ces limites en protégeant les droits des
investisseurs sans créer un régime de protection de
l'intérêt public. Tout ceci soulève le problème du
commerce équitable dans les relations Nord-Sud. En effet, les
règles actuelles du commerce international font peser sur les petits
producteurs marginalisés une pression de plus en plus forte contre
laquelle ils n'ont pas les moyens de lutter. Le commerce
équitable124 propose un nouveau modèle basé sur
une relation plus équilibrée entre les différents
partenaires commerciaux. Soutenu par les consommateurs, ce commerce garantit
aux producteurs des pays en voie de développement l'achat de leurs
marchandises à un prix « juste » à l'abri des
fluctuations du marché.
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