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Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.par Gaëtan Jouve Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019 |
Section 2. L'unification globale, l'approche unitaire par définition.L'idée est de retenir une définition basée sur la fonction de toutes sûretés. Dès lors, tout mécanisme présent ou futur inventé pour servir de sûreté ne pourrait qu'être soumis au régime préexistant. Cette approche, que l'on qualifiera de « fonctionnelle est souvent évoquée comme étant caractéristique du droit des sûretés réelles en common law nord-américaine85 ». Adopter 80Articles L. 142-4 du Code de commerce : « L'inscription doit être prise, à peine de nullité du nantissement, dans les trente jours suivant la date de l'acte constitutif ». 81Étienne GENTIL,« problématique des investisseurs finance et droit des sûretés », préc., p. 106. 82Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr. 20. 83Michel Grimaldi, Denis Mazeaud, Philippe Dupichot, « Présentation d'un avant-projet de réforme des sûretés », Dalloz actualité, 3 Oct. 2017, accessible en ligne : https://www.dalloz-actualite.fr/chronique/presentation-d-un-avant-projet-de-reforme-des-suretes#.XVl_UOgzZY 84Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 9. 85Yaëll EMERICH, «La nature juridique des sûretés réelles en droit civil et en common law: une question de tradition juridique? », RJTUM, 2010, n° 44-1, p. 99 et s. cette approche suppose des bouleversements conséquents en droit positif français. Se ranger à cette vision de la matière c'est adopter une définition particulière de la notion de sûreté, où il serait moins question de mettre l'accent sur la qualification formelle d'une transaction que sur son effet concret et sa fonction de garantie. À l'inverse, le droit civil est souvent décrit comme la demeure d'une approche essentialiste, notionnelle ou conceptuelle axée sur la nature juridique de la transaction86. Toutefois si la réforme peut paraître ardue elle n'a rien d'impossible. Citons l'étude comparative de Yaëll EMERICH qui nous met en garde contre la tentation de se fier à une représentation caricaturale de l'opposition entre ces deux approches. En effet, il faut bien admettre que l'opposition entre l'approche fonctionnelle et l'approche conceptuelle n'est pas seulement une question de tradition87. L'auteur fait remarquer que chaque système juridique s'est frayé un chemin à travers ces deux types d'approches88. Pour appuyer ses dires, elle évoque l'exemple de la réforme du droit des sûretés québécois, un système civiliste qui a su faire une place croissante à l'approche fonctionnaliste89. Pour en revenir aux déboires du droit français, il suffit de s'intéresser à ses problématiques de qualifications, qui sont récurrentes dans les ordres juridiques qui privilégient une approche notionnelle. Ainsi le droit français prête-t-il des conséquences importantes à la qualité du constituant. Avant 2006, si un droit réel sur chose fongible était constitué par un commerçant, il fallait impérativement soumettre cette opération garantie au régime du gage des stocks prévu par le code de commerce. À l'inverse, la même opération qui verrait un constituant non professionnel s'engager devait être soumise au régime du gage sur chose fongible prévue par le droit commun au sein du Code civil. Cet exemple montre comment un ordre juridique peut préférer attacher des conséquences juridiques à la qualification particulière d'une opération garantie, plutôt qu'à ses effets. Plus que la fin (garantir une obligation) c'est le moyen (gage de droit commun, warrant, gage des stocks, etc.) qui conditionne l'application de telle ou telle règle de droit. Cette approche n'est pas dénuée d'intérêt, on peut être tenté par cette idée d'un droit des sûretés à la carte. Le législateur pourrait par exemple considérer que le pacte commissoire est une stipulation trop dangereuse qu'il faudrait écarter des sûretés constituées par des non-commerçants90. Trêve d'ironie, tel bien n'est pas si différent de tel autre. D'aucuns diraient qu'il est fondamentalement possible de soumettre les meubles corporels et incorporels à un seul et même régime91. D'aucuns diraient que la spécificité des stocks en tant que bien ne 86Ibid., même si dans son étude Yaëll EMERICH prend l'exemple du droit civil québécois, par bien des égards la description qu'elle en fait est transposable au droit civil français. 87Yaëll EMERICH, «La nature juridique des sûretés réelles en droit civil et en common law: une question de tradition juridique? », préc., p. 140. 88Ibid. 89Ibid. 90En matière de gage sur stocks, l'ancien article L527-2 du code de commerce prohibait tout pacte commissoire. Il a fallu attendre l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 relative au gage des stocks pour que cette pratique soit autorisée par le droit spécial du gage des stocks. Dans le même temps, le droit commun du gage permettait une sûreté comparable au gage des stocks via le gage sur chose fongible. À la différence, qu'étant placé sous l'égide du droit commun, le gage sur chose fongible permettait le recours à un pacte commissoire. Les constituants non commerçants étaient donc moins protégés par le législateur que les constituants commerçants. Ce paradoxe qui appartient aujourd'hui à l'histoire du droit doit nous amener à relativiser l'argument selon lequel une prolifération de régimes spéciaux permettrait de répondre à des besoins spécifiques. Bien souvent, une telle approche créait plus d'incohérence que d'adaptabilité. 91Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 11. justifie pas que l'on succombe à la « tentation du régime spécial »92. Selon la CNUDCI, « l'ensemble des opérations qui font naître un droit sur tout type de bien en garantie de l'exécution d'une obligation (c'est-à-dire qui remplissent une fonction de sûreté) devraient être considérées comme des opérations garanties et régies par les mêmes règles ou tout du moins, par les mêmes principes93 ». Nous ajouterons qu'au rang de ces principes communs doit obligatoirement figurer une unique formalité obligatoire de publicité. Permettre qu'il existe des sûretés qui ne disent pas leur nom en dehors de la définition retenue par un ordre juridique peut revenir à les soustraire purement et simplement aux formalités obligatoires de publicité. Ou à minima, cela revient à détacher l'obligation de publicité des garanties accordées aux créanciers de la notion de sûreté. Or on ne comprend pas pourquoi un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilières devrait souffrir de cette complexification inutile alors même que toutes les opérations reposant sur l'affectation d'un meuble à la garantie d'une obligation devraient d'office être soumises à une publicité obligatoire. Car c'est le péril que représentent les droits réels occultes qui justifie l'impératif de la publicité et non la qualification formelle accordée à tel ou tel mécanisme. Ainsi l'absence de publicité des propriétés sûretés sans dépossession en droit français à vocation à fournir de manière récurrente son lot de conflits et de dilemme insoluble. En effet « Si la réserve de propriété puis la fiducie-sûreté ont été consacrées par la loi, le législateur n'a néanmoins prévu aucun régime de publicité pour ces sûretés lorsqu'elles portent sur des meubles.94 » Or « À défaut d'une inscription sur registre public, les tiers ne peuvent connaître l'existence de la propriété-sûreté sans dépossession95 ». Une définition unitaire de la notion de sûreté aurait le mérite de rattacher les propriétés sûretés au régime de la publicité. Ces mécanismes ainsi que tous les autres susceptibles d'être inventés par la pratique ou par le législateur, devraient, dans un souci de prévisibilité, être soumis par avance à une inscription obligatoire96 sur un registre global des sûretés mobilières. 92Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », préc., p. 150. 93« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 24, paragr. 62. 94Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté réelle globale », th. préc., paragr. 160. 95Ibid. 96Sous peine d'inopposabilité. |
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