II-2 L'optique stratégique du conseil
Tant il est reconnu à la vision partenariale de la
firme l'élargissement du débat sur la création et la
répartition de la valeur à toutes les parties prenantes à
la coalition, il lui est en même temps reproché d'être
restée prisonnière des limites de la vision contractuelle
financière. En effet, si l'importance du lien entre les
compétences et la rente organisationnelle est reconnue, la
problématique reste fondée sur une conception statique et
adaptative de l'efficience. La valeur est maximisée à un instant
donné et l'origine de l'ensemble des opportunités
d'investissement reste exogène. Les seuls leviers permettant d'agir sur
la valeur sont les systèmes de mesure de la performance ou d'incitation.
En cas de sous-performance, l'adaptation se fait par aménagement de
l'architecture organisationnelle et par reconfiguration des droits de
propriété ; il s'agit, selon la formulation la plus
générale de la théorie positive de l'agence (Jensen, 1998
; Charreaux, 2000), d'exploiter au mieux la connaissance spécifique
répartie entre les différents acteurs, de veiller à son
allocation optimale, soit à l'intérieur de l'organisation, soit
entre les organisations. De plus, dans les théories contractuelles,
aucune référence n'est faite sur l'origine des connaissances qui
fondent les compétences distinctives sur lesquelles s'appuient les
stratégies de création de valeur. Cet état de fait sur les
insuffisances du courant contractuel du CA nous amène à orienter
la réflexion vers des champs spécifiques qui traitent des
questions d'acquisition et de création des ressources et de
compétences. Le courant cognitif ou stratégique du CA participe
de ces champs.
II-2-1 Le CA et la rentabilité des
ressources
La théorie de la dépendance envers les
ressources (Pfeffer et Salanick, 1978) a donné naissance à un
courant important de recherches sur le CA, avec au centre de la
réflexion la question de l'origine des ressources posée de
façon défensive. Selon cette théorie, la survie de la
firme est conditionnée par sa capacité à contrôler
certaines ressources indispensables, de façon à assouplir, par
exemple, les contraintes des marchés ou à stabiliser
l'environnement. La firme cherche à établir des liens
interorganisationnels avec l'environnement externe, de façon à
contrôler ces ressources, critiques. Lorsque l'environnement devient plus
incertain ou menaçant, la
firme renforce ou accroît ces liens. A cette fin, la
firme incorporera à son CA des représentants des ressources les
plus critiques (Burt, 1983), par exemple les banquiers, de façon
à garantir sa survie. Cette intégration aura pour
conséquence, cependant, de limiter la latitude des dirigeants dont les
décisions seront influencées et contraintes par les
administrateurs représentant les ressources critiques. L'argumentation
qui sous-tend cette théorie, toutefois, ne relève pas du
paradigme de l'efficience dans lequel s'inscrivent les théories de la
gouvernance, mais de celui du pouvoir. Les mécanismes organisationnels
dont le CA ne sont plus analysés en fonction de leur influence sur la
création de valeur, mais en tant que vecteurs visant à renforcer
ou à réduire le pouvoir, celui-ci s'appréciant en termes
de capacité à contrôler les ressources. Cette vision du CA
par la théorie de la dépendance envers les ressources est
cependant différente de celle proposée par les théories de
la gouvernance (contractuelles ou stratégique). Dans les théories
de la gouvernance, le CA représente un organe permettant soit de
réduire les pertes de valeur dues aux conflits d'intérêts
entre les différents partenaires, soit de créer de nouvelles
opportunités ; les configurations permettant, comparativement, de
créer le maximum de valeur étant supposées survivre. En
revanche, dans la théorie de la dépendance envers les ressources,
le conseil n'est qu'un moyen de réduire le pouvoir externe, ce dernier
cherchant à extraire le maximum de rentes. La relation entre la
composition du CA et les choix stratégiques peut également
s'expliquer à partir de la fonction de contrôle attribuée
au CA, c'est-à-dire sans faire appel à l'apport cognitif des
administrateurs. Ainsi par exemple, Baysinger et Hoskisson (1990) tentent
d'établir un lien entre les types de stratégies suivies, en
matière de diversification et de recherche et développement, et
la nature des contrôles effectués par les administrateurs. Les
administrateurs externes auraient tendance à privilégier les
contrôles fondés sur des indicateurs financiers et les
administrateurs internes, à recourir aux indicateurs de nature
stratégique.
II-2-2 Le CA et définition de la
stratégie
L'intégration des considérations
stratégiques au sein des théories de la gouvernance ne se fait
pas uniquement dans la perspective défensive, une conception plus
dynamique de l'efficience conçoit la gouvernance comme devant aider
à construire des stratégies
permettant de créer de la valeur de façon
durable. Dans cette perspective proactive, qui emprunte aux théories
cognitives de la firme - Celles-ci regroupent notamment la théorie
comportementale de la firme inspirée des travaux de Simon (1947) et de
Cyert et March (1963), la théorie évolutionniste de Nelson et
Winter (1982) et les théories des ressources et des compétences
issues des recherches de Penrose (1959) - le CA se voit attribuer un rôle
dans la production de nouvelles opportunités ; il contribue au processus
d'innovation. Les théories cognitives de la firme accordent une
importance à la création interne de connaissance, issue de
l'apprentissage organisationnel, ainsi qu'aux phénomènes de
vision et d'attention. Certaines d'entre elles, notamment Prahalad et Hamel
(1990) et Teece, Pisano et Shuen (1997) sont centrées sur la
construction de compétences, sur la capacité de la firme à
innover, à créer leurs opportunités d'investissement et
à modifier leur environnement. C'est dans ce sillage que, Lazonick et
O'sullivan (1998), dans la cadre de leur réflexion sur la firme
innovatrice, analysent le système de gouvernance en fonction de sa
capacité à encourager les stratégies de
développement de l'apprentissage organisationnel. Cela les conduit
à recommander que la CA comprenne des représentants de toutes les
entités (organisations des salariés, institutions
financières et de formation collectivités publiques...) qui
peuvent démontrer qu'elles ont un intérêt direct à
ce que la firme investisse pour développer l 'apprentissage
organisationnel.
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