1.2. Les Représentations, un lien avec
l'environnement social
Wallon (1934) a recherché les facteurs favorisant la
relation entre l'individu et son environnement. Le rôle des processus
représentatifs a été mis en évidence dans la
formation de cette relation. Ainsi, au travers des processus
représentatifs, les comportements de l'enfant face à son
environnement vont, progressivement, de l'acte à la pensée,
allant vers une emprise de plus en plus forte sur ce dernier.
Ce lien a également été mis en
évidence par Vygotsky (1934) au travers des concepts de
« formes culturelles » et « d'instrument
« psychologique ». Les formes culturelles permettent
l'acquisition des représentations mentales et organisent, de cette
manière, l'expérience du réel. En effet, quand l'enfant a
recours au langage, par exemple, il utilise cette forme culturelle en tant
qu'instrument pour être mis en relation avec les autres êtres
humains. En même temps, le langage joue le rôle d'instrument
psychologique : l'utilisation des formes culturelles modifie la
pensée et génère la formation d'activités mentales
supérieures.
Les représentations se développent dans trois
domaines, à savoir émotionnel, moteur, et cognitif, selon
Wallon.
Au début de la vie, ces émotions se
présentent sous la forme d'un réflexe générant une
réponse de tout son corps, comme les premiers pleurs du
bébé, l'aspect émotionnel sera de plus en plus
canalisé et intentionnel grâce au rôle de l'entourage,
s'inscrivant dans des systèmes d'expression conventionnels (comme la
peinture, l'écriture,...).
En ce qui concerne la constitution des connaissances, le
développement cognitif consiste à s'approprier des instruments
représentatifs culturels comme le langage. Par son utilisation, l'enfant
est mis en relation avec son entourage et sa pensée est modelée.
Il accède ainsi aux représentations.
La fonction sémiotique, qui apparaît vers
dix-huit mois, désigne la capacité de représenter des
actions, des objets, ou des événements en dehors de toute
représentation actuelle. Elle permet un dédoublement de la
réalité, à savoir objective et subjective, un
dédoublement du signifiant et du signifié. Cette fonction est
fondamentale dans l'acquisition des représentations, elles-mêmes
primordiales dans la compréhension d'autrui (Piaget, 1946). En effet,
les représentations structurent toutes formes d'action et de
connaissance. La fonction sémiotique comprend l'imitation
différée, le jeu symbolique, le dessin, l'image mentale et le
langage.
Le langage permet d'évoquer des actions, des objets ou
des événements en dehors de toute représentation actuelle.
Son apparition nécessite quelques pré-requis, dont la
catégorisation. En effet, la détection des phonèmes
nécessite une catégorisation (Bénédicte de Boisson
Bardies, 1996). En effet, les sons d'un même phonème varient
énormément selon les différentes personnes qui le
prononcent ou en fonction des différents contextes d'apparition. Par
exemple, sa «courbe mélodique» varie en fonction de son
apparition en début ou fin de mot. Leur reconnaissance malgré ces
changements nécessite donc des catégorisations.
De même, la compréhension des mots ne va pas de
soi car ils ne renvoient pas directement à la réalité mais
désignent des concepts faisant partie de catégories d'objets, ou
des catégories comprenant de nombreux objets. C'est grâce à
la construction de catégories que l'enfant pourra
généraliser la signification des mots et les comprendre dans des
contextes différents. Il accède ainsi au niveau sémantique
du langage. La compréhension et la production de langage
nécessitent donc la création au préalable de
catégorisations générales, même si elles ne
correspondent pas directement à celles créées par les
adultes. Ces premières catégorisations n'englobent pas les
mêmes éléments que celles construites par les adultes, en
raison des nombreux remaniements suite à l'expérience et du
développement des compétences langagières. Par exemple,
ils réussissent les épreuves de quantification de l'inclusion des
classes quand le terme utilisé pour désigner l'ensemble ne peut
être utilisé pour désigner une partie. Markman, cité
par Troadec (1998) a réalisé une expérience allant dans ce
sens. Dans son expérience, il a utilisé soit le terme
« famille », soit le terme « chiens »
pour désigner l'ensemble des chiens. Lorsque le mot
« famille » était utilisé, tous les enfants
répondaient correctement à la question. En revanche, lorsqu'il
utilisait à la place le mot « chiens », aucun ne
répondait correctement en raison de l'ambiguïté de ce terme,
qui peut désigner à la fois l'ensemble et un animal. Les enfants
connaissent donc l'ambiguïté de certains termes désignant
des noms de classe.
Le jeu symbolique, qui apparaît vers deux ans, est
également un indice de l'apparition de la fonction sémiotique car
il consiste à représenter une scène ou un objet absent
à l'aide d'un autre objet ou par des postures. Ce sont les jeux
où l'enfant «fait semblant» en imitant les actes des parents
ou des héros télévisuels par exemple. Il y a
dédoublement du signifiant et du signifié, étant
donné qu'il utilise des objets ayant une autre fonction normalement. Par
exemple, un balai peut devenir un cheval. Ce type de jeu est universel.
Mais c'est au travers de l'imitation différée
qu'apparaît d'abord entre quinze et dix-huit mois la fonction
sémiotique. L'imitation différée apparaît
après l'observation d'une scène ou d'un comportement. L'enfant
mémorise ce qu'il a vu d'intéressant, et l'intériorise
progressivement. C'est à partir de cette intériorisation que se
créent les représentations permettant l'imitation
différée. Elle consiste à reproduire une action
dorénavant sans modèle, alors qu'elle avait été
produite dans le passé en présence d'un modèle. Vers
dix-huit mois, l'enfant cherche donc à représenter une
scène qui ne se trouve pas directement dans la réalité,
d'où sont appartenance à la fonction sémiotique. Il y a
dédoublement comme lors du langage car elle évoque la
réalité tout en se distançant d'elle. Par ses ratés
et réussites, l'imitation différée facilite la
délimitation du moi...En effet, grâce aux différences entre
ses actions et celles de son modèle, le sujet prend conscience de sa
propre identité et se distingue d'autrui.
Avec la fonction sémiotique, l'enfant acquiert donc une
certaine conscience d'autrui. Il parvient à rentrer en contact,
intentionnellement, avec le monde extérieur grâce à
diverses techniques de communication. De plus, la fonction sémiotique
permet une première « compréhension »
d'autrui dans la mesure où l'imitation différée permet une
meilleure distinction entre ses propres actions et celles d'autrui. De plus, la
capacité de catégorisation permet de rapprocher les états
émotionnels d'autrui à ceux déjà rencontrés
et catégorisés auparavant. Mais cette compréhension
d'autrui ne se présente que sous la forme d'ébauche et la
représentation d'autrui va subir de nombreuses modifications au cours de
son développement.
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