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Le lien entre la théorie de l'esprit et le conflit sociocognitif

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par Sarah Begert
Université Paris 8 - M1 psychologie du développement 2007
  

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2. L'accès progressif à l'altérité

La compréhension qu'autrui est différent de moi, ne pense, ne ressent, et ne voit pas de la même nanière que moi, ne se réalise pas sous la forme d'un «déclic» à un âge donné et fixe pour chacun des enfants. Cette compréhension suit un long cheminement, comprenant de nombreuses étapes qui amèneront le jeune enfant à une représentation d'autrui de plus en plus élaborée. De plus cette construction se réalise en parralèle avec d'autres «constructions», comme celle de son univers cognitif.

2.1. Le rôle des relations précoces

Les relations précoces, comme les échanges interpersonnels précoces avec la mère étudiés par Kaye en 1977 (cité par Hinde et al., 1988), prennent part dans l'accès progressif à l'intersubjectivité. L'intersubjectivité désigne la compréhension par l'enfant que d'autres personnes peuvent avoir des visions, des sensations, ou des pensées différentes des siennes. Même si le langage s'accompagne de progrès décisifs dans le développement de l'intersubjectivité, des précurseurs indiquent une compréhension progressive des représentations d'autrui dès deux mois selon Trevarthen. Ce chercheur avance l'existence d'un « mécanisme inné de déclenchement de la coopération sociale » (cité par Thommen, 2001, p. 27).

L'environnement social permet au nouveau-né de se distinguer progressivement de son proche entourage. A sa naissance, le nouveau-né vit dans un état de confusion avec les autres. (Wallon, 1934), il vit dans une sorte de «contagion mimétique.» Son entourage reste constamment auprès de lui, pourvoit à toutes les tensions à tous les besoins et les apaise en les contentant immédiatement. La mère procure temporairement l'illusion d'une fusion et le bébé ne parvient pas à se différencier d'autrui. Son individualité psychique se trouve alors dissoute à travers des suites de situations dominées exclusivement par ces besoins. Il ne peut réagir qu'en fonction de ceux-ci. Cette fusion se transforme progressivement en symbiose affective qui durera plusieurs mois avant qu'un décalage entre ses attentes et les réactions de son entourage apparaisse.

C'est grâce à ce décalage entre ses attentes et la réalité et à sa capacité à agir sur autrui que cette prise de conscience peut avoir lieu. C'est également à ce moment-là que l'aspect imprévisible des êtres humains l'intéresse davantage, par opposition aux objets. Il établit une distinction entre les humains et les objets. Au stade émotionnel, entre six et douze mois, l'enfant exprime ses états internes d'une façon globale, par le tonus de tout son corps, et agit par la même occasion sur autrui. Il se rend compte qu'il peut donc agir sur les autres êtres humains, et qu'ils sont différents de lui. Ainsi s'opère une première distinction moi-autrui.

Un autre facteur intervient dans la perception de la différence entre son corps et celui des autres. Il s'agit de la réaction circulaire secondaire. L'enfant accomplit un mouvement. Celui-ci provoque une sensation kinesthésique qui engendre à son tour une action. Ce cycle permet au bébé de sentir et distinguer ses propres membres par la relation entre les sensations et les mouvements accomplis. Il ressent physiquement les frontières entre son propre corps et celui des autres et apprend à connaître les différentes parties de son corps. Par exemple, selon Trevarthen (cité par Thommen, 2001), l'intersubjectivité primaire désigne l'ajustement des interactions mère-bébé dès le deuxième mois. Ainsi, lors de dyades mère-bébé, le bébé, sensible aux expressions de sa mère et à leur rythme, parvient à se synchroniser avec elle pour échanger des proto-conversations et pour s'exprimer en alternance. En s'accordant mutuellement, en coordonnant leurs états subjectifs, ils créent un seul et même espace mental: l'intersubjectivité primaire. Ces interactions se déroulent soit en synchronie soit en alternance. Cet ajustement mutuel est réglé par contact intermittent des yeux et par la vue des mouvements de la bouche. Il constitue les bases de l'intersubjectivité étant donné que ces comportements impliquent une réciprocité et des attentes.

Un autre facteur intervient dans le développement de l'interactivité. Il s'agit de l'attention conjointe. Ces situations d'attention conjointe, comme la poursuite de l'orientation du regard d'un proche ou le pointage, apparaissent entre six et douze mois. Bruner et Scaife se sont particulièrement intéressés à ces situations (cités par Thommen, 2001) en 1975 car elles font partie des précurseurs de l'intersubjectivité.

L'attention conjointe désigne la capacité de l'enfant à focaliser son attention sur le même objet que celui fixé par l'adulte. Cela implique l'observation de l'adulte. L'enfant détecte son orientation du regard choisie pour voir un objet jugé intéressant, qu'il ne verrait pas autrement. L'adulte fixe donc un objet invisible pour le bébé dans sa position ou avec l'orientation actuelle de son regard. Il lui faut alors suivre la direction du regard pour observer la même chose que lui. Cette compétence est un précurseur de l'intersubjectivité secondaire développée par Trevarthen dans la mesure où il est nécessaire d'attribuer à l'autre une capacité attentionnelle et intentionnelle (Baudier et Celeste, 2002). De plus, il s'agit de partager avec l'autre un même centre d'intérêt.

L'autre comportement faisant appel à l'attention conjointe est le pointage (Zaouche Gaudron, 2002). Ce comportement proto-déclaratif apparaît entre neuf et treize mois. Il consiste à montrer du doigt un objet pour que l'adulte le regarde et explique ou nomme l'objet. Ainsi, le bébé cherche à attirer l'attention d'autrui dans le but de partager un centre d'intérêt. Cette compétence indique qu'à ce moment-là l'enfant attribue à l'autre un état mental (l'attention) et qu'il lui est possible de le modifier par ce geste.

Il prend ainsi conscience de ses propres intentions et de son influence sur autrui. Cette prise de conscience prépare à l'élaboration de la théorie de l'esprit mais il faudra encore attendre quelques mois avant que l'enfant considère autrui comme un être ayant une autre vision de la réalité que lui. Cette nouvelle compétence apparaît avec l'émergence de la théorie de l'esprit, préparée par les relations précoces.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld