Les ONG et la transformation des conflits dans le territoire d'Uvira.par Christian KIKA KITUNGANO Université Officielle de Bukavu, UOB - Licence en sociologie 2016 |
Conclusion partielleCe chapitre a porté sur la définition des concepts clés et opératoires du travail en premier lieu ; il a circonscrit le cadre théorique sous tendu par travail, notamment la théorie de régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud sociologue français. Pour ce faire, quelques théories sur le conflit ont été élucidées et expliquées en vue de faire comprendre le fait. La dernière section s'est attardée sur le cadre méthodologique et un aperçu de transformation des conflits. La transformation des conflits est considérée comme un élément essentiel dans la stabilité de la société. L'équilibre du système social doit être cherché et pour y aboutir, il est donc probable d'appliquer différentes théories qui peuvent être nécessaires à la pratique de la réalité. Il est bien de définir les concepts clés et opératoires, mais l'essentiel reste aussi de savoir la nature des conflits à transformer. Ce qui constitue le point important à aborder dans le second chapitre. CHAPITRE DEUXIEME : NATURE DES CONFLITS1. Regard sur les conflits à UviraCette section est consacrée à une brève description des conflits armés dans ce territoire.Ce genre de conflit a occasionné divers maux dans le territoire, les autres catégories des conflits dans cette contrée y trouventleur origine. Nous allons à ce titre dégager la relation population locale et groupes armés ; le contexte politique des conflits dans le territoire d'Uvira ; les alliances société civile, groupes armés et pouvoir public et enfin le rôle des communautés locales dans le conflit. A. La relation population et groupes armés Généralement les conflits dans la province du Sud-Kivu sont analysés comme étant d'origine essentiellement tribale ou ethnique. Il ya lieu de se poser la question de savoir si, la simple référence identitaire peut attiser des conflits. Il se dégage des enjeux financiers au profit d'acteurs isolés qui, derrière des questions identitaires, instrumentalisent un groupe pour des intérêts personnels, en lui faisant profiter d'une partie du pouvoir, pérennisant celui-ci ou occultant le vrai problème. Au regard de développement positif intervenu dans le processus de paix congolais, l'idéologie ethnique qui est la lutte des groupes armés en 1998 pourrait suranner à ce jour. Si l'objectif originel était le départ des armées étrangères, le Kivu devrait recouvrer sa quiétude. Curieusement, le départ des troupes rwandaises a été suivi d'une escalade de l'insécurité dans les provinces de l'Est. A ces jours, l'activisme de ces groupes armés est justifié par les seules raisons économiques. Les chefs de guerre ont mis en place, avec le concours de certains citoyens véreux, un réseau constitué des voleurs opérant impunément dans la cité d'Uvira, le partage du butin étant assuré par les Chefs. Il ressort des informations de terrain que certains acteurs de la société civile entretiennent des rapports ambigus avec les groupes armés. Au lieu d'exploiter positivement ces relations, ils jouent les rôles de courroie de transmission entre les seigneurs de guerre et les familles de victimes enlevées et détenues dans les bivouacs situés dans les hauts plateaux et dans la plaine de la Ruzizi74(*).Etant donné que la présente analyse se penche sur les relations entre les communautés locales et groupes armés, la question qui se pose est celle de savoir l'alliance entre société civile, groupes armés et pouvoir public. B. Alliance société civile, groupes armées et pouvoir public Pendant la résistance armée, les populations et la société civile locale s'étaient rangées derrière des groupes d'autodéfense dans le but de barrer la route aux rebelles, sans nécessairement avoir une idée claire de ce à quoi elles aspiraient. L'appartenance à une organisation de la société civile était une garantie pour passer à une barrière maï-maï sans être inquiété dans un contexte local où les contacts des maï-maï avec Kinshasa avaient pour relais des membres de la société civile locale. Déjà, en mai 1999, des comitésd'efforts de guerres furent créés partout dans la plaine de la Ruzizi par des maï-maï locaux de Zabuloni . Ces comités généralement structurés autour des chefs des villages étaient chargés de la collecte des vivres et des fonds auprès des paysans75(*). Entre 1996 et 2003, la mobilisation des populations civiles se fut en termes de sensibilisation et dénonciation des méfaits des forces d'occupation. Elle se solda par des recrutements massifs des jeunes dans les groupes armés locaux avec trop souvent le consentement de leurs parents. Dans la pleine de la Ruzizi ; Basimike76(*) rapporte que denombreux jeunes avaient été enrôlés dans les groupes armés notamment le maï-maï, fin 1999, à l'issue de ces sensibilisations. Pour leur approvisionnement en minutions, les maï-maï Bafuliru collaboraient avec les femmes qui acceptent de loger les balles dans des bidons d'eau, qu'elles faisaient passer d'un point à l'autre, feignant de revenir à la rivière77(*). Tout en s'exposant à des graves dangers et en jouant les rôles de messagères, elles s'occupèrent de la garde des fétiches. Si au cours des hostilités, la résistance menée par des maï-maï bénéficiait d'un soutien des communautés locales contribuant énormément au maintien de ces groupes armés locaux, des instructeurs du gouvernement contribuèrent à la structuration et à l'approvisionnement en armes et en munitions des groupes armés locaux et apportèrent des contributions financières78(*). La compréhension de cette dynamique société civile, groupes armés et gouvernement ou pouvoir public est importante du fait que ces trois parties qui partagent les mêmes objectifs de combattre les forces ennemies, pendant la résistance armée, les unes à l'intermédiaire des autres se trouvent aujourd'hui fragilisées et prises au piège de leurs propres manoeuvres. Cela nous ramène à étudier les communautés locales présentement impliquées dans les conflits qui déchirent le territoire d'Uvira c'est-à-dire leurs rôles dans les conflits. A l'aide des mécanismes de transformation des conflits, nous tenterons dans ce travail de trouver les solutions à ce problème. C. Les communautés locales impliquées dans le conflit Le territoire d'Uvira est peuplé d'une mosaïque des communautés déchirées par les conflits autour des questions foncières, de nationalité et d'exercice de droits politiques. Localement, les acteurs primaires des conflits sont les banyamulenge, les Barundi, les Bavira et les Bafuliru, de nombreuses autres communautés telles que les Bashi, les Balega les Babembe et les Banyidu vivent dans la zone et développent des stratégies alternatives par rapport à ces conflits, en nouant notamment des alliances avec les grands ensembles démographiques en fonction des enjeux et des intérêts locaux. En même temps, d'autres ressortissants des provinces éloignées, fonctionnaires de l'Etat, marchands ambulants entretiennent des relations avec les protagonistes, de près ou de loin. Au niveau local, le conflit oppose les quatre groupes ethniques numériquement importants à savoir les Banyamulenge, les Bavira, les Barundi et les Bafuliro ; les alliances entre ces groupes et les autres communautés locales se construisent autour d'un clivage entre les populations autochtones et celles considérées comme allochtones, en particulier les Banyamulenge et les Barundi. En même temps, les ressortissants des autres provinces se rangent facilement derrière les populations autochtones dans un contexte de solidarité nationale. Le soutien des autres communautés du pays voisins notamment les rwandais et les burundais s'est matérialisé à travers des apports militaires. Les faibles poids démographiques de ces groupes ethniques locaux a énormément pesé dans la prise des décisions importantes concernant la gestion des entités. Cependant, force est de constater qu'en temps de paix relative, ces communautés à moindre proportion se trouvent victimes d'injustice sociale. Les cas les plus cités par les acteurs locaux sont l'occupation des postes administratifs. Le cas le plus frappant est celui de Mwami, un murundi chef de collectivité plaine de la Ruzizi qui ne sait exercer localement le pouvoir, car contesté par les Bafuliru. Les groupes marginaux, les banyamulenge et les Barundi se résignent et s'obligent à respecter les décisions des grands groupes, paraissant ainsi plus comme victime qu'acteur de cette prise des décisions. Ce sentiment de victime et Le désir de réhabilitation sociale ont pris proportions inquiétantes ces dernières années au sein des autres communautés. Les Bavira et les Bafuliru se disputent la gestion de la chose publique et se sont illustrés en Août 200879(*), par des marches en vue de revendiquer des postes politiques et administratifs au niveau local et provincial. Ces relations conflictuelles entre ethnies locales, basées sur les rapports des forces souvent inégaux ont induit des nouvelles dynamiques ; il s'agit à ce niveau pour chaque communauté de se rallier vers son leader militaire, chef d'un groupe armé en vue de s'auto sécuriser.Cette implication des communautés dans ces conflits nous ramène à étudier la dynamique de cohabitation entre communautés dans le territoire d'Uvira. Avant les guerres, les relations entre les différentes communautés étaient plus ou moins harmonieuses malgré des divergences liées aux particularités culturelles. Bien que le nombre des mariages entre les Banyamulenge et autres communautés ait été très réduit, la rencontre de deux cultures a, à certains égards, été un enrichissement mutuel. La militarisation des rapports sociaux liée à la permanence des armés ethniques a créé un climat de suspicion, de méfiance et de globalisation des membres de chaque communauté. Il est estimé que la présence de certains groupes armés est basée sur la volonté de porter les revendications des différentes communautés, cette présence court-circuite largement la confiance mutuelle des acteurs locaux et instaure un sentiment d'intolérance et de discrimination. Lors des entretiens avec les différents groupes, il est ressorti que leur présence s'explique par le fait qu'ils ne connaissent pas les agendas cachés des uns et des autres80(*). Ces frustrations se traduisent par un rejet mutuel et une discrétion à outrance qui ne facilite pas une ouverture des membres d'une communauté aux autres. Les acteurs des conflits se connaissent ainsi peu à fond et développent des sentiments de victimisation et un esprit de bouc-émissaire. Dans la cité d'Uvira, une marche organisée le 16 juin 2008 pour la plus grande représentativité des ressortissants du territoire d'Uvira dans le gouvernement provincial, se transforma en une marche contre les Banyamulenge81(*). E. Contexte politique des conflits. Le conflit n'a pas seulement le contexte social, il a aussi le contexte politique. C'est depuis la domination allemande puis belge que beaucoup de rwandais ont été contraints à fuir les exactions commises par les colons à l'égard de la population82(*). A côté de ces immigrés provoqués par les exactions coloniales et la fièvre de l'indépendance, d'autres immigrations étaient dues à la famine de 1917-1918 ainsi qu'au recrutement des travailleurs pour les mines et les plantations au Zaïre83(*). Pour ceux quise dirigeaient vers Uvira-Fizi, ils se sont installés sur les collines Mulenge où ils vivaient en harmonie avec les autochtones. Les Bavira, Bafuliru, les Babembe et autres vivaient en collaboration à tel enseigne que, pour les études, ces trois tribus hébergeaient les enfants des Banyamulenge et ces derniers en signe d'amitié et/ou de compensation donnaient des vaches aux familles d'accueil de leurs enfants. Tout a commencé à se dégrader quand les antagonismes se sont installés entre les ethnies, pour la gestion du pouvoir : - les immigrés rwandais ne veulent plus se reconnaitre comme tels et se considèrent dès lors comme des congolais à part entière ; - les burundais veulent eux aussi assumer des responsabilités politiques tant au niveau local que national, chose mal perçue par les tribus autochtones du territoire d'accueil et l'opinion publique en général. Lors de la première guerre dite de libération par l'AFDL pour renverser le régime de Mobutu,ils avaient commis beaucoup d'exactions sur les membres des tribus voisines et de ce fait, les Babembe, les Bafuliru, les Bavira,... ont vu dans cette guerre une invasion de leur territoire par les étrangers, désormais le conflitlatent venait d'atteindre l'étape d'escalade. Ce conflit, qui dure depuis de longues dates et qui a connu des périodes de violence d'élargissement nécessite un suivi. Celui-ci permettra d'initier des grandes rencontres entre les communautés impliquées pour qu'elles définissent les alternatives à leurs différends. * 74LDGL, Interaction des groupes armés dans le territoire d'Uvira et de Fizi au Sud-Kivu en RDC, Kigali, 2003, p.8 * 75 ADEPAE, op. cit, p.45 * 76 BASIMIKE cité par ADEPAE, idem, p.40 * 77Ibidem. * 78 Idem * 79 ADEPAE, 0p.cit, p.49 * 80ADEPAE, Op.cit, p.60 * 81 Ibidem * 82Entretien avec le Mwami Kinyonyi Ndabagoye III chef de collectivité chefferie plaine de la Ruzizi à Luberizi, 12 Novembre 2015 * 83 A. BIRHAKAHEKA., « Historique de migration des peuples des grands lacs africains », in bâtissons la paix dans les pays des grands lacs. Séminaire de formation pour les artisans de paix, 2008, p.11 |
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