- CHAPITRE 3 -
L'APPROCHE GLOBALE ET FONCTIONNALISTE DE LA NOTION DE
SÛRETÉ.
Selon Étienne GENTIL, « L'un des
reproches qui est fait au régime des sûretés réelles
français est son caractère éclaté et disparate,
avec de nombreux types de sûretés différents, chacune sujet
à son propre régime, à sa propre documentation et à
ses propres règles de publicité et/ou
d'opposabilité75 ». Outre la première
remarque ici faite quant aux manques de lisibilité chroniques qui existe
en droit des sûretés français, le propos de cet auteur doit
attirer l'attention en raison du lien direct qu'il fait entre
l'éclatement de la matière et les difficultés que cela
implique vis-à-vis des formalités obligatoires de
publicité.
Ainsi apparaît-il qu'un système de la
publicité des sûretés réelles mobilières
gagnerait grandement en efficacité si l'ensemble de la matière
pouvait bénéficier d'une conception unitaire. Autrement dit, il
faudrait réunir sous un régime-cadre les différentes
garanties existantes afin de les soumettre à un ensemble de normes
communes et à des formalités obligatoires de publicité
harmonisée.
Partageant ce souhait, dans une certaine mesure, Pierre
CROCQ a pu regretter que le législateur n'ait pas su profiter de la
réforme de 2006 pour « adopter un droit commun de la
publicité applicable au moins à toutes les sûretés
réelles mobilières et, si possible, susceptible d'être
étendu, en respectant leurs particularismes, aux sûretés
sur les fonds ou aux sûretés sur certains meubles incorporels
».
Outre la simple question de la publicité,
Jean-François RIFFARD va plus loin et présente, « la
caractéristique commune d'être construits autour d'un
système unitaire de sûretés mobilières
conventionnelles76 » comme un préalable
nécessaire à toute harmonisation du droit des
sûretés avec les standards internationaux de modernité et
d'efficacité.
On remarque que ces deux auteurs sont tous deux
favorables à l'harmonisation bien qu'ils l'envisagent à des
degrés différents.
En optant pour une approche « purement
transsystémique », le groupe 6 de la CNUDCI, dont
Jean-François RIFFARD est membre depuis 2002, a donné naissance
à un modèle pragmatique et fonctionnel d'efficacité en
matière de sûreté mobilière. Ce modèle est
détaillé dans les divers documents de la CNUDCI que nous avons pu
citer au cours de cette étude. Lors du présent chapitre, nous
nous prononcerons en faveur d'un degré d'harmonisation maximale. Nous
nous intéresserons au champ d'application des recommandations de la
CNUDCI, à savoir le modèle « de la sûreté
unique dont le régime est suffisamment large et souple pour couvrir
l'ensemble des hypothèses de sûretés réelles
mobilières77».
Afin d'obtenir ce résultat : une
sûreté unique assortie de formalités obligatoires de
publicité invariable, Jean-François RIFFARD propose deux
méthodes. La première consiste en la consécration d'un
numerus clausus, la sûreté dont le régime est défini
par la loi, étant la seule reconnue78 (Section 1). La seconde
« englobante » et « téléologique
» fait appel à la « théorie
générale de ce qui constitue une sûreté
mobilière79» propre à la vision
75Étienne GENTIL, « problématique des
investisseurs finance et droit des sûretés », Revue
d'économie
financière, association d'économie
financière, 2018, n° 129, p. 106.
76Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation
internationale des droits des sûretés mobilières : ne
ratons pas le
train ! », préc., paragr. 3.
77Ibid., paragr. 9.
78Ibid.
79Ibid. paragr. 4.
fonctionnaliste de la matière (Section 2). Elle
revient à lier inextricablement l'application du nouveau régime
à la fonction de sûreté, si bien qu'aucun mécanisme
futur naissant pour remplir cette utilité économique ne saurait
échapper à l'unité. La première approche est la
plus facile à mettre en oeuvre, là où la seconde,
malgré les difficultés qu'engendrent tout bouleversement
révolutionnaire, semble être la plus adaptée sur le long
terme.
Section 1. L'unification nationale, l'approche unitaire
par soustraction.
À la question : « Pour quelles
raisons, par exemple, un nantissement de fonds de commerce devrait-il
être nul s'il n'est pas enregistré dans les trente jours de sa
création80 (...) alors que ce n'est pas le cas pour d'autres
sûretés ?81 », le juriste peine à
fournir une réponse cohérente. Et pour cause, comme le fait
remarquer Étienne GENTIL « Ces différences de
régime ont des fondements essentiellement historiques
».
La sûreté spéciale semble
être la réponse toute trouvée du législateur
à chaque fois qu'une difficulté se présente en la
matière. Ainsi il faut rappeler que les gages et les nantissements
spéciaux « n'avaient été antérieurement
créés que parce que le gage supposait la
dépossession82».
Bien conscients de la nuisance que représente
cette prolifération de régimes spéciaux, même les
auteurs les plus modérés s'accordent à souhaiter la
suppression des mécanismes les plus archaïques. Ainsi l'association
Henri Capitant recommande de « tirer les conséquences de la
modernisation du droit commun du gage opérée en 2006 en
supprimant des régimes spéciaux rendus inutiles (warrant
hôtelier, warrant industriel, gage commercial, etc.)83
».
Toutefois, la soustraction ne suffit pas. Comme le
fait remarquer Jean-François RIFFARD, « C'est là une
démarche classique, et donc rassurante, mais qui présente le
risque de voir ce numerus clausus être par la suite contourné par
la pratique, voire remis en question par le législateur
lui-même84 ». Autrement dit, on aura beau obtenir de
haute lutte la suppression de tel ou tel mécanisme désuet, rien
n'empêchera le législateur d'en créer de nouveaux. En
effet, personne n'avait demandé la consécration du gage des
stocks avec dépossession et pourtant le législateur l'a fait. En
outre, la pratique a su démontrer son imagination en termes de
mécanisme de garantie inovant. Voilà pourquoi, la seconde
approche, apparaît comme une solution plus durable.
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