Paragraphe 2: Des risques toxicologiques
La lutte anti-OGM a atteint sa vitesse de croisière
avec la publication des résultats des recherches entreprises par le
Docteur Arpad PUSZTAI. Lorsqu'il était encore chercheur à
Rowett Reasearch Institute à Aberdeen en Ecosse, PUSZTAI a
obtenu des résultats préliminaires inquiétants :
après avoir mangé des pommes de terre transgéniques, des
rats ont souffert d'un retard de croissance, de problèmes de
développement de plusieurs organes vitaux tels que le foie et le
cerveau, et d'une déficience alarmante du système immunitaire.
Ses travaux allaient donner lieu à l'une des plus
grandes querelles scientifiques (parce que largement médiatisée)
de notre époque dans la mesure où les résultats des
recherches concluaient à la nocivité des OGM94. De
cette expérience, certains scientifiques déduiront des risques
toxicologiques certains liés à la consommation de l'alimentation
transgénique.
Le transfert
horizontal de
gène95, la technique qui consiste à
transférer directement du matériel génétique dans
le génome d'organismes d'espèces totalement différentes
semble être le plus sérieux problème de
sécurité que pose le génie
génétique96. Cela est d'autant plus vrai que certaines
constructions artificielles créées par le génie
génétique nécessitent l'utilisation de virus et de
bactéries qui ne sont en réalité que les véritables
vecteurs de maladie97. Or selon des études, il n'est pas
exclu qu'au cours d'une ingestion d'aliments transgéniques issus de la
recombinaison de l'ADN de bactéries ou de virus, l'estomac humain soit
infecté. On rapporte à ce sujet que des recherches,
autorisées par le gouvernement du Royaume-Uni pour étudier
l'éventualité d'un transfert de gène horizontal dans des
bactéries de l'estomac de volontaires, ont donné lieu à
des résultats positifs98. Les dangers les plus insidieux du
génie génétique résideraient donc dans la
technologie elle-même puisqu'elle augmente grandement la portée et
la probabilité des transferts horizontaux de gènes et de
recombinaison, la voie décrite comme idéale pour la
création de virus et de bactéries qui pourraient provoquer des
épidémies. Il semble que les techniques nouvelles, comme la
recombinaison de l'ADN, permettent aux généticiens de
créer en laboratoire, en quelques minutes, des millions de virus
recombinants qui n'ont jamais existé durant les milliards
d'années de l'évolution de notre monde. Or les virus et les
bactéries susceptibles de provoquer des maladies et leur matériel
génétique sont en toute hypothèse les matériaux et
les outils prédominants du génie génétique, les
mêmes sont utilisés pour la création intentionnelle d'armes
biologiques. Diverses possibilités au service d'une attaque biologique
seraient envisageables par manipulations génétiques : rendre
pathogène une bactérie naturellement offensive, en y
insérant des gènes de toxicité prélevées
sur le génome de bactéries dangereuses, modifier une
bactérie pathogène afin d'empêcher sa reconnaissance par le
système immunitaire ou de la rendre résistante aux antibiotiques,
introduire un virus silencieux dans une population ciblée puis
réveiller ce virus par un signal chimique99 . Une autre
forme de bioterrorisme pourrait être de déclencher des maladies
dites agricoles, ce qui serait à la fois efficace et discret, un
laboratoire agronomique se distinguant avec peine d'un laboratoire militaire et
certains OGM agricoles présentant des points communs avec des agents
bactériologiques militaires100. Le pire est donc à
craindre.
De plus, l'ADN transgénique serait reconnu pour
survivre à la digestion dans l'intestin et pour sa capacité
à pénétrer dans le génome de cellules de
mammifères, ce qui augmenterait la possibilité de
déclencher le cancer101. Par ailleurs, il existe une ample
documentation scientifique montrant que l'augmentation massive des produits
chimiques et phytosanitaires dans le traitement des plantes fait courir un
risque important sur la santé humaine. Et pourtant, des
statistiques102 révèlent que, plus de soixante quinze
pour cent des plantes génétiquement modifiées ont
été conçues pour être tolérantes à des
herbicides. On avance que non seulement ces herbicides tuent les plantes sans
discrimination, mais ils sont également dangereux pour les animaux et
les êtres humains. Certains herbicides à l'instar du
glufosinate d'ammonium et du glufosate sont reconnus
pour leur toxicité. Le glufosinate d'ammonium ou
phosphinothricine utilisé dans le traitement de certaines
plantes génétiquement modifiées est réputé
pour sa nocivité pour les systèmes neurologiques, respiratoire,
gastro-intestinal et hématologique et provoquerait des malformations
chez les humains et les mammifères103. En ce qui concerne le
glyphosate couramment utilisé dans le traitement des plantes
transgéniques appelés «Roundup Ready»
conçues par la firme MONSANTO, des études révèlent
que ce produit constitue la cause principale d'empoisonnements et de plaintes
au Royaume-Uni. En effet on rapporte que nombreuses sont les personnes qui
après avoir inhibé ce produit par voie alimentaire ont perdu
l'usage de certaines fonctions vitales : pertes d'équilibre,
vertiges, réductions des capacités cognitives, troubles de la vue
et perte de l'odorat, troubles de l'ouie et du goût, maux de tête,
baisse de tension, paralysies des muscles, neuropathies, extrême
fatigue104 ... Certains scientifiques vont jusqu'à faire
admettre que l'exposition à ce produit peut doubler le risque de fausse
couche105 et que les enfants de parents qui l'utilisent seraient
plus aptes à développer des troubles de
comportement106. Le Docteur Jorge KACKZEWER107,
médecin à Buenos Aires note à ce propos que le
glyphosate vendu aux agriculteurs n'est pas pur. En effet selon lui,
« dans les formules commerciales,
des ingrédients inertes sont
ajoutés pour que le produit
pénètre mieux dans la
plante », lesquels pourraient également avoir des
conséquences désastreuses sur la santé. Mais ce qui
préoccupe surtout le médecin argentin, c'est leur combinaison
avec le glyphosate car il « crée une
synergie qui produit des
symptômes nouveaux, non explicables
par la symptomatologie de chacun
des produits ». Enfin l'un des problèmes
sérieux que soulève le génie génétique dans
l'alimentation est le risque de résistance aux
antibiotiques. De quoi s'agit-il ? En général, une
expérience de transgénèse nécessite un grand nombre
de cellules eu égard à son faible taux de réussite. Elle
requiert en conséquence la présence d'un système de
repérage permettant de sélectionner les organismes issus de
cellules manipulées ayant intégré le transgène. Le
plus souvent, les chercheurs introduisent avec le transgène un
gène de résistance à un antibiotique, dit gène
marqueur, ce qui permet, par application de l'antibiotique, de détruire
les cellules non modifiées. La source du problème est la
possibilité de transmission du gène de résistance d'une
plante transgénique à des bactéries pathogènes pour
l'homme par le phénomène des transferts horizontaux. Il en
résulterait inéluctablement une recrudescence de la maladie
causée par l'agent pathogène dans la mesure où il serait
quasiment impossible de lutter contre ces gènes pathogènes
résistants aux antibiotiques, transférés à
l'organisme humain avec les antibiotiques actuels. Peut être alors
faudra-t-il « surdoser » les antibiotiques pour espérer avoir
la guérison. De ce point de vue, le développement de
résistance aux antibiotiques peut être envisagé comme une
fatalité. Si la recrudescence de microorganismes pathogènes due
au développement de résistance aux antibiotiques est
réelle, nous pouvons espérer une parade dans les progrès
incessants de la biologie moléculaire, qui ne se contentera
bientôt plus de produire en masse des substances antibiotiques
naturelles, mais inventera certainement de nouvelles molécules
entièrement synthétiques108. Compte tenu des
problèmes posés par le
génétique en ce domaine, la Commission
Européenne a entrepris des travaux en vue d'identifier les gènes
de résistance aux antibiotiques qui devraient être
éliminés des futures constructions génétiques parce
que pouvant présenter un danger pour la santé humaine et
l'environnement109.
Les OGM sont donc perçus ici comme une menace
potentielle et réelle pour le consommateur. C'est ce qui ressort en tout
cas des analyses de certains professionnels de la santé
nutritionnelle.
A ce niveau de la réflexion, on retiendra que
l'introduction des OGM dans l'alimentation et l'agriculture est a priori le
domaine le plus controversé des biotechnologies
modernes110.
Cette situation est liée à la place de choix
qu'occupe l'alimentation dans les sociétés humaines. La question
qui reste entière est de savoir si les motivations profondes qui animent
les pro- et les anti-OGM dans ce débat d'une rare complexité,
sont légitimes. Il est certain que derrière cette confusion
totale se cache bien une guerre idéologique larvée, entretenue
par des intérêts divergents. D'un côté, les
promoteurs des OGM sont représentés par de grands groupes
capitalistes à la recherche de profits, de l'autre côté, se
trouvent des mouvements écologistes et les
altermondialistes111 qui luttent contre le phénomène
de mondialisation dont les OGM feraient partie. De toute évidence toutes
ces contradictions méritent d'être prises en compte pour faire
naître un minimum de consensus autour des opportunités
réelles que pourraient offrir les biotechnologies modernes. Pour
être plus juste, la plupart des partisans des biotechnologies modernes
n'affirment pas que les cultures génétiquement modifiées
peuvent résoudre tous les problèmes. Ils disent que le
génie génétique est seulement un outil essentiel parmi
tant d'autres et qu'il pourrait à cet effet ouvrir de grandes
perspectives dans le domaine agroalimentaire. Mais le génie
génétique entraîne une série de problèmes
pour la sécurité biologique, ce qui exige forcément des
ressources considérables pour en assurer la gestion. Il transfère
la recherche développement en agriculture du secteur public au secteur
privé via les firmes multinationales, et perturbe un processus collectif
de sélection des plantes qui existait depuis des temps
immémoriaux. C'est donc à juste titre que Richard HORTON
éditeur de la revue scientifique anglaise The
Lancet, affirme qu'« il y a un grand potentiel dans la
recherche (...) qui pourrait venir des industries de technologies alimentaires
et toute préoccupation sur la sécurité pourrait mettre en
danger cet investissement gigantesque. On peut donc comprendre que les
scientifiques soient inquiets de mettre en danger cet investissement
» 112. En réalité, les OGM
placent la société toute entière au coeur d'un profond
dilemme entretenu par la volonté de résorber le déficit
alimentaire grâce aux progrès de la science et les exigences de
survie humaine qui réside dans le besoin de sécurité. Nous
pensons avec Georges POSTE, directeur scientifique du groupe pharmaceutique
SMITH KLINE BEECHMAN que « l'angoisse du public face à des
évolutions technologiques que nous tenons désormais comme
acquises ou plutôt non, que nous considérons et exigeons comme des
droits inaliénables trouve sa source commune dans l'ignorance du public
en matière scientifique, et dans la menace ressentie par les pouvoirs
économiques et politiques établis lorsque (...) subsistent des
incertitudes. On devrait tenir compte des ambiguïtés et
prendre des mesures afin de réduire lesdites incertitudes
...»113. La communauté scientifique est donc
appelée à construire le consensus nécessaire autour de la
dialectique OGM / sécurité alimentaire. Certes toute technologie
nouvelle est susceptible d'entraîner des risques directs ou indirects,
cependant les problèmes posés par les OGM surtout dans
l'alimentation exigent une surveillance plus accrue. Il ne s'agit pas pour nous
de vouer cette technologie agricole aux gémonies, mais plutôt de
tenir compte des préoccupations des uns et des autres pour faire avancer
le débat. Sans pour autant entrer dans les considérations d'ordre
scientifique, nous pensons en toute honnêteté que le principe de
l'équivalence en substance est intellectuellement dépourvu de
sens dans la mesure où la composition organique des aliments
transgéniques est bien différente de celle des aliments
conventionnels. Il faudra donc tenir compte de cet aspect des choses dans
l'évaluation des risques sanitaires des aliments.
Somme toute, il faut avouer que la complexité du
débat réside dans la difficulté de discerner entre la
vérité et les rumeurs.
En tout état de cause, rien ne garantit que des plantes
ayant absorbé une quantité importante d'herbicides ne soient pas
toxiques. Les risques croissants d'allergies alimentaires ne sont pas à
écarter, ainsi que la possibilité d'infection des cellules du
corps humain par des vecteurs viraux après ingestion d'aliments
transgéniques. Une recombinaison avec divers éléments
génétiques ou des virus endogènes dans les cellules de
l'hôte pourrait également favoriser l'émergence de virus
pathogènes. Le risque le plus redouté pour l'homme, mais qui
reste encore théorique, est le transfert aux microorganismes de la flore
intestinale de gènes de résistance aux antibiotiques. De toute
évidence, l'apparition très récente des OGM sur le
marché ne permet pas d'avoir le recul suffisant pour évaluer tous
les avantages et tous les risques qui en résulteraient. Tout ceci doit
tempérer les euphories et les angoisses et pousser à la
prudence.
La polémique actuelle sur les OGM, souvent
réduite à leurs avantages et à leurs inconvénients
dans leur rapport à la sécurité alimentaire, n'est rien
d'autre que la partie visible de l'iceberg d'un débat qui
intéresse divers domaines de la société. La question des
OGM cache certains enjeux qui pourraient aussi bien expliquer les
contradictions profondes qui existent entre les acteurs en présence. Il
importe donc d'aborder ces questions qui gardent toute leur importance dans ce
débat multidimensionnel.
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