CHAPITRE I - PROBLÉMATIQUE
Avec l'évolution de la société ivoirienne
marquée par les incertitudes liées aux crises
socio-économiques, et le spectre du chômage qui s'accentue au fil
des générations, la question de l'avenir socioprofessionnel des
enfants est une préoccupation constante pour les parents, voire une
véritable hantise. La réussite professionnelle étant
communément corrélée à la réussite scolaire,
les ménages voient dans l'école, le meilleur tremplin vers un
futur radieux, et supportent à cet effet d'énormes coûts
pour l'éducation de leur progéniture. Or, l'école qui est
à la base un espace voué à l'acquisition et au partage de
savoirs, et qui devait logiquement susciter la joie d'apprendre, est devenu
pour plusieurs d'entre ces enfants, le symbole de nombreux défis et
souffrances : épreuves et examens académiques, classements,
quantité de travail en classe ou à domicile, rythme de
progression dans le programme, discipline des enseignants, violence et
insécurité... ; autant de facteurs qui pourraient exposer les
élèves au stress.
Le "stress" est un mot polysémique, communément
employé tantôt pour des causes ou évènements
stresseurs, tantôt pour des réactions de stress, ou des
perturbations provoquées dans l'organisme. En psychologie, le concept de
stress réfère à un ensemble de manifestations affectives,
cognitives, somatiques et comportementales qui suivent un continuum se situant
à l'intérieur de l'intégrité fonctionnelle (Lemyre
&Tessier, 2003). Le stress psychologique se définit comme une
relation particulière entre la personne et l'environnement,
évalué par la personne comme dépassant ou excédant
ses ressources et mettant en danger son bien-être (Lazarus & Folkman,
1984). Il est considéré comme une relation transactionnelle
(c'est-à-dire la perception d'une situation, son interprétation
et la réaction qu'elle suscite), qui exige plus que les ressources que
possède un individu
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et qui nécessite des efforts d'adaptation (Lazarus
& Launier, 1978 ; Lazarus & Folkman, 1984).
Autrement dit, parler de stress, c'est parler non seulement de
stresseurs, mais aussi des ressources de l'individu et de ses réactions
au stress. Il faut donc prendre en compte les situations extérieures
(l'environnement, la nature des évènements porteurs de stress...)
et les facteurs internes (les caractéristiques de la personne, ses
croyances, son tempérament...). Dans le cas du stress scolaire, une
multitude d'agents externes et internes peuvent être mis en cause.
Le stress scolaire est défini par Lempp (cité
dans Bergonnier-Dupuy, Esparbès-Pistre & Lacoste, 2005) comme
l'effet global de tous les facteurs stressants liés à
l'école qui agissent sur l'enfant. Pour affiner cette définition,
Giron (2001) précise qu'on ne peut parler de stress à
l'école que si la situation scolaire est « perçue
» par l'élève comme porteuse d'enjeu : c'est la
transaction entre cet enjeu et l'évaluation que l'élève
fait de ses propres compétences pour y répondre qui
génère ou non la perception d'un stress scolaire. En d'autres
termes, le stress survient lorsque la demande de résultats scolaires est
« perçue » par l'élève comme
inaccessible ou surpassant leurs capacités intellectuelle et physique
(Elkind, 1984).
Une réalité extrêmement importante semble
émerger de ces différentes définitions : la perception.
Finalement, le stress n'existerait pas à proprement parler s'il n'y
avait aucune sensibilité pour le percevoir. Dans cette optique,
au-delà des agents stresseurs liés à la situation scolaire
et des demandes du milieu, c'est surtout la perception qu'en a
l'élève qui donne naissance au stress scolaire. Une situation est
donc stressante si elle est interprétée comme étant
stressante.
En résumé, nous retiendrons que le stress
scolaire représente l'évaluation que l'élève se
fait de sa condition et de son travail scolaire, et cette évaluation
participe à lui faire percevoir sa situation comme supportable ou
dépassant ses capacités et les ressources dont il dispose.
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De plus en plus d'études scientifiques soulignent la
relation entre le stress et différents facteurs scolaires, parmi
lesquels, la performance scolaire et la peur des examens (Dumond, Leclerc &
Deslandes, 2003 ; Dumond &Leclerc, 2007). Les travaux
d'Esparbès-Pistre, Bergonnier-Dupuy et Cazenave-Tapie (2015) ont
montré qu'un élève sur trois est très
stressé par le collège ou le lycée, avec une variation du
degré de stress qui augmente de la sixième à la terminale.
L'orientation scolaire et/ou professionnelle est aussi une source de stress au
secondaire (Tap, Esparbès-Pistre, Lacoste, Lamia, & Sordes-Ader,
2001).
Par ailleurs, lorsque le niveau de stress augmente au cours du
secondaire, on observe une diminution des résultats scolaires, ainsi que
l'accentuation de troubles internalisés (Dumont & Leclerc, 2007).
Frydenberg (1997) note quant à elle, que ceux qui ont un sentiment
d'auto-efficacité faible peuvent vivre des taux élevés
d'anxiété et de détresse qui viennent renforcer la
croyance en leur incapacité d'affronter une situation de stress. Selon
George (2002), le stress constitue un facteur pouvant mener au
désinvestissement progressif de la scolarité, tant pour des
élèves ayant toujours connu un parcours scolaire sans
problème à l'école primaire que pour des
élèves à bon potentiel. De plus, Torsheim et Wold (2001)
observent qu'un taux de stress élevé chez des
élèves est associé à des céphalées,
des douleurs abdominales, des maux de dos et des étourdissements ; ce
qui entrave leur capacité de concentration. Dans la même veine,
Delgrande, Jordan, Kuending et Schmid (2007) ont mis en relief une relation
positive entre le degré de stress scolaire perçu et un certain
nombre de symptômes chroniques : le stress scolaire entraînerait
des difficultés d'endormissement, de la colère, de la
nervosité, de la tristesse et de l'anxiété. Le stress
scolaire ferait également partie des facteurs précipitant les
jeunes dans des comportements à risques (Carr-Gregg, Enderby &
Grover, 2003) tels que les troubles alimentaires, l'addiction, la violence, ou
encore le suicide.
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La majorité des résultats
présentés dans la littérature mettent
généralement en évidence l'existence d'un lien entre le
niveau de stress et des indices de "mésadaptation" (Michaud, 2001).
L'accent est mis notamment sur les conséquences négatives du
stress scolaire chez les élèves, laissant ainsi supposer que le
stress est une fatalité associée à une spirale de maux, et
face à laquelle les jeunes élèves sont pratiquement sans
ressources. Pourtant, le stress n'est pas pathologique en soi ; c'est un
phénomène indispensable dans la vie de chacun (Selye, 1956), et
il correspond fondamentalement à une stimulation qui prépare
l'individu à l'action. Dans cette perspective, le stress est
inévitable, car l'absence de stimulations aussi bien positives que
négatives, peut être à l'origine d'ennui, de manque de
motivation ou d'insatisfaction. L'absence de stress serait même de l'avis
de certains auteurs, comparable à la mort (Loo et Loo, cité dans
Esparbès-Pistre & al., 2015). Un niveau de stress tolérable,
qui stimule la créativité et permet le dépassement de soi,
serait donc bénéfique. Toutefois, ce niveau de stress optimal ne
serait pas identique d'un individu à l'autre, car chacun selon ses
objectifs, ses ressources personnelles, sa culture, ses croyances et ses
apprentissages antérieurs, conçoit la réalité et
l'adversité à sa manière. En outre, lorsque nous sommes
confrontés à des situations difficiles ou stressantes, nous
réagissons de différentes façons.
Ces réactions sont des tentatives d'adaptation encore
appelées stratégies de coping qui, entre autres fonctions,
expliquent les actions d'un individu dans sa transaction avec l'environnement,
et aident à réduire l'intensité du stress ressenti pour le
rendre plus tolérable ou supprimer ses manifestations. En effet, le
terme « coping » dérivé de l'anglais « to cope
(with) » signifie « faire face à » ; c'est un concept qui
renvoie aux moyens ou efforts utilisés par un individu pour s'adapter
à un événement stressant. Les stratégies de coping,
plus connues dans la littérature française sous le vocable de
« stratégies d'ajustement » (Dantchev, 1989 ; Dantzer
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1989) se définissent comme l'ensemble des efforts
cognitifs, constamment changeants, déployés par l'individu pour
gérer des exigences spécifiques, internes et/ou externes,
évaluées comme consommant ou excédant ses ressources
(Lazarus & Folkman, 1984).
Il est important de préciser que dans l'analyse du
coping, les chercheurs effectuent certaines distinctions conceptuelles
(Sandler, Wolchik, Mackinnon, Ayers et Roosa ; cités dans Dumont &
Plancherel, 2001). Ainsi, la notion de « styles » de coping
désigne les préférences habituelles de l'individu, dans la
manière d'aborder les problèmes face à un éventail
de stresseurs. Quant aux « stratégies » de coping, elles
réfèrent aux moyens ou efforts utilisés pour faire face
à une situation particulière (trouver des solutions, consommer de
l'alcool ou d'autres drogues, faire du sport, etc.). Certains auteurs utilisent
les termes de « coping situationnel » pour désigner les
stratégies de coping et « coping dispositionnel » pour parler
des styles de coping (Tétreault, 2005). Les styles de coping sont
toutefois à différencier des « ressources » de coping
(Dumont & Plancherel, 2001) qui représentent quant à elles
des caractéristiques individuelles ou traits de personnalité
(comme par exemple l'estime de soi) susceptibles d'influencer la manière
dont l'individu s'adapte dans les situations stressantes.
Nous retiendrons pour la présente recherche que les
styles de coping correspondent à des modes habituels de réponse
face aux situations stressantes de la vie courante. Globalement, l'étude
du coping réfère à l'examen des différentes
manières de faire face au stress ou à la façon de
s'ajuster aux situations problématiques. Guimond-Plourde (2004) affirme
qu'il n'y a pas de coping sans stress, ni de stress extérieur au coping
; ces deux termes sont indissociables, car à l'expérience du
stress correspond le coping. D'où l'importance accordée aux
concepts de « stress » et de « coping » dans le discours
scientifique en rapport avec la santé mentale, le bien-être et
l'épanouissement humain.
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La gestion du stress est même devenue une
compétence reconnue par l'Organisation Mondiale de la Santé comme
un élément influent dans la promotion de la santé et du
bien-être (OMS, 1998). En effet, une des principales
caractéristiques du développement humain consiste à
être en mesure de s'ajuster au stress (Compas, 1987) : savoir
réagir face à l'adversité fait partie de l'apprentissage
d'un individu, et les stratégies d'ajustement peuvent faire l'objet
d'enseignement, à la différence des mécanismes
inconscients de défense. Dès lors, les recherches menées
sur le stress et le coping des jeunes, qui étaient moindres que celles
portant sur les adultes, connaissent désormais une nette expansion
(Guimond-Plourde, 2004), en vue de former cette frange de la population
à développer des stratégies de réponses
adéquates aux situations stressantes.
Frydenberg et Lewis (1993) se sont particulièrement
intéressés aux styles de coping utilisés par les jeunes,
et ont développé l'échelle de coping pour les adolescents.
Ils inventorient chez eux, trois groupes de styles de coping : le style
productif, le style non productif et le style référence aux
autres. Le style productif serait le plus fréquemment utilisé par
les adolescents québécois, suivi par le style non productif et
finalement, le style référence aux autres. Dans une autre
étude publiée en 2003, portant sur de jeunes Australiens,
Colombiens, Allemands et Palestiniens, Frydenberg et son équipe ont
aussi noté que le style de coping le plus souvent observé chez
les jeunes, est en relation avec le type et le niveau de stress vécu
(cité dans Bergevin, 2012).
Récemment en Côte d'Ivoire, les résultats
obtenus par Ehoussou (2015) indiquent l'existence d'un stress scolaire chez des
élèves en fin de cycle du secondaire, sans pour autant mettre en
relation ce stress et le style de coping des élèves. Certes,
avoir une connaissance du niveau de stress scolaire ressenti par les
élèves de troisième et terminale est très
intéressant en raison des enjeux liés à ces classes
d'examen. Mais à notre sens, étant donné que les
recherches scientifiques
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ont démontré la dimension indissociable du
stress et du coping, il faudrait pousser l'étude du stress des
élèves en fin de cycle secondaire plus loin et y rajouter
l'analyse du coping, pour envisager des différences de niveau de stress
scolaire en fonction des styles d'ajustement utilisés.
D'où les préoccupations suivantes autour
desquelles seront axées nos investigations : quels sont les styles de
coping fréquemment utilisés par les élèves de
troisième et de terminale pour réguler leur stress ? Le niveau de
stress scolaire de ces élèves varierait-il en fonction du style
d'ajustement qu'ils ont l'habitude de mobiliser ?
Les réponses à ces interrogations aideront
à enrichir les connaissances relatives au lien entre les styles de
coping et le stress scolaire chez les élèves en fin de cycle de
l'enseignement secondaire. Au niveau social, ce travail pourrait contribuer
à susciter une prise de conscience chez les différents acteurs du
système scolaire, sur la question du stress en milieu scolaire. Par
ailleurs, une telle étude aiderait à identifier les habitudes
d'adaptation favorisant une réduction du niveau de stress scolaire, et
à en faire la promotion auprès des élèves en classe
d'examen et des dirigeants du système éducatif. Au plan
professionnel, cette recherche peut servir de cadre de réflexion aux
intervenants du milieu scolaire, entre autres les conseillers d'orientation
psychologues, en vue de développer des actions d'accompagnement et
d'éducation pertinentes en gestion de stress scolaire. En
conséquence, la présente recherche étudiera la relation
entre les styles de coping des élèves en classe de
troisième et terminale et leur niveau de stress scolaire.
Le problème de recherche ayant été
identifié, il est d'usage de présenter le cadre théorique
choisi pour appréhender les variables à l'étude. Cette
présentation des fondements théoriques de notre travail sera
l'objet du chapitre suivant.
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