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Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.par Gaëtan Jouve Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019 |
- CHAPITRE 2 -LA DISTINCTION ENTRE CONSTITUTION ET OPPOSABILITÉ D'UNE SÛRETÉ. La CNUDCI retient trois approches pour décrire les normes que les différents ordres juridiques peuvent avoir vis-à-vis de la constitution des droits réels. « Selon une première approche, une sûreté réelle mobilière dûment constituée sur un bien non seulement produit effet à l'égard du constituant, mais est aussi automatiquement opposable à tous les tiers qui revendiquent un droit sur le bien65 ». « Selon une deuxième approche, la sûreté réelle mobilière ne produit d'effet qu'à l'égard du constituant et un acte supplémentaire (...) est exigé pour la rendre efficace à l'égard des tiers qui revendiquent des droits sur le bien66 ». Enfin selon une troisième approche « une sûreté réelle mobilière produit généralement effet à l'égard de toutes les parties dès sa constitution, à l'exception des autres créanciers garantis. Ainsi, aucun acte supplémentaire n'est nécessaire pour la rendre opposable aux tiers hormis les autres créanciers garantis67. » Il est assez délicat de faire un rapprochement entre le droit français et l'une de ces approches décrites par la CNUDCI, car notre ordre juridique national manque d'une approche unitaire de la question de l'opposabilité. Ainsi, si certaines sûretés, tel le gage de droit commun, sont aisément assimilables aux bénéfices de la seconde approche (Section 2), on constate que des exemples comme celui de la fiducie sûreté doivent être rattachés aux défauts inhérents à la première approche (Section 1). Section 1. La Fiducie sûretés et les écueils de la première approche.La première approche décrite par la CNUDCI se caractérise par la confusion que certains États opèrent entre constitution et opposabilité d'une sûreté. On peut également parler de confusion entre efficacité de la sûreté entre les parties et efficacité de la sûreté à l'égard des tiers. En France, il existe bien un registre national des fiducies cependant, ce registre n'a aucunement vocation à assurer la publicité des droits des créanciers garantis. En effet, ce registre n'est même pas accessible au public68. Dès lors, on constate qu'une fiducie valablement constituée sur un bien meuble a tous les défauts d'une sûreté occulte au regard de la protection des intérêts de tout type de tiers. Elle est de surcroît dangereuse pour le créancier garanti lui-même. L'arbitrage qui doit forcément être opéré entre les intérêts divergeant du créancier garanti et du tiers peut très bien se solder par le sacrifice des intérêts du créancier. Comme nous l'avons vu plus haut, il existe une voie divergente en doctrine quant à la portée de l'article 2276 du Code civil. En l'espèce si un fiduciant aliène un bien nonobstant son affectation en garantie, le tiers acquéreur fera bien une acquisition « a non 65« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 69, paragr. 2. 66Ibid., paragr. 3. 67Ibid., paragr. 4. 68« Sont autorisés à accéder aux données mentionnées à l'article 2 les agents de la direction générale des finances publiques chargés de la mise en oeuvre du traitement individuellement désignés et spécialement habilités à cette fin. », article 4 du décret n° 2010-219 du 2 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Registre national des fiducies », accessible en ligne sur le site de Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do? cidTexte=JORFTEXT000021902741&categorieLien=id domino » que la prescription acquisitive de cet article a vocation à protéger dans l'intérêt du commerce. En outre, l'argument de Roman BOFFA selon lequel la prescription acquisitive d'un bien ne purge pas ce dernier des droits réels accessoires préexistants est inopérant en matière de propriété sûreté, car par définition le droit ancien et le droit nouvellement acquis ne peuvent coexister en cette hypothèse. Il apparaît que l'absence de publicité en matière de propriété sûreté crée un abîme d'insécurité juridique. Il semble difficile pour le juriste d'assurer aux créanciers garantis qu'ils auront le dernier mot en cas de litige si rien n'a été fait pour organiser la publicité de cette sûreté. C'est pourquoi dès l'apparition de ce dispositif Pierre CROCQ a recommandé de se passer purement et simplement de la fiducie sûreté sans dépossession69. Plus récemment Dominique LEGEAIS a exprimé les mêmes réserves « Le bénéficiaire de la fiducie-sûreté est donc sous la menace des ayants cause du constituant pouvant se prévaloir de la règle en fait de meuble, possession vaut titre lorsque la fiducie est sans dépossession 70». L'hypothèse où aucune formalité obligatoire de publicité n'est envisagée est la pire, cependant la CNUDCI rappelle qu'en l'absence de distinction entre constitution et opposabilité d'une sûreté il ne peut y avoir de solutions satisfaisantes. En effet, « Lorsque l'efficacité entre les parties et l'opposabilité ne font l'objet d'aucune distinction, les États, pour protéger les tiers, prévoient souvent de nombreuses formalités contractuelles supplémentaires qui vont bien au-delà de celles qui sont normalement requises pour qu'un contrat produise effet entre ses parties71 ». Raisonner ainsi revient à nier le rôle particulier de la publicité pour la réduire à une simple condition de forme alors qu'à l'inverse un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilière devrait privilégier la voie du consensualisme chaque fois que celle-ci est possible. L'impératif de la protection des tiers doit être totalement déconnecté des questions de protections des contractants qui bien souvent sont la raison d'être des contrats solennels. |
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