Section 2. La présomption de connaissance de la
sûreté, un pis-aller à un véritable critère
objectif.
Si les éloges que la CNUDCI fait des
systèmes où la bonne foi de l'acquéreur fait échec
au droit de suite du créancier garanti sont rares, ils sont de
surcroît critiquables. Ainsi la CNUDCI souligne qu'« Un argument
en faveur de cette approche est que la notion de « bonne foi »
est connue de tous les systèmes juridiques et qu'elle a
déjà été très souvent
51 Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité
du gage sans dépossession de droit commun », préc., paragr.
18. 52Romain BOFFA écrit en 2007, c'est donc à l'ancien article
2279 qu'il fait référence. Aujourd'hui, la règle « en
fait de meubles possession vaut titre » loge à l'article 2276 du
Code civil (depuis le 19 juin 2008).
53Romain BOFFA, « L'opposabilité du
nouveau gage sans dépossession », Recueil Dalloz, 2007, p.
1161, paragr. 19.
54Ibid.
55Ibid. paragr. 14.
56Ibid. paragr. 12.
appliquée au niveau tant national
qu'international57 ». Nous émettons un doute
à ce sujet, en nous accordant à la démonstration de Romain
BOFFA, nous concluons que la notion de bonne foi est sujette à
interprétation. Dès lors, nous nous intéresserons qu'au
critère de la connaissance de la sûreté par le tiers, un
critère qui fait moins débat que la notion de bonne foi. Car si
la bonne foi est certes universellement partagée au sein des
différents ordres juridiques elle n'en demeure pas moins
protéiforme.
Démontrons brièvement pourquoi il faut
exclure la bonne foi du débat de l'opposabilité.
Interrogeons-nous. Pour être de mauvaise foi, suffit-il que l'on
contracte en pleine connaissance de l'existence d'une sûreté ou
faut-il nécessairement que l'on contracte en sachant que l'on bafoue une
interdiction d'aliéner stipulée par ladite
sûreté58 ? Évidemment, la réponse des
différents ordres juridiques ne sera pas unanime, la réponse
apportée par la CNUDCI relevant elle-même d'un parti pris
dommageable quant à un idéal d'harmonisation des droits des
sûretés.
Maintenant que nous avons mis la bonne foi à
l'écart, analysons le corps de la critique proposé par la CNUDCI.
En droit français un acheteur de biens meubles corporels obtient ceux-ci
libres de toute sûreté s'il n'avait pas connaissance de la
sûreté les grevant. Toutefois, cette situation d'apparence
intenable ne se présentera que rarement dans la mesure où
l'accomplissement des formalités obligatoires de publicité
emporte une présomption de connaissance de l'acte par les tiers. Cette
fiction bien commode est de la même veine que l'adage bien connu, «
nemo censetur ignorare lege », ainsi en France chaque
consommateur devrait avoir une connaissance exhaustive des formalités de
publicité affectant les biens qu'il achète.
Si l'on met de côté la pesanteur
économique écrasante que cette règle suppose59,
le fait que la publication d'une sûreté entraîne une
présomption de connaissance des tiers60 est sans doute un
progrès vers l'objectivité, étant donné que cette
disposition évite au moins de rechercher au cas par cas si untel
était au courant de la constitution d'une sûreté à
tel instant. Or c'est justement ce caractère subjectif, minimisé
par la présomption de connaissance, que la CNUDCI reproche aux
régimes des opérations garanties des états qui
procèdent ainsi : « Les règles de priorité qui
dépendent de la connaissance subjective peuvent compliquer le
règlement des conflits, rendant ainsi plus incertain le rang de
priorité des créanciers garantis et réduisant
l'efficacité du système61 ».
Toutefois si la règle de la publicité
emportant présomption de connaissance minimise
57« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », p. 210, paragr. 75.
58« Selon le Guide, l'acheteur de marchandises
dans le cours normal des affaires du constituant va prendre le bien libre de
toute sûreté, quand bien même elle lui serait opposable,
à moins qu'il n'ait eu connaissance au moment de la vente que celle-ci
violait les droits du créancier garanti », Jean-François
RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des
sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! »,
Revue de Droit bancaire et financier, LexisNexis, mars 2016, n°
2, dossier 11, paragr. 16.
C'est une critique que l'on put faire à la
CNUDCI. Bien qu'elle dénonce toute la subjectivité de l'exception
à l'opposabilité des droits réels qui reposent sur la
connaissance du tiers, elle n'a pas su totalement évacuer la notion de
bonne foi de son régime de la publicité des opérations
garanties. Nous reviendrons sur ce regrettable ajout plus tard dans nos
développements relatifs à la question de la priorité des
droits, grâce à la critique qu'en a fait Jean-François
RIFFARD. Voir infra., (note 245).
59On ne peut pas décemment attendre que chacun
se conforme à cette fiction. Bien plus raisonnable et pragmatique est la
règle de l'acquisition libre de tout droit réel dans le cadre du
cours normal des affaires. Une exception recommandée par la CNUDCI que
nous aurons largement l'occasion de détailler plus avant dans nos
développements.
60La publicité personnelle d'une
sûreté entraîne à minima une présomption de
connaissance de la sûreté par tous les ayants cause à titre
particulier du constituant. Autrement plus complexe est la question de
l'opposabilité de la sûreté aux sous-acquéreurs
successifs.
61« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », p. 225, paragr. 126.
les inconvénients de ce critère
éminemment subjectif, elle ne les supprime pas. On peut aisément
s'en convaincre en constatant que le texte prévoyant les
modalités de publicité des gages sans dépossession demeure
« silencieux sur le point de savoir si la connaissance effective du
gage par le tiers permet de remplacer le défaut d'accomplissement de la
publicité62 ». Un tel questionnement est, sans nul
doute, vecteur de conflit.
Voilà pourquoi il faut distinguer les
systèmes de publicité reposant sur la présomption de
connaissance des tiers dès l'inscription et les systèmes
où cette connaissance en tant que critère subjectif
problématique est tout simplement indifférente. Ainsi la CNUDCI
rappelle que « Le principe de la connaissance présumée
vaut uniquement dans un régime de priorité autorisant un tiers
qui n'a pas effectivement connaissance de l'existence d'une sûreté
à prendre le bien libre de cette dernière63
».
En nous rangeant aux recommandations de la CNUDCI,
nous considérons qu'un système efficace de la publicité
des sûretés réelles mobilière ne devrait pas se
référer à la connaissance (qu'elle soit effective ou
présumée) de la sûreté pour en conditionner
l'opposabilité et la priorité. L'inscription d'une
sûreté devrait avoir vocation à la rendre opposable
vis-à-vis de tous les tiers en mesure d'accéder au registre de la
publicité des sûretés réelles
mobilière.
Autrement dit dans un système de la
publicité idéale « la publication de la
sûreté doit avoir pour effet de la rendre opposable erga omnes et
le défaut d'accomplissement de cette formalité doit inversement
avoir pour effet de la rendre inopposable aux tiers le tout sans qu'il n'y ait
jamais à se poser la question de l'ignorance ou de la connaissance
effective de la sûreté par les tiers.64
»
62Romain BOFFA, « L'opposabilité du
nouveau gage sans dépossession », préc., paragr.
22.
63« Guide législatif de la CNUDCI sur les
opérations garanties », p. 156 paragr. 5.
64Pierre CROCQ, « Sûretés
mobilières : état des lieux et prospective », Revue des
procédures collectives, n° 6, LexisNexis, Nov. 2009, dossier
18, paragr. 20.
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