CHAPITRE DEUXIEME : L'INTENGIBILITE DES FRONTIERES
AFRICAINES ET LES MOYENS MIS A LA DISPOSITION DES ETATS EN CAS DE MENANCES
ETRANGERES OU INTERNES SUR LEURS FRONTIERES
SECTION I : L'INTENGIBILITE DES FRONTIERES
AFRICAINES
Vers la fin du XIXème siècle, la plupart des
frontières des pays africains sont établies en vue de
précéder aux naissances des nations africaines, mais hélas
ces frontières sont tracées selon le bon vouloir de puissances
colonisatrices dans un climat de tension entre elles-mêmes, n'ont pas
tenu compte des réalités ethniques, linguistiques, religieuses et
même politiques des peuples d'Afrique.
La négligence européenne du substrat
géographique et des divisions socio-politiques traditionnelles
africaines sont à la base de nombreuses difficultés que les
premiers commissaires d'abornement ont relevé dans leurs rapports, ils
tenaient compte parfois de limites naturelles infranchissables vu les moyens et
la technologie de l'époque, mais parfois ils pouvaient tracer des lignes
droites sur l'inconnu et les appeler frontières. Lord Salisbury, l'un de
participant à la conférence de Berlin disait « nous avons
entrepris de tracer sur les cartes des régions où l'homme blanc
n'avait jamais mis les pieds. Nous nous sommes distribué des montagnes,
des rivières et des lacs, à peine gênés par cette
petite difficulté que nous ne savions jamais exactement où se
trouvaient les montagnes, des rivières et des lacs » ces propos
illustrent bien les mystères de l'Afrique de l'époque et
l'acharnement de l'homme blanc pour diviser un ensemble qu'il ignore
complètement.
Un demi-siècle plus tard, l'envahisseur blanc s'est
heurté à la vague des indépendances dû au
réveil nègre .Au moment des indépendances, les nouveaux
Etats africains étaient confrontés aux conflits de contestations
frontalières. Robert Waters en dénombra 32 au total.16
Alors les dirigeants africains ayant pris conscience de la fragilité de
leurs pays délimités par des frontières artificielles et
aléatoires et du danger que représentait une telle situation au
futur, ont pour la plupart soutenu la remise en cause du tracé
territorial colonial. Ils ont estimé qu'il parait logique que l'Afrique
après la colonisation corrige les erreurs des découpages
coloniaux qui n'ont pas tenu compte des réalités quotidiennes
africaines tant sociales que politiques. Le
16 Robert Waters,African Boundary
problems,Uppsala,1969,p.183
23
groupe des dirigeants africains favorables à la remise
en cause des frontières s'appelle le Groupe de
Casablanca; ce groupe voulait matérialiser ses idées en
1963.
Paradoxalement, d'autres dirigeants africains de
l'époque étaient favorables au maintien du tracé
frontalier qui émane de la colonisation. Réunis au sein du
groupe de Monrovia ; pour ces derniers le maintien des
frontières ; legs territorial colonial garantirait la paix entre les
Etats et leur offrirait des possibilités de développement, et ces
Etats pourraient réussir à se transformer en Etats-Nations.
Pour mettre fin à la controverse au sujet des
frontières des Etats africains, que la conférence des chefs
d'Etats et des gouvernements de l'organisation de l'unité africaine
réunie au Caire, en Egypte opta en faveur du principe de
l'intangibilité des frontières en Afrique le 24 juillet 1964.La
charte de l'OUA en 1963 dispose sans ambiguïté que
l'intégrité territorial de ses Etats membres constitue l'un des
piliers centraux de l'Organisation de l'Union Africaine comme stipulent les
articles 1,2 ,et 3 de ladite charte.17
Ce principe déclare solennellement que tous les Etats
membres s'engagent à respecter les frontières existant au moment
où ils ont accédé à l'indépendance.
Interdisant les Etats membres d'exprimer une quelconque revendication
territoriale ; et de vouloir procéder à une modification du
tracé colonial au détriment d'un Etat tiers. Pour les dirigeants
africains, cet impératif concerne d'une part, tout mouvement
sécessionniste venant de l'intérieur de nature à mettre en
cause les frontières issues de l'independances.16
Mais les conflits ont persisté, ce qui pousse plusieurs
observateurs à développer la thèse selon laquelle la
persistance des conflits armés, des tensions entre Etats
découlent de l'application du principe de l'intangibilité des
frontières africaines. Que la pratique de l'intangibilité des
frontières n'a pas vraiment contribué à la stabilisation
politique et territoriale, ni au développement économique raison
pour laquelle elle a été décidée.
En effet dès les premiers années de son adoption
l'intangibilité des frontières fut l'objet de graves confusions
du point de vue sémantique et conceptuel .L'intangibilité des
frontières a été immédiatement assimilée au
principe de l'intégrité territoriale ,rapporte Ladji OUATARA, ,en
absence d'une définition précise et univoque, les auteurs ont
été amenés à faire des
17 Charte de l'Organisation de l'Unité
africaine
24
assimilations approximatives, voire des confusions
conceptuelles, confondant l 'intangibilité avec l'UTI POSSEDETIS et
l'inviolabilité des frontières .18
L'histoire nous renseigne que certains dirigeants africains de
l'époque ont estimé que l'adoption de l'intangibilité des
frontières violait le droit à l'autodétermination des
peuples ,inscrit dans la charte des nations unies, faisant allusion aux
mouvements Touaregs au Mali en 1962 et 1963,au début de la guerre
sud-soudan et la guerre du Biafra qui a failli diviser la
fédération du Nigeria en 1967.
Dans la pratique, l'application du principe de
l'intangibilité des frontières fut une entreprise
périlleuse, certaines frontières n'avaient pas été
clairement délimitées. Antony REYNER en dénombrant 42
frontières qui n'ont jamais été démarquées
ainsi que 4 jamais délimitées.19 Ces données
seront confirmées par le programme frontière de l'Organisation de
l'Union Africain, dont l'objectif est d'oeuvrer à la délimitation
et à la démarcation précise des frontières en
Afrique confirme que seulement moins de 1/3 des frontières en Afrique
sont précisément définies.20
Le principe de l'intangibilité des frontières
n'a pas sa place en Afrique étant donné que les frontières
ne sont pour la plupart définies avec précision, et cela
jusqu'à 67% des cas mais pire encore certaines frontières sont
inexistantes. Cela a toujours été et demeure une source des
conflits entre Etats africains, le cas de l'Ethiopie et
l'Érythrée ou encore tout récemment le Soudan et le
Sud-Soudan.
Au vu de ce qui précède nous disons que
l'intangibilité des frontières a été un
problème de plus, ajouté aux tonnes auxquels se heurtent les
nations africaines car sa compréhension présentait des
difficultés et des zones d'ombre dans le chef des dirigeants africains,
et en plus les frontières demeurent imprécises jusqu'à
2/3. Son adoption ne garantissait que des conflits frontaliers en Afrique.50
ans après son adoption, le continent n'est pas plus avancé
qu'avant son élaboration, les conflits frontaliers sont quasi-quotidiens
dans certains pays africains, et l'objectif de son adoption qui se
résume en une garantie de paix et de stabilité territoriale
18 Ladji OUATARA « frontières africaines 1964-2014 Le
défi de l'intangibilité », La Revue Géopolitique (en
ligne) http//diploweb
?utm_source_=widget&utm_medium=tipbutton&utm_campaign=diploweb, p 5
(consulté le 29 juillet 2020)
19 Jon WORONOF, « Différends frontaliers
en Afrique », Le Mois de l'Afrique, 1972, p.62
20 Rapport de la réunion d'experts sur le
programme frontière de l'Union Africaine, Bamako, Mali, mars 2007
25
pouvant mener les nations africaines vers le
développement et les transformer en Etat-nation. D'ailleurs, en optant
pour le maintien des frontières héritages de la colonisation en
avaient conscience, ils visaient un processus d'unité par étapes
progressives qui commencerait d'abord par la consolidation des unités
intermédiaires que sont les territoires nationaux, nous renseigne LADJI
OUATARA21.
|