I.2. Le « Pourquoi » et le « Comment
» selon Jankvist
De nombreux chercheurs ont tenté de catégoriser
les recherches sur l'introduction de l'Histoire des Mathématiques dans
l'enseignement.
C'est le cas de d'Uffe Thomas Jankvist, un
enseignant-chercheur de l'Université Aarhus au Danemark. En 2009, dans
son article A categorization of the « whys » and « hows
» of using History in Mathematics education*, il
mène un travail important sur une distinction entre deux aspects de
l'utilisation de l'Histoire dans l'enseignement et l'apprentissage des
Mathématiques et leurs corrélations. Nous allons étudier
ses recherches ici.
* Catégorisation des « pourquoi » et «
comment » dans l'utilisation de l'Histoire dans l'enseignement des
Mathématiques
LAZARO Virginie Mémoire 'Histoire des
Mathématiques et motivation des élèves'
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Tout d'abord, Jankvist parle des méthodes
utilisées pour introduire l'Histoire des Mathématiques en classe
: le « comment ». Il y a selon lui trois façons d'introduire
et de présenter la dimension historique dans l'enseignement des
Mathématiques.
Premièrement, il y a l'approche anecdotique : il s'agit
d'introduire en début ou en fin de cours, ou de séquence, des
faits isolés, des capsules historiques ou anecdotes
particulières. Ce sont des interventions brèves, isolées,
où le professeur fait part de quelques informations historiques : noms
de Mathématiciens, dates, et problèmes qu'ils ont
étudiés par exemple. Cette méthode est très
utilisée au Québec, où notamment Lindstrom (1995) a
créé dans son manuel des petites rubriques historiques à
chaque fin de chapitre concernant les notions abordées.
Ensuite, Jankvist parle de l'approche par module
d'apprentissage. Cette méthode plus répandue consiste en des
capsules d'Histoire plus importantes. Elles peuvent être sous la forme
d'activités autour de l'Histoire, ou de parties de séquences
d'enseignement qui peuvent occuper plusieurs cours entiers. Il peut s'agir de
lectures de textes historiques, d'études de situations-problèmes
ou de projets de recherche menés par les élèves. Les
textes étudiés sont eux-mêmes classés en deux
catégories : les sources primaires et les sources secondaires. Un texte
de catégorie dite « primaire » est un texte original
écrit par un Mathématicien. À sa lecture, un
élève ou un étudiant peut s'en faire sa propre
interprétation et ses propres conclusions. D'un autre côté,
un texte de catégorie « secondaire » est déjà
passé entre les mains d'historiens ou d'experts en Mathématiques.
Ici, les traductions puis améliorations en langage moderne peuvent
biaiser les idées que voulait faire passer l'auteur. En lisant ce type
de document, les élèves perçoivent l'interprétation
de celui qui a manipulé le texte et qui l'a retranscrit. C'est une
approche différente.
Enfin, la troisième méthode citée par
Jankvist est l'approche historique intégrée. Cette approche
diffère des précédentes car elle consiste en un mode
d'élaboration inscrit dans le temps. Lorsqu'un enseignant utilise ce
mode de présentation, il suit en réalité l'ordre
chronologique, donc historique, d'apparition des notions. Par exemple, lors de
l'introduction des types de nombres, le professeur parle d'abord des entiers
naturels, puis des rationnels positifs, ensuite de quelques irrationnels
(toujours positifs) avant de retourner « avant » le zéro et
donc de considérer les nombres négatifs, puis les réels et
enfin les complexes. Cet ordre est exactement celui dans lequel les types de
nombres ont été « trouvés », du moins
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considérés, car pendant longtemps les hommes ne
voulaient pas concevoir la notion de nombres négatifs. De cette
façon, les élèves ont parfois accès à des
branches des Mathématiques hors-programme mais nécessaires
à l'avancée chronologique vers l'objectif du programme.
Dans un second temps, Jankvist parle des arguments appuyant
l'introduction historique des Mathématiques : le « pourquoi ».
Il y a deux visions différentes de cette utilité.
Pour commencer, l'Histoire des Mathématiques peut
être vue comme un outil motivationnel pour les élèves
lorsqu'elle est introduite en classe. Elle accompagne l'enseignement des
Mathématiques et permet une humanisation de la discipline. Aussi, cet
outil peut aider à montrer que les Mathématiques « ne
tombent pas du ciel ». Les notions du programme prennent une nouvelle
dimension moins abstraite, les élèves découvrent leurs
origines et quelques détails de leurs évolutions au cours du
temps. L'introduction de l'Histoire des Mathématiques peut donc susciter
l'intérêt des élèves pour cette discipline. Jankvist
précise que l'approche historique est considérée comme un
outil si l'intention du professeur reste sur l'objet mathématique
à enseigner.
D'autre part, Jankvist parle de l'Histoire des
Mathématiques comme un objectif en soi. Cette fois l'intention du
professeur est portée sur l'Histoire elle-même, et l'apprentissage
de « l'esprit mathématique ». Dans cette optique, on
considère tout le raisonnement philosophique et socio-culturel qui a
animé les mathématiciens de tous temps dans leurs recherches. On
voit non seulement la finalité du cours qui est l'apprentissage d'une
notion du programme, mais aussi tout le contexte de la pensée et les
barrières rencontrées aux différentes étapes
d'élaboration des notions, comme si les élèves devenaient
des Thalès, Euclide ou Fermat. Ils constatent donc d'eux-mêmes que
les Mathématiques sont en constante évolution dans le temps et
dans l'espace, et que cette évolution est semée d'embûches
et d'impasses.
Dans son article, Jankvist parle de la nécessité
de faire la distinction entre le « pourquoi » et le « comment
», ce qui est peu fait dans la littérature. Il faut éviter
toute confusion entre méthode et argument. Distinguer les deux aspects
ne veut pas dire les isoler, Jankvist aborde d'ailleurs les interrelations
entre ces deux aspects de recherche. Pour mieux
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Mathématiques et motivation des élèves'
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Mathématiques et motivation des élèves'
comprendre cela, prenons un exemple : imaginons que l'on
veuille faire une approche anecdotique d'une notion, il semble inadapté
de considérer alors l'Histoire comme un objectif en soi. Elle est donc
vue comme un outil. En revanche, l'approche historique intégrée
peut la considérer comme un objectif en soi. Ces interrelations peuvent
être illustrées par le schéma suivant, qui
récapitule aussi toute la catégorisation.
Approche anecdotique
Histoire
= outil
Approche par modules d'apprentissage
Pourquoi?
Comment?
objectif en soi
Histoire
Approche historique intégrée
Légende :
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: interrelations plus adaptées
: interrelations moins adaptées
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Interrelations entre méthodes et arguments
selon Jankvist
Ainsi, cette étude sur la catégorisation des
« pourquoi » et « comment » de l'utilisation de l'Histoire
dans l'enseignement des Mathématiques de Jankvist nous permet
d'éclaircir les méthodes et aspects de l'enseignement de notre
discipline aux élèves. Cela s'avérera très utile
lors de notre expérimentation pour ne pas se perdre dans trop de
manières différentes d'introduire l'Histoire des Maths dans nos
classes, et nous permettra de distinguer clairement nos objectifs.
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