CHAPITRE I : DE LA CONCEPTION ACTUELLE DES SANCTIONS
INTERNATIONALES
Aborder la question de la sanction dans sa conception actuelle
aurait aussi pour exigence de remonter aux origines de celle-ci, qui
reviendrait à se tourner vers les origines de l'humanité,
qu'elles soient mystiques, tribales ou bien étatiques. Aux origines
philosophico-religieuses de l'humanité, la pénitence fait partie
des fondements de l'âme humaine. Pour le christianisme, la toute
première référence à la sanction n'est-elle pas
cette damnation éternelle du Jardin d'Eden pour avoir transgressé
un commandement divin?8 L'ordre suprême étant
violé, le châtiment devient exclusion du Paradis.9 De
même, pour punir les hommes de leur irrésistible penchant pour le
mal et la violence, Dieu décida de la punition suprême en
déchaînant le Déluge pendant quarante jours et quarante
nuits, n'épargnant que Noé et sa famille, les seuls à lui
être restés fidèles.10
Sans aller dans l'étymologie du terme sanction, celles
qui sont en question dans ce travail correspondent aux actions menées au
niveau des Nations Unies suite à la violation par un Etat d'un droit
objectif de la communauté internationale. Compris dans ce cadre, le
droit objectif principal de la communauté international est celui du
maintien de la paix par le mécanisme de la sécurité
collective.
D'où, il faut, dans la suite de notre rédaction,
entendre les sanctions comme les actions menées par la communauté
internationale lorsqu'un Etat menace la paix et la sécurité
internationales, objet principal que poursuit depuis sa création
l'ONU.
De cette manière, on doit s'interroger sur la
conception actuelle des sanctions et cela implique qu'on se demande comment la
Société internationale perçoit-elle la sanction, mieux
qu'est-ce qu'elle? (Section I), et comment
diffère-t-elle des autres mesures ou attitudes coercitives qui existent
dans les relations internationales? (Section II).
8BAUCHOT(B.), Sanctions pénales
nationales et droit international, Thèse de doctorat,
Université Lille 2 - Droit et santé Ecole doctorale n ° 74,
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales. 2007, p.5.
9 Livre de Genèse II et III, Ancien Testament.
10Ibidem, VI et VII.
8
SECTION I : DEFINITION DE LA SANCTION
INTERNATIONALE
Il nous parait impérieux en prélude de
préciser que ce terme ou mot ne fait l'objet d'aucune définition
légale. Nulle part dans la Charte des Nations Unies, il est fait mention
de ce terme. Dans la Charte, on utilise le terme « mesures
», laquelle est perçue par la doctrine comme la
sanction.
A l'article 39 de la Charte, il est prévu que :
« Le Conseil de sécurité constate l'existence d'une
menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et
fait des recommandations ou décide quelles mesures seront
prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir
ou rétablir la paix et la sécurité11.
»
Il ressort de la lecture de cet article qu'à l'instar
du droit interne, le droit international prévoit un régime
juridique de sanctions pour ne pas rester au stade des déclarations de
bonnes intentions. Le fondement juridique des sanctions en droit international
loge donc dans le chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
La notion de sanction est évidemment très
débattue en droit international public. Une première
doctrine12 considère que la notion de sanction est
étroitement associée à celle de droit. Pour celle-ci, le
droit n'existe que parce qu'il y a sanction. C'est la théorie dite de
l'effectivité du droit par l'existence de la sanction. Une
deuxième doctrine13 en revanche estime que la sanction permet
de garantir l'application du droit, mais qu'elle ne conditionne pas son
existence même. Elle développe la théorie dite de
l'efficacité du droit par l'adjonction de la sanction.
Dans tous les cas, la sanction vient répondre à
un acte illicite au regard du droit international. Le droit international
distingue également les représailles et les rétorsions,
toutes deux mises en oeuvre par les Etats de façon «
décentralisée », c'est-à-dire hors du cadre d'une
juridiction ou organisation internationale. Là encore, les distinctions
sont nombreuses, et nous y reviendrons avec détail dans la
deuxième section du présent chapitre.
11 Article 39 de la Charte des Nations Unies
12 Lire Hans Kelsen et John Austin.
13 A l'instar de Monique Chemillier-Gendreau, Louis
Cavaré ou encore Prosper Weil. Cités dans AUSLENDER (J.), Les
sanctions non-militaires des Nations-Unies : fondements, mise en oeuvre et
conséquences pour les Etats-tiers et les droits de la personne.
Thèse de Doctorat en Droit International Public, septembre 2006, p.
9.
9
Mais, on peut dans l'ensemble considérer que «
Là où les représailles apportent une réponse
illicite à un acte illicite préalable, les rétorsions,
elles, répondent de manière licite à un acte
préalable, licite ou illicite. La distinction entre les deux types de
mesures ne se fonde pas sur la légalité de l'acte auxquelles
elles répondent mais sur la nature, licite ou non, de la
réponse».
La notion de sanction est floutée, et la pratique l'est
encore plus. Dans l'opinion, sont considérées comme sanctions,
toutes réactions à un acte ou à une attitude jugée
déplaisant. Aussi, dans cette étude, centrée sur la
pratique, il est retenu une acception assez large, tout en excluant les actions
purement militaires (qui sont cependant considérées comme des
sanctions au regard de l'article 42 de la Charte des Nations Unies) et les
sanctions dues à des infractions dans certains secteurs particuliers.
Seront donc entendues comme sanctions des actions
internationales coercitives, sans emploi de la force armée. Nous allons
donc considérer que les actions mises en place par des Etats hors du
cadre des institutions internationales s'apparentent bien à des
sanctions mais n'en sont pas.
Mampuya écrit, que les sanctions sont des mesures
décidées et mises en oeuvre par la communauté
internationale, ou à son initiative, dans le cadre du maintien de la
paix et de la sécurité internationale et donc des mesures
collectives prises dans le cadre d'une Organisation Internationale
conformément à la Charte des Nations Unies14. Pour lui
donc, la sanction de façon générale, est la
conséquence attachée à la violation d'une obligation ou
d'une règle de droit.
Elle désignerait en même temps les effets
juridiques de la violation d'un devoir. Ainsi, le Professeur Abi-saab pense
dans la même logique que par sanction, il faut entendre toute mesure
prise en application d'une décision d'un organe social compétent
pour faire face à la violation.15
Pour notre part et suivant l'esprit qui anime la
société internationale, nous définissons la sanction comme
étant la réaction d'une autorité, supérieurement
établie et
14 MAMPUYA KANUNK'a-TSHIABO(A) et LUNGUNGU
KIDIMBA(T), Les sanctions ciblées américaines violent le
droit international : mesures contre des responsables congolais, Kinshasa,
éd. PUC, p.6.
15 ABI-SAAB(G), Cours général de
droit international public, cité par MAMPUYA KANUNK'a-TSHIABO(A) et
LUNGUNGU KIDIMBA(T), op.cit., p.286.
reconnue, à la violation d'une obligation par un de ses
assujettis. Elle est, dans ce cas, une mesure de contrainte que peut prendre
l'ONU vis-à-vis d'un Etat quand cet Etat enfreint les règles
internationales. Elle ne renverrait pas à l'ensemble des mesures
diplomatiques, économiques ou militaires prises par l'Etat ou par une
organisation internationale pour faire cesser une violation du droit
international qu'une organisation a constatée ou dont un Etat s'estime
victime.
Cependant, il s'observe actuellement des mesures qui se
décident contre des Etats, loin du cadre de l'ONU et qu'on a appelle
à tort sanction. On voit des organisations internationales autres que
l'ONU prendre des mesures qu'elles appellent sanctions à l'encontre des
Etats non-membres et des Etats qui adoptent des mesures qui pour eux sont des
sanctions contre d'autres Etats souverains comme eux. Il sied ici de
démontrer, si pareille mesures méritent la qualification des
sanctions suivant l'esprit du droit international et selon les
définitions ci-haut avancées sur les sanctions en droit
international.
Il ressort de toutes les définitions
étalées ci-dessous que la sanction renferme l'idée que
celle-ci ne doit être décidée que par une autorité
supérieure (Paragraphe I) à celui contre qui
ladite sanction se prend, et qu'elle n'est envisageable qu'en cas de violation
d'une obligation internationale (Paragraphe II).
PARAGRAPHE I : NECESSITE D'UNE AUTORITE SUPERIEURE
La sanction est une conséquence provoquée par
une certaine manière d'agir et impliquant un ordre en vue de faire
respecter les prescriptions de la norme enfreinte. La transcription en langage
juridique de ces observations signifie que la sanction en droit, c'est le
constat de conformité ou de non-conformité à la norme des
actes ou faits qui donnent lieu à interprétation.
Dans ce sens, la qualification juridique existe en droit
international public et de même en est-il de la sanction. Un acte ou un
fait peut être qualifié de licite ou d'illicite selon sa
conformité avec les normes juridiques internationales. Cette
qualification relève de la compétence de l'État (au niveau
national ou dans la société nationale), des organes
nommément désignés d'une organisation internationale, le
Conseil de sécurité (dans le cadre de l'ONU) et
exceptionnellement des juridictions internationales. Cependant, puisque ne sont
développés dans
11
ce travail que les sanctions politiques, nous n'aborderons
point celles des juridictions internationales et des autorités
nationales.
Par ailleurs, comme déjà dit, nous nous
limiterons ici aux sanctions adoptées dans le cadre de l'ONU.
D'où, l'intérêt de rechercher et déterminer dans et
de par la Charte de l'ONU, l'organe qui a reçu compétence pour
qualifier de menace contre la paix et la sécurité internationale
les actes et ou faits des Etats, et par ricochet, de sanctionner les Etats
membres en cas de manquements avérés à leurs obligations
souscrites dans la Charte. Précisons que l'ONU se trouve à ce
jour être l'organisation internationale qui rassemble quasiment tous les
Etats du monde.
A. Autorité compétente de par la Charte
de l'ONU
Suivant les Articles 24,39 et 41 de la Charte de l'ONU, le
Conseil de sécurité est la seule entité habilitée
à adopter des sanctions à l'endroit des Etats-membres.
L'article 41 note que: « le Conseil de
sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas
l'emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet
à ses décisions...»16.
Charles Chaumont et Frédérique Lafay ont, pour
leur part, écrit que les attributions du Conseil de
sécurité se résument dans « la
responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales ». Cette responsabilité
explique les deux catégories essentielles de compétences du
Conseil pour le règlement des conflits entre Etats et pour la lutte
contre l'agression17.
Ils poursuivent en disant, s'agissant de sa deuxième
compétence, de la lutte contre l'agression, que le Conseil de
Sécurité a reçu pouvoir de déterminer, dans chaque
cas, s'il y a menace contre la paix, rupture de la paix ou agression. Une fois
cette détermination faite, il peut prendre des mesures pour mettre fin
à l'agression. Certaines de ces mesures ont une nature autoritaire, et
peuvent aller jusqu'à mettre en mouvement des forces armées
d'Etats membres, selon des modalités qui, d'après la Charte,
devraient être prévues dans des accords spéciaux.
16 Article 41 Charte des Nations u3nies.
17 CHAUMONT(C.) et LAFAY (F.), Que sais-je ?
L'O.N.U., 15èmeédition, Paris, PUF, 1997, p.30
Par cette disposition, les Nations Unies détiennent
donc, par le biais du Conseil de Sécurité, dans la
société internationale, à l'instar de l'Etat dans la
société interne ou nationale,
12
Le Conseil de sécurité des Nations Unies, en
tant qu'organe chargé du « maintien de la paix et de la
sécurité internationales », dispose d'un pouvoir quasi
illimité pour sanctionner les Etats qui auraient commis un acte
illicite.
Selon le § 1er de l'article 24 de la Charte
des Nations Unies, le Conseil de sécurité est l'organe
chargé du « maintien de la paix et de la sécurité
internationales ». Il se trouve donc être l'organe de
l'exécutif international et siège de manière permanente
à New York. Soulignons, par ailleurs qu'une séance du Conseil
peut être convoquée dès le début d'une crise
internationale. En outre, ce dernier est compétent pour qualifier des
situations de menaces à la paix et est le seul qui puisse imposer des
sanctions internationales obligatoires à tout Etat qui entraverait la
quiétude internationale et ce, en vertu du Chapitre VII de la Charte.
La notion de sanction ne renvoie pas nécessairement
à une « punition » à proprement dit. Elle est aussi un
moyen de faire cesser un acte illicite. Ainsi, l'imposition de sanctions
obligatoires permet d'exercer une pression sur un État afin qu'il se
conforme aux objectifs fixés par le Conseil de sécurité,
sans qu'il soit nécessaire de recourir obligatoirement à la force
armée. Pendant la période de la guerre froide, de 1945 à
1990, le Conseil a utilisé à deux reprises son pouvoir de
sanction, contre la Rhodésie en 1968 puis l'Afrique du Sud en 1977.
Celles-ci se sont multipliées depuis la disparition du bloc
soviétique et la fin de la bipolarisation Est/Ouest des relations
internationales.
C'est donc l'article 39 qui constitue la base juridique qui
donne pouvoir au Conseil de sécurité de constater la violation du
droit international et, par la suite, en vertu des articles 41 et 42, pour
adopter l'une des différentes sanctions qui y sont prévues. Se
trouvant à ce jour la seule organisation internationale regroupant
quasiment tous les Etats du monde, l'ONU, a par ses membres, reconnus comme
seule autorité habileté à agir en leur nom, le Conseil de
Sécurité. Cela avec comme conséquence qu'aucun autre
organe, de l'ONU soit-il, ne peut s'arroger le pouvoir de sanctionner
universellement un autre Etat membre que ce soit dans le cadre du
système onusien de la sécurité collective ou
unilatéralement. Et donc, si cela arriver, ce ne sera alors pas une
sanction dans l'esprit de la Charte.
13
le monopole de l'emploi de la force armée et non
armée sous réserve bien entendu du droit naturel de
légitime défense et de l'hypothèse de contre-mesures.
Dans le même ordre d'idées, le duo
Mampuya-Lungungu étaye en écrivant que c'est pour cela qu'un
Etat, même s'il dispose de moyens politiques et militaires importants et
suffisants pour sanctionner, seul et unilatéralement un autre Etat, est
appelé à se référer au Conseil de
Sécurité en vue d'obtenir de celui-ci qu'il agisse dans le sens
favorable à sa cause ou en vue qu'il obtienne l'aval et l'autorisation
de cet organe de l'ONU18.
Ils relèvent par cette position que les
créateurs de Nations Unies ont préféré le
multilatéralisme à l'unilatéralisme.
Il nous parait impérieux de préciser à ce
niveau déjà que quoique reconnu comme la seule autorité
apte à pouvoir sanctionner les Etats dans la société
internationale, le Conseil de Sécurité ne jouit pas de ce fait,
de la latitude de sanctionner les Etats comme il entend. Il peut
procéder de la sorte que dans l'hypothèse où l'Etat
contreviendrait à une obligation internationale à sa charge.
Attitude qui péricliterait la paix et la sécurité
internationales.
|