DEUXIEME PARTIE :
LES METHODES DE PROTECTION DU DOMAINE PUBLIC
MARITIME
Le domaine de la protection du domaine public maritime est
assez vaste, d'où la nécessité d'adopter les
méthodes adéquates et qui doivent être assez efficaces pour
protéger le domaine.
Ces méthodes ne sont pas spécifiques au domaine
public maritime, il les partage avec les autres dépendances du domaine
public puisqu'il fait partie intégrante de ce dernier.
Ces méthodes de protection du domaine public maritime
peuvent être divisées en deux catégories : Elles peuvent ou
bien viser la protection du domaine public maritime par leur effet dissuasif et
sont alors préventives (chapitre I), ou bien elles peuvent viser la
protection du domaine public maritime par leur effet coercitif et elles sont
dans ce cas répressives (chapitre II).
CHAPITRE I : LES METHODES PREVENTIVES
Le contrôle préventif est une forme de protection
qui se manifeste à deux niveaux : l'adoption des principes fondamentaux
que sont les règles de l'inaliénabilité et de
l'imprescriptibilité du domaine public (section I) et l'obligation
d'entretien qui pèse sur l'administration (section II).
SECTION 1 : L'ADOPTION DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE
PROTECTION
Selon l'article 19 de la loi n° 95-73 « « le
domaine public maritime est insaisissable, inaliénable et
imprescriptible. Il ne peut être grevé d'hypothèque
».
La non saisie et la non-hypothèque découlent du
principe d'inaliénabilité.
L'inaliénabilité signifie que le domaine public
ne peut être aliéné par l'administration tant qu'il restera
affecté à un usage public ou à un service
public75.
L'imprescriptibilité constitue un prolongement de la
règle de l'inaliénabilité et signifie l'acquisition par
une possession prolongée de la propriété des biens du
domaine public ou un autre droit réel immobilier sur ces mêmes
biens76.
75 Dufau J., le domaine public, 4éme édition, 1993,
p.265.
76 Op. cit., p. 274.
Une des bases de la protection par la prévention du
domaine public maritime a été l'adoption de ces deux principes
fondamentaux que sont l'inaliénabilité et
l'imprescriptibilité par le législateur tunisien qui se sont
révélés très utiles (§1), malgré leurs
effets relatifs qui limitent l'étendue de la protection qu'ils procurent
au domaine public maritime (§2).
§1- UTILITE DES REGLES D'INALIENABILITE ET
D'IMPRESCRIPTIBILITE DU DPM
Historiquement, ces 2 principes ont été
introduits dans le droit tunisien par un décret Beylical de
188577, mais leur existence effective est antérieure à
cette date78.
En outre le législateur a adopté ces 2 principes
dans tous les textes organisant le domaine public.
Le droit français reconnaît le principe de
l'inaliénabilité depuis 1566, date de parution de l'ordonnance de
Moulins.
Bien que l'imprescriptibilité du domaine public y
compris le domaine public maritime soit conséquente au principe de
l'inaliénabilité, ces deux principes sont
complémentaires79 en réalité, puisque
l'inaliénabilité protège le domaine public
contre toutes les formes d'aliénations tandis
que l'imprescriptibilité le protège des atteintes du
public.
Plusieurs effets très importants résultent du
principe de l'inaliénabilité du domaine public maritime dont la
nullité de toutes les opérations de vente de certaines parties du
domaine public maritime conclues par l'administration sans un acte
administratif préalable annulant l'affectation à un usage public
ou à un service public ou le déclassant80.
Egalement il est de règle qu'il est impossible
d'exproprier le domaine public maritime, l'interdiction touchant aussi bien les
aliénations volontaires que les aliénations forcées.
Bien que la loi n°76-85 du 11 août 1976 relative
à l'expropriation ne soit pas explicite à ce sujet, on peut
déduire cette règle de l'article 1 alinéa 3 de cette loi
qui dispose que les biens intégrés dans les travaux publics ne
peuvent faire l'objet d'expropriation.
77 Décret Beylical du 24 septembre 1885, art.2..
78 Jugement du tribunal civil de Tunis, 19 juin 1903, JT, 1903,
p.377, « dés avant le décret du 24 septembre 1885, le
domaine public naturel existait et jouissait de l'inaliénabilité
et l'imprescriptibilité.. »
79 Waline M., traité de droit administratif, p. 211.
80 Arrêt du Tribunal Administratif n°994 du 18
février 1985, Mohamed Ridha Lakhoua/ municipalité de L'Ariana.
Et comme le principe d'inaliénabilité vise
à garantir l'unité du domaine public maritime et sa protection
contre tout démembrement, il n'est donc pas permis de constituer de
droits réels civils au profit des administrés ou de lui appliquer
des servitudes au profit d'immeubles privés.
En effet, le domaine public maritime ne peut être
assujetti, en principe, aux servitudes de droit privé. En revanche
l'administration peut se prévaloir de ces mêmes servitudes
à l'encontre des propriétés riveraines du domaine public
maritime.
C'est aussi le cas si elles faisaient partie du domaine
public, mais l'application des servitudes administratives aux
dépendances du domaine public a soulevé de nombreuses
controverses81.
Parmi les principales servitudes administratives grevant les
propriétés voisines du domaine public, on trouve les servitudes
au profit du domaine public maritime qui sont les terrains
réservés en bordure du rivage.
En effet, dans certaines zones côtières, le
rivage se ramène souvent, en raison de la faible amplitude des
marées, à une bande de terrain très mince. C'est la raison
pour laquelle la loi du 28 novembre 1963 (art.4 et 5) a institué une
procédure à caractère conservatoire, empruntée au
droit de l'urbanisme, dans le double but de lutter contre la spéculation
foncière dont sont l'objet les terrains contigus au rivage et
d'accroître l'étendue du domaine public maritime côté
terre82.
Cette réserve peut atteindre -perpendiculairement
à la limite côté terre du rivage- une profondeur de 20
mètres pour les terrains clos ou bâtis, de 50 mètres dans
les autres cas83.
81 Selon certains auteurs (Auby, Jouve et Bouyssou, JCA fasc. 390
n°109 et 110) il convient de faire la distinction entre :
- Les servitudes établies par la loi d'une manière
générale et pesant sur un nombre indéterminé
d'assujettis ne sont
pas applicables au domaine public alors même qu'elles
seraient compatibles avec la destination du domaine.
- Au contraire, les servitudes qui résultent d'un acte
administratif déterminant individuellement les assujettis peuvent
s'appliquer au domaine public après entente entre les personnes
publiques intéressées.
Jean Dufau estime quant à lui les servitudes
établies par la loi d'une manière générale sont
applicable au domaine public, l'arrêt Schwetzoff, CE, 30 mers 1973
affirme que les plans d'urbanisme -et donc les servitudes prévues par
ces plans- s'appliquent au domaine public maritime, y compris aux terrains
immergés compris dans ce domaine (AJDA 1973 II p.366, note Dufau).
82 Dufau J., op. cit., p.308.
83 Décret n° 58-1463 du 31 décembre 1958
relatif aux plans d'urbanisme, art. 28.
Il y a aussi les servitudes de passage destinées
à faciliter l'accès des piétons à la mer et qui
grèvent les propriétés riveraines du domaine public
maritime sur une bande de 3 mètres de largeur. Il s'agit d'une servitude
destinée à assurer exclusivement le passage des
piétons84.
Cette servitude de passage existe en droit tunisien, elle
consiste à assurer exclusivement le passage des piétons sur une
bande de trois mètres de large sur les propriétés
riveraines du domaine public maritime, selon l'art17 loi 95-73 : « Les
terrains limitrophes au domaine public maritime et frappés d'alignement,
sont assujettis dans leur partie contiguë à ce domaine d'une
servitude de passage d'une largeur de 3 mètres ».
Cette servitude ne bénéficie qu'au domaine
public maritime, elle s'exerce le long du littoral et s'applique donc de plein
droit sur toutes les propriétés privées situées en
bord de mer.
En France, depuis la loi du 3 janvier 1986, relative à
l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (art.5),
elle peut être complétée par une autre servitude permettant
l'accès transversal au rivage.
Enfin, le domaine public maritime ne peut pas faire l'objet d'une
saisie-arrêt.
L'imprescriptibilité engendre des effets tout aussi
importants, dont l'irrecevabilité des actions possessoires contre
l'administration relatives à une des dépendances du domaine
public maritime dont les biens meubles qui peuvent y être inclus puisque
affectés à son service85 et aussi l'action en
revendication de biens irrégulièrement aliénés,
l'action domaniale et l'action en réparation des dommages causés
au domaine public.
Ce principe interdit aussi l'usucapion qui est la
possibilité d'appropriation de biens du domaine public maritime
conformément aux règles de la possession acquisitive de la
propriété par le jeu de la prescription.
84 V. article 52 de la loi n° 76-1286 du 31 décembre
1976, dont les modalités d'application ont été
fixées par le décret n° 77-753 du 7 juillet 1977.
85 Bouachba T. : « Droit administratif des biens
publics», 1999.
Même si la doctrine et la jurisprudence s'accordent sur
le fait que les effets de ces deux principes (inaliénabilité et
imprescriptibilité) sont absolus pour garantir l'affectation du domaine
public -dont le domaine public maritime- à un usage public et pour
garantir aussi bien son utilisation collective qu'exclusive dans les meilleures
conditions, certains droits comparés ont introduit des exceptions
très importantes sur les deux principes.
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