Pour rappel, notre première hypothèse concerne
le rapport de notre population de formateurs aux outils digitaux. Dès la
prise de nos fonctions d'ingénieurs de formation, nous avons
réuni un ensemble de documents pour réaliser un diagnostic sur la
réalisation des formations des formateurs à la
multimodalité et aux outils digitaux propres à l'AFPA (Annexe 2).
En parallèle, pour confirmer nos supports, nous sommes allés
à la rencontre des formateurs sur le terrain. Ce que nous avons
constaté est que nous étions face à une partie des
formateurs qui avaient entièrement intégré les dispositifs
digitaux dans leurs pratiques pédagogiques, et une autre partie qui
préférait tout de même rester à l'écart. En
effet, les entretiens vont nous permettre d'élucider les prises de
positions et à mieux comprendre les effectifs des formateurs
formés à ces outils.
Nous avons scindé notre hypothèse en trois
thématiques.
Thématique 1 :
Sachant que l'avènement des nouvelles technologies
impacte profondément le marché de la formation, pour rester
compétitive, ces derniers tentent d'adopter des solutions novatrices
pour se différencier de leurs concurrents. Nous parlons de
digitalisation de la
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formation, ou d'e-formation, ou d'e-learning dans le cadre de
la formation. En d'autres termes, l'enjeu des organismes dans la conduite de
ces changements organisationnels, structurels et culturels, est d'instaurer de
nouvelles pratiques à leurs collaborateurs pour se situer à
l'ère du digital. Cependant, pour mener à bien ces projets, il
est évident de prendre en compte les spécificités
individuelles de chacun. Également, il faut être attentif sur les
types de formation, les publics de stagiaire, et les méthodes
pédagogiques adoptées. Il est à savoir que les formateurs
sont libres de choisir d'intégrer les outils digitaux dans leurs
pratiques ou non.
Dans le cadre de notre enquête, nous sommes face
à un public qui possède diverses caractéristiques qui
pourraient expliquer l'adhésion ou non aux outils digitaux. Il faut
tenir compte de la singularité des individus et de leur activité.
Ce qui en ressort sont : leurs antécédents, leurs
expériences professionnelles, leurs environnements de travail et leurs
pratiques pédagogiques habituelles.
Tout d'abord, nous abordons les expériences
professionnelles des formateurs. Selon nous, elles sont l'une des raisons qui
expliquent certaines positions à l'égard des outils digitaux.
Particulièrement, nous faisons un lien entre les expériences
professionnelles et les générations des individus. Dans ce
contexte, nous tentons de comprendre l'aisance à l'usage du digital. En
effet, L.Marchand (2003) démontre que l'âge est l'un des
éléments les plus indicatifs considérant les anciennes
générations moins à l'aise avec l'informatique, de peur de
faire une mauvaise manipulation, que les générations qui ont
été plus souvent en contact avec l'ordinateur. Mais bien que des
générations soient similaires, nous comprenons que d'autres
facteurs plus déterminants entrent en jeu ...
Nous trouvons qu'il serait intéressant de ressortir
les points suivants :
Notre premier formateur en assistant-comptable (E1)
âgé entre 50 et 55 ans, déclare avoir une bonne
connaissance du domaine informatique. Nous le confirmons par ses propos :
« J'étais un peu geek dans le temps, donc je me tiens au
courant des évolutions » (E1, annexes, lignes 97-98). Cela
nous conforte sur l'idée qu'il a conscience des transformations rapides
qu'engendre la technologie sur son secteur d'activité : « on a
des réseaux partout, de la 5G, du très haut débit,
techniquement y'aurait plus de limite pour les outils liés à la
formation surtout » (E1, annexes, lignes 100-101).
Notre deuxième formatrice dans la même tranche
d'âge que le premier (50-55 ans) et aussi dans l'assistanat en
comptabilité, travaillait auparavant dans le domaine de
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l'informatique : « pendant 10 ans je suis
restée dans l'informatique, dans les logiciels, dans l'accompagnement
» (E2, annexes, lignes 307-308), et lors de son entrée
à l'AFPA, elle a découvert la plateforme de formation
Mètis pendant sa formation DFA : « Devenir formatrice à
l'AFPA » : « Alors moi, j'ai découvert Mètis quand
j'étais en DFA en mars 2017 donc on s'est pris une journée pour
découvrir la plateforme Mètis » (E2, annexes, lignes
502-503). Ces propos sont essentiels pour comprendre que la formatrice
possède déjà une aisance technologique, et a
déjà connaissance de la plateforme dès les débuts
de sa fonction.
Notre troisième formatrice en CIP (Conseiller.e. en
Insertion Professionnelle), âgée entre 50 et 55 ans, a une
ancienneté de seize à l'AFPA. Elle a été longtemps
formatrice pour les ADVF (Assistant.e. de vie aux familles) puis depuis une
année elle exerce ses fonctions de formatrice pour la formation CIP.
Lors des formations en ADVF, cette dernière n'a pas eu besoin d'utiliser
les outils digitaux car elle considérait que ce n'était pas
indispensable pour la culture du métier « moi personnellement
j'ai très peu utilisé du fait de manque de connaissance et en
lien aussi avec la culture du métier qui était pas assez
développée » (E3, annexes, lignes 751-753). Autre point
qui est important à relever, c'est qu'elle n'a pas utilisé la
plateforme de formation car elle manquait de connaissance. Cela revient
à interroger sur la diffusion d'information de la part de la direction
vers ce projet de changement.
Notre quatrième formatrice (E4), âgée
entre 30 et 35 ans, est une ancienne stagiaire de l'AFPA dans le cadre de la
formation FPA : Formation Professionnelle des Adultes : « Moi ce qui
va être pas mal c'est que je vais pouvoir t'en parler des 2
côtés parce que je l'ai connu en tant que stagiaire et maintenant
formateur » (E4, annexes, lignes 1041-1042). Son ancien statut de
stagiaire lui donne l'avantage d'avoir déjà eu recours à
la plateforme de formation, elle aurait donc une vision complémentaire
dans l'usage de la plateforme. Cela lui donne une meilleure aisance pour
s'approprier l'outil dans son rôle de formatrice.
Notre cinquième formatrice, âgée entre 40
et 45 ans, en secrétariat médico-social a toujours
été attiré par le contact direct avec l'humain. C'est
surtout cet aspect qui l'a orienté à devenir formatrice dans ce
domaine : « je peux pas dire mon métier est ma passion mais on
est pas loin, j'adore ce que je fais, j'ai besoin d'être en contact avec
les gens, avec mon public et c'est le fait justement d'être en contact
que je suis comme un poisson dans l'eau, c'est ce qui me convient ».
(E5, annexes, lignes 1514 ;1516). Nous comprenons clairement par cette
phrase que l'intégration du digital avec les formations à
distance (ou les formations mixtes) peut être compliqué par cette
formatrice.
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Notre sixième formatrice (E6) est une formatrice en
secrétaire-assistant.e, âgée entre 55 et 60 ans, elle a
été l'une des premières à être formé
sur la plateforme Mètis et a connu son évolution au cours du
temps : « quand on a mis en place la fameuse plateforme tertiaire et
c'était le début entre guillemets du digital qui allait
peut-être arriver. Donc j'ai été dans les prémices
avec mes collègues » (E6, annexes, lignes 1702-1703).
Notre dernier formateur en formation professionnelle des
adultes (E7), âgé entre 60 et 65 ans était en
pré-retraite et possédait une ancienneté de 32 ans au sein
de l'organisme. Il déclare que durant toute sa carrière, il n'a
pas eu un recours courant aux technologies : « Moi j'utilise
l'ordinateur juste pour projeter des PowerPoint ou des documents qui doivent
être sur écran et vue. Mais, appart ça je n'ai pas trop
utilisé d'autre environnement numérique parce que ce
n'était pas à l'ordre du jour » (E7, annexes, lignes
2287-2289). Il faut porter son attention sur la
dernière phrase qui sous-entend que l'usage des plateformes de formation
n'était pas d'actualité et pas obligatoire, donc le formateur
préférait rester sur ses pratiques habituelles.
Deuxièmement, pour optimiser au mieux l'utilisation du
digital dans la formation, il faut, selon nous, disposer du matériel et
de l'équipement adéquats. Nous savons que l'AFPA souhaite
promouvoir au mieux ses outils auprès des formateurs à la demande
de ses clients et du marché concurrentiel, mais nous nous sommes
posé la question de l'environnement de travail pour réaliser
cette promotion dans de bonnes conditions. Comme le souligne E.Baudoin et
L.Tahssain-Gay (2013), « L'environnement spatial et temporel peut ainsi
être décrite par les salaries comme facilitant ou à
l'opposé entravant ». L'environnement de travail viendrait donc
influencer la performance des formateurs, en fonction de l'accès aux
ressources informatisées, à un ordinateur ou à un autre
moyen, selon E. Bernadin et C.Krohmer (2019). C'est pourquoi, pour utiliser
aisément la plateforme de formation, il faut réadapter
l'environnement en fonction des besoins de l'outil. La stratégie de
l'organisme repose souvent sur des formations à distance pour
réunir des stagiaires de différentes localisations. Dans ce
contexte, les formateurs utilisent tous les moyens mis à disposition sur
la plateforme de formation pour communiquer avec leurs stagiaires
(communication en synchrone ou asynchrone).
Par les différentes réponses que nous avons
recueillies, nous faisons le constat qu'il peut y'avoir des dysfonctionnements
en termes de matériel et d'équipement. Les formateurs se disent
ne pas disposer de moyens idéaux dans la réalisation de leurs
missions en ayant
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recours au digital. Par exemple, pour l'E2 qui est en
formation mixte (un jour en présentiel par semaine et le reste à
distance), elle confirme : « Alors, actuellement c'est peu moyen,
c'est un peu moyen par rapport à cette action » (E2, annexes,
ligne 327), « moi j'ai un petit PC portable c'est pas évident.
Voilà on fait avec » (E2, annexes, ligne 335).
La formatrice E5 travaille avec la plateforme de formation et
explique la problématique qu'elle rencontre régulièrement
: « Un peu lent, mais bon après on n'est pas sur du
matériel nouvelle génération, mais après on
travaille avec » (E5, annexes, lignes 1519-1522).
Nous pouvons encore confirmer les défauts
d'équipement et de matériel par la formatrice E3, « Ce
qui était souvent un frein c'est que [...] à chaque fois
c'était compliqué au niveau informatique y avait toujours un truc
qui n'allait pas, ça ramait, c'était trop et du coup
c'était pas encourageant alors ce qui fait que au démarrage si
ça fonctionne pas, on se retrouve surtout en difficulté on a plus
envie d'y aller, retourner puisque si c'est encore une autre difficulté
» (E3, annexes, lignes 803-805).
Une des dimensions de la fracture numérique, selon A.
Ben Youssef (2004) repose sur le fait que « l'utilisation des TIC repose
sur de nombreux services. L'absence de ces services produit une
sous-utilisation importante de ces usages », soit, dès lors qu'un
dysfonctionnement apparait dans l'utilisation d'un dispositif
numérisé cela contraint l'usager et l'oriente vers des pratiques
plus traditionnelles abandonnant le digital causé par une mauvaise
expérience.
Troisièmement, certains formateurs sont toujours
attachés à l'image du formateur en face à face
pédagogique avec son stagiaire. Pour eux, le contact humain bien plus
qu'une évidence c'est un besoin. Ces formateurs disposent
déjà d'habitudes en matière de pratiques
pédagogiques, ils préfèrent rester dans leur « zone
de confort » car c'est ce qui fait le sens de leur métier. Nous
pouvons illustrer ces propos en citant l'E5 qui exprime son
épanouissement dans son rôle de formatrice grâce à ce
contact humain qu'elle privilégie « j'adore ce que je fais,
j'ai besoin d'être en contact avec les gens, avec mon public et c'est le
fait justement d'être en contact que je suis comme un poisson dans l'eau,
c'est ce qui me convient » (E5, annexes, lignes
1514-1516).