3.3.4. Les facteurs intervenant dans le
développement cognitif
De nombreux facteurs modifient le déroulement et
l'impact cognitif du conflit. Des facteurs très variés
interviennent, touchant tant au contexte, qu'aux relations ou aux
démarches mises en oeuvre pour résoudre le problème.
Comme il a été mentionné
précédemment, le contexte du conflit socio-cognitif joue un
rôle décisif. Il s'agit, pour le maître, de créer un
contexte, un environnement propice aux apprentissages. En effet, encadrer la
situation d'interaction semble nécessaire pour qu'elle soit efficace
d'un point de vue cognitif. Cet encadrement doit être
réalisé par le maître, qui invite les enfants à se
poser des questions, et les incite agir (Beaudichon, 1992). Le maître
jouerait en quelque sorte le rôle de médiateur entre les
élèves et la connaissance. Cette dynamique interactive, pourtant
nécessaire, ne s'instaure pas dans chaque situation
expérimentale, peut-être à cause des dispositifs
expérimentaux pas suffisamment contraignants.
En ce qui concerne les facteurs se référant au
relationnel, on trouve le climat socio-affectif. D'après Hartup (Hinde
et al., 1988), la résolution de problème entre amis se
réalisera plus aisément. Ainsi, les amis vont dialoguer, et
chacun va prêter une grande attention aux points de vue des autres et
veiller à ce que chacun puisse s'exprimer librement. Les échanges
d'explications, qui ont un impact sur les progrès, sont plus
fréquents et plus riches dans les groupes d'amis. Sorsana (1999, p.51) a
montré que « des dyades d'enfants affines, âgés
de six à huit ans, ont résolu une version agrandie et alourdie de
la Tour d'Hanoï avec des performances statistiquement supérieures
aux dyades au dyades d'enfants non-affines au cours du deuxième
essai. » En revanche, dans un groupe de pairs ayant des
problèmes relationnels, certains tenteront d'imposer leur propre point
de vue sans demander l'avis des autres et sans donner d'explication sur les
raisons de leur choix. Que ce soit dans un groupe d'amis ou non, l'engagement
social pousse le sujet à s'investir davantage dans la tâche.
De plus, le degré de symétrie de la dyade a
été évalué, associé au degré
d'expertise de chacun (expert, moyen, novice). Il en ressort qu'un certain
niveau d'expertise est nécessaire pour que l'interaction soit
bénéfique. Les dyades symétriques et
légèrement asymétriques sont efficaces. Par exemple, des
dyades comprenant des enfants de niveaux novice et moyen ou de niveaux novice
et faible sont peu efficaces, car leur niveau d'expertise est faible. De la
même manière, les dyades fortement asymétriques sont peu
efficaces en ce qui concerne les progrès, car l'expert n'inclut pas
forcément le novice dans la démarche de résolution. Une
relation de type dominant-dominé s'instaure entre eux. Il s'agirait,
pour l'expert, de donner des informations sur la démarche pour parvenir
à la solution.
Les oppositions jouent également un rôle
particulier dans le conflit socio-cognitif. Mais elles ne sont pas
nécessaires et ne sont pas le seul moyen pour que des progrès
personnels aient lieu après la situation. D'ailleurs, dans quasiment
toutes les expérimentations (Perret-Clermont, 2001), des effets
bénéfiques de l'interaction ont été observés
sans qu'il y ait eu de véritable conflit. La résolution peut se
réaliser dans une co-construction où un enfant élabore une
solution tandis que l'autre acquiesce (Gilly, 1999). Ainsi, le fait de motiver
les membres du groupe, de contrôler ses propres actions
(vérification des actions réalisées par son partenaire) et
une intervention déstabilisante du partenaire lors de la
résolution de problème, sont bénéfiques et peuvent
conduire à un élargissement du champ d'action ou de
représentation. Ainsi, l'opposition du partenaire ne semble pas
nécessaire à l'apparition de progrès.
Même si les progrès ne dépendent pas de
l'existence d'oppositions, celles-ci sont tout de même un moyen
privilégié pour produire un déséquilibre
intra-individuel car elles font coexister de façon plus saillante des
centrations opposées alors que, dans un conflit interne, diverses
centrations oscillent successivement et provisoirement. Elles peuvent
être produites volontairement, en mettant les enfants l'un en face de
l'autre dans une tâche spatiale par exemple.
Cependant, les oppositions ne suffisent pratiquement jamais
à elles seules pour que le sujet progresse. En effet, ces
dernières ne doivent pas porter sur le résultat mais bien sur la
procédure de résolution, la manière de faire pour parvenir
au résultat comme le mentionne Gilly (Gilly cité par
Perret-Clermont, 2001).
Les facteurs qui se rapportent aux représentations du
problème et aux démarches mises en oeuvre concernent d'une part
la façon de résoudre les tensions et, d'autre part, la prise de
conscience des différentes centrations.
Ainsi, le centre du conflit et la recherche de solution ne
doivent pas être d'ordre relationnel, c'est-à-dire en essayant de
résoudre les tensions sociales entre les différents protagonistes
ou en se soumettant au choix de son partenaire, mais d'ordre cognitif, par la
recherche d'une solution au problème cognitif en allant au delà
des oppositions entre les propositions. C'est la résolution sur un mode
socio-cognitif qui fait progresser, comme l'indique Gilly, (cité par
Perret-Clermont et Nicolet, 2001). C'est pour cette raison que la tâche
de guidage d'une voiture par des enfants face-à-face est si efficace (cf
p. 9). La déstabilisation porte bien sur leurs actions et non sur la
solution, sa destination finale.
La prise de conscience des différentes centrations a un
impact sur le développement cognitif. En effet, lors de la
résolution de problèmes en groupe, chacun participe et propose
une solution. Alors que l'enfant n'entrevoyait qu'une façon de
résoudre le problème, il prend connaissance de l'existence
d'autres propositions. Cette prise de conscience le pousse à abandonner
sa centration, et à se décentrer pour prendre en
considération les autres points de vue, pour les confronter, et, enfin,
pour coordonner les points de vue initialement opposés. Cette solution
sera progressivement intégrée pour permettre à l'enfant de
résoudre des problèmes du même type seul
ultérieurement. Le progrès cognitif résulte donc de
l'intégration de plusieurs centrations différentes dans un
système de régulations cognitives compensant les oppositions. Il
y a un double déséquilibre, à savoir inter-individuel et
intra-individuel et c'est grâce à la résolution du conflit
inter-individuel que le conflit intra-individuel est résolu.
D'après Doise (1997), c'est par intériorisation de coordinations
sociales que se mettront en place de nouvelles coordinations
intra-individuelles.
Par exemple, ce type de conflit peut être observé
lors d'un problème sur la conservation des liquides. Ce dernier,
élaboré par Piaget, a été repris par Doise, Mugny,
et Perret-Clermont (1997). L'expérimentateur donne à un groupe de
trois enfants, dont le niveau de conservation a été testé
au préalable, un verre rempli de jus de fruit, un verre vide haut et
étroit, un verre large et bas, ainsi qu'un berlingot de jus de fruits.
L'expérimentateur demande à un des enfants de donner autant
à boire à ses copains pour qu'ils soient autant contents.
L'enfant non conservant va évaluer la quantité en fonction de la
hauteur. Certains penseront qu'il y a plus de liquide dans le premier
récipient parce qu'il est plus haut alors que d'autres en verront
davantage dans le second puisqu'il est plus large. Ces divergences vont les
pousser à combiner ces variables pour arriver à la conclusion
qu'elles se compensent.
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