- CHAPITRE 1 -
LA NON-INCIDENCE DE LA CONNAISSANCE EFFECTIVE
La CNUDCI fait mention d'états où par
exception au principe du droit de suite, « un acheteur de biens
meubles corporels obtient ceux-ci libres de toute sûreté s'il les
achète de bonne foi49 ». Elle ajoute afin de
préciser cette notion que « Dans certains États,
l'acheteur est tenu de faire des recherches pour savoir si les biens sont
grevés d'une sûreté, tandis que dans d'autres il ne l'est
pas50 ». En somme, dans ces états décrits
par la CNUDCI la bonne foi d'un acquéreur, dont dépend la
question de savoir s'il peut ou non acquérir un bien libre de toute
sûreté, serait assimilée à sa connaissance d'une
éventuelle sûreté sur le bien en question. Nous
commencerons par nous éloigner de cette vision en soulignant le
caractère protéiforme de la notion de bonne foi grâce aux
débats doctrinaux entourant l'article 2276 du Code civil français
(Section 1). Puis nous rejoindrons la critique de la CNUDCI en plaidant pour
que connaissance présumée, connaissance effective et bonne foi
soit toutes trois écartées de la question de
l'opposabilité des sûretés mobilières (Section
2).
Section 1. L'épineuse distinction entre
connaissance de la sûreté et bonne foi au sens de l'article 2276.
La CNUDCI a vocation à proposer un droit
international efficace et uniforme via ses recommandations dont chaque
état est libre de s'inspirer à sa guise. En matière de
droit des sûretés, la documentation librement accessible de la
CNUDCI est une manne de « soft Law » dans laquelle chaque juriste
peut puiser pour mettre son propre droit national à l'épreuve.
Bien souvent, la CNUDCI évoquera des états qui adoptent telles ou
telles approches, telles ou telles visions, etc. Même si elle ne prend
pas la peine de les nommer, chacun pourra reconnaître un portrait plus ou
moins précis des ordres juridiques dans lesquels il s'est initié
au droit. En l'espèce, le critère de la bonne foi de
l'acquéreur nous évoque la vision de la publicité en droit
français.
Le droit positif français correspond-il
à la description sus-citée ? L'affirmative s'impose en
réponse à cette question et cela même si différentes
lectures de l'article 2276 s'affrontent sur le terrain de la distinction entre
connaissance de la sûreté et bonne foi de
l'acquéreur.
Pour certains auteurs, l'acquéreur de bonne foi
est une figure intouchable. Du fait de la règle, « en fait de
meuble possession vaut titre », ce tiers d'exception pourrait s'extraire
de toute règle de priorité et ne souffrir aucun concours quant
à ses droits sur la chose. Le rôle de la publicité serait,
selon cette interprétation, de faire peser sur lui une
présomption irréfragable de connaissance de la
sûreté. Dès lors que le créancier garanti aurait
observé les formalités obligatoires de publicité,
l'acquéreur étant irréfragablement présumé
connaître l'existence de la sûreté, il ne serait plus en
mesure d'invoquer sa bonne foi et la sûreté lui serait donc
opposable en tout état de cause. On remarque que ces auteurs, comme la
CNUDCI, assimilent la mauvaise foi d'un acquéreur à sa
connaissance d'une éventuelle sûreté. Ainsi pour Guillaume
ANSALONI « Dès lors que la publicité est accomplie et
que la connaissance du tiers est ainsi réputée, celui-ci ne
devrait en principe pas être admis à se retrancher derrière
son ignorance pour se prétendre être un possesseur de bonne foi au
sens
49« Guide législatif de la CNUDCI sur les
opérations garanties », p. 210, paragr. 74.
50Ibid.
de l'article 227651
».
À l'inverse, Romain BOFFA défend
l'idée que « bonne foi au sens de l'article 227952
du code civil et connaissance de la sûreté sont deux choses
clairement différentes53 ». Pour lui, « Le
possesseur qui ignore que son auteur n'est pas le propriétaire du bien,
mais qui a pu
avoir connaissance de la sûreté en
raison de sa publication ou qui en a réellement connaissance, doit se la
voir opposer54 ». Autrement dit selon cet auteur si
l'opposabilité
d'une sûreté dépend de la
connaissance que peuvent en avoir les tiers, cette même
connaissance ne doit pas être confondue avec la
bonne foi au sens de l'actuel article 2276. « Ainsi, lorsque la
sûreté est publiée, l'ayant cause se voit opposer la
sûreté, non parce qu'il
est de mauvaise foi au sens de l'article 2279 du
Code civil, mais parce que sa connaissance
de la sûreté est
établie55 ». Pour achever de se convaincre du
bien-fondé de cette vision il suffit de se demander de quel « titre
» il est question au premier alinéa de l'article 2276.
Quand on considère l'effet acquisitif de la
possession de meuble consacré par cette
disposition il paraît pertinent de parler
d'usucapion instantané du possesseur de bonne foi. Or qu'usucape
l'acquéreur de bonne foi dans le cadre de l'article 2276 sinon la
propriété du
meuble ? Ainsi on ne peut voir en cet article un
obstacle à l'opposabilité des sûretés dans
la
mesure où le créancier garanti, sauf
dans le cas des propriétés sûreté, ne vient pas
contester le statut de propriétaire du tiers acquéreur. Le
créancier garanti cherche seulement à faire valoir
son droit réel accessoire sur la chose de
l'acquéreur. Autrement dit, « la possession,
entendue
comme un pouvoir de fait sur une chose, permet
d'acquérir le droit correspondant aux prérogatives
exercées (...). L'exercice de ce pouvoir de fait est sans aucune liaison
avec
l'opposabilité de relations accessoires
préexistantes, dès lors qu'elles peuvent coexister avec le droit
acquis56 ». Or bien évidemment, un droit de
propriété peut coexister avec un droit réel accessoire
constitué par une sûreté réelle.
Ainsi nous rangerons-nous à l'approche de cet
auteur, en droit français c'est la connaissance par les tiers d'une
sûreté, fût-elle une connaissance présumée,
qui commande son opposabilité.
Il ne faut pas pour autant surestimer l'importance de
cette distinction éminemment octogonale. Si la CNUDCI ne fait pas de
différence entre bonne foi et connaissance ou
ignorance d'une sûreté, c'est parce
qu'elle renvoie dos à dos ces deux approches en leur adressant la
même critique. Une critique qui, bien qu'atténuée par le
système de la connaissance présumée que nous connaissons,
demeure une source de progrès à étudier.
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