I. Etude de recherches
I.1. Constatations et motivations
En France, l'Histoire des Mathématiques n'est pas
considérée comme une matière à part entière
dans le cursus des élèves du secondaire, elle n'apparaît
comme un objet d'étude en soi que dans les cursus universitaires et plus
particulièrement dans celui des enseignants et des chercheurs. Cependant
dans le Bulletin Officiel, on y retrouve quelques références qui
invitent les professeurs à l'intégrer à leurs
enseignements. Ainsi on peut lire que « l'Histoire de l'Humanité
est marquée par sa capacité à élaborer des outils
qui lui permettent de mieux comprendre le monde, d'y agir plus efficacement et
de s'interroger sur ses propres outils de pensée [...]. Au terme de la
scolarité obligatoire, les élèves doivent avoir acquis les
éléments de base d'une pensée mathématique. »
Ces recommandations sont suivies un peu plus tard d'éléments
aidant à la mise en oeuvre de ce projet. Par exemple dans la liste de
types de travaux pouvant être réalisés en autonomie par les
élèves chez eux, il est suggéré de leur proposer
d'effectuer des « lectures ou recherches documentaires, en particulier sur
l'Histoire de la discipline ou plus généralement des sciences
pour enrichir les connaissances ». Enfin « certains problèmes
peuvent prendre appui sur des éléments empruntés à
l'Histoire des Mathématiques ». L'Histoire des Mathématiques
n'est donc pas laissée de côté en France, mais elle ne
possède pas de programme spécifique et est peu
encadrée.
Parmi les recherches effectuées autour de
l'intégration de l'Histoire des Mathématiques dans les classes du
secondaire, l'une d'entre elles se distingue des autres car elle fait le point
sur toutes celles réalisées jusqu'alors. Il s'agit du travail de
David Guillemette, doctorant en éducation à l'Université
du Québec à Montréal. Il présente une analyse des
apports pour les apprentissages des élèves et des
méthodologies de recherches dans le domaine de l'introduction de
l'Histoire des Mathématiques.
Pour mieux comprendre les motivations de David Guillemette et
de ses compatriotes au sujet de l'utilisation de l'Histoire, nous pensons qu'il
est important de rappeler quelle place lui est faite au sein des programmes
québécois. Il est clairement indiqué que
l'intégration de l'Histoire doit être effectuée en classe
pour permettre aux élèves de comprendre le sens et
l'utilité des Mathématiques, de cerner les liens entre cette
matière et les
LAZARO Virginie Mémoire 'Histoire des
Mathématiques et motivation des élèves'
besoins de la société qui ont
évolué au cours des temps, mais aussi de comprendre que les
Mathématiques sont le fruit de longs travaux comme nous l'avons
déjà souligné dans l'introduction. Contrairement au
programme français, les Québécois semblent plus exigeants
sur l'utilisation de l'Histoire. Plus qu'une suggestion, l'insertion de
repères historiques est ici obligatoire et complètement
intégrée au programme. Des domaines précis doivent
être évoqués en classe : l'élève « a
l'occasion de découvrir des mathématiciens qui ont marqué
l'Histoire de la Géométrie et de la Mesure, par exemple Euclide
ou Thalès. Il étudie l'évolution du calcul de la valeur
it, un nombre qui a de tout temps fasciné les gens. Il résout des
problèmes de mesure sur lesquels plusieurs mathématiciens se sont
penchés au cours des siècles, par exemple le calcul de la
circonférence de la Terre (Ératosthène), du rayon de la
Terre, de la distance entre la Terre et la Lune ou de la hauteur d'une
pyramide. Certains instruments de mesure ont traversé les époques
et d'autres ont été perfectionnés ; l'élève
découvre ces instruments ainsi que l'emploi de différentes
unités de mesure. ». Des indications sont également
données aux enseignants sur les moyens de procéder pour
introduire ces notions : « Que ce soit notamment par le moyen de
situations-problèmes, de capsules historiques, de recherches,
d'activités interdisciplinaires ou d'un journal ».
L'introduction de l'Histoire des Mathématiques semble
donc plus aboutie au Québec qu'en France et fait l'objet de recherches
plus poussées, les expérimentations sont aussi plus
nombreuses.
David Guillemette, dans son article intitulé
Enseignement des Mathématiques et Histoire des mathématiques
: Quels apports pour l'apprentissage des élèves ?, distingue
deux types de travaux de recherches. Les premiers sont les travaux de
recherches sous forme de récits de pratiques réalisées en
classe qui sont ensuite analysées. Mais ces travaux possèdent de
gros problèmes méthodologiques que nous détaillerons plus
tard. Les seconds sont les réflexions plus théoriques qui posent
un regard plus aiguisé sur les arguments en faveur de l'utilisation de
l'Histoire des Mathématiques. Guillemette appelle à
accroître le nombre d'expériences pratiques en améliorant
leur qualité. Cela serait la clé pour justifier les trois grandes
hypothèses théoriques faites sur l'apport de l'Histoire des
Mathématiques qu'ont théorisées certains chercheurs :
LAZARO Virginie Mémoire 'Histoire des
Mathématiques et motivation des élèves'
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Ces trois hypothèses ont été
répertoriées, entre autres, par Évelyne Barbin dans son
document L'Histoire des Mathématiques dans la formation : une
perspective historique (1975-2010).
Elle évoque tout d'abord l'« hypothèse de
dépaysement », également parfois surnommée «
hypothèse de réorientation ». L'Histoire aurait pour but
d'étonner. En effet, les Mathématiques tout au long de leur
construction ne se sont pas présentées comme nous les
présentons aujourd'hui à nos élèves. Elles se sont
construites à des époques et dans des lieux géographiques
différents où les préoccupations et les besoins
étaient différents. Le dépaysement est alors à la
fois mathématique et culturel. Pour les élèves cela est
source de curiosité et pour l'enseignant cela permet de mieux
interpréter les erreurs commises et les questions posées. Pour
obtenir cet apport Barbin suggère l'utilisation de textes originaux sans
aucune modification ni transposition dans un langage moderne.
La deuxième hypothèse est celle de la vertu
épistémologique de l'Histoire. Elle permet de rendre compte de la
transformation d'un concept et de comprendre les liens entre différentes
branches des Mathématiques. La notion de tangente est prise comme
exemple avec son passage d'un problème géométrique pour
les Grecs, à un problème cinématique pour Roberval,
à un problème d'optique pour Descartes. L'Histoire permettrait
également de comprendre les obstacles épistémologiques
qu'ont dû franchir les mathématiciens. Ici c'est l'exemple de la
notion de nombres qui est utilisée pour illustrer le propos. Une
approche épistémologique permet en effet de gommer les erreurs
très fréquentes sur les opérations, sur les nombres
négatifs ou irrationnels.
La troisième et dernière hypothèse est
celle de l'apport culturel de l'Histoire. Elle peut assurément aider
à placer les Mathématiques dans un contexte de pensée
d'une époque et créer des liens profonds avec d'autres
disciplines. Le lien le plus évident qui peut être
créé est celui avec la Philosophie. Par exemple, on a vu
apparaître la volonté de démonstration au moment de
l'établissement de la démocratie grecque. Des rapprochements sont
envisageables avec le domaine littéraire, artistique, économique,
de la Physique ou de l'Histoire.
Dans notre travail expérimental, nous allons nous
concentrer sur la vérification de l'hypothèse de
dépaysement qui est très fortement liée à la
motivation, nous verrons aussi la sensibilité des élèves
à la vertu épistémologique de l'Histoire des
Mathématiques.
LAZARO Virginie Mémoire 'Histoire des
Mathématiques et motivation des élèves'
Hypothèses théoriques faites sur l'apport
de l'Histoire des Mathématiques
Dépaysement
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Vertu épistémologique
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Apport culturel
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Schéma récapitulatif des
hypothèses évoquées par Evelyne Barbin
Guillemette, qui encourage l'expérimentation de ces
trois hypothèses, s'interroge également sur un ordre, ou une
hiérarchisation de celles-ci. Peut-on prouver par
l'expérimentation qu'il y a eu un dépaysement sans observer au
préalable un apport culturel ? Il se questionne également sur les
moyens d'évaluer ces apports. Pour cela il suggère de donner
systématiquement la parole aux élèves à travers des
entrevues, des réflexions écrites, des questionnaires, ou des
productions mathématiques, afin d'obtenir des données solides
à analyser.
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