Section 2 : Simplicité : la question de la
priorité des droits.
La question de la priorité est indissociable de
la notion d'opposabilité bien qu'il ne faille pas les confondre.
Commençons par une définition du champ d'application des
règles de la priorité des droits qui nous intéressera au
cours de cette section, ensuite il sera temps d'examiner les difficultés
de la relation opposabilité/priorité.
1. Définition des règles de
priorité et délimitation de leurs champs d'application. «
Le concept de priorité est au coeur de tout régime efficace
en matière d'opérations garanties240 ». La
CNUDCI définit les dispositions relatives au concept de
propriété par leurs fonctions. Ainsi les normes relatives
à la priorité en matière de sûreté
réelle mobilière sont « Le principal moyen par lequel
les États résolvent les conflits entre les droits de
différents réclamants concurrents sur les biens du
constituant241 ». Elle poursuit en décrivant plus
particulièrement le contenu de règles de priorité et leurs
conséquences juridiques, elle évoque « un ensemble de
principes et de règles qui définissent la mesure dans laquelle un
créancier garanti peut jouir des effets économiques de sa
sûreté sur un bien grevé du constituant par
préférence à tout autre réclamant concurrent qui
tient ses droits de ce même bien242 ». Nous avons vu
précédemment qu'il pouvait tout à fait exister
simultanément différents droits réels grevant un
même bien au bénéfice de créanciers
différent. Permettre l'existence de cette situation est même un
critère de la réussite d'un système de publicité
des sûretés mobilières. En effet si le système
fourni est assez efficace en matière de transparence, il sera possible
d'exploiter toute la valeur d'un bien en l'affectant à la garantie de
plusieurs créances. Cet achèvement n'est pas une mince affaire
Pour obtenir un tel résultat il faut que le système de
publicité fournisse aux créanciers garantis des données
exactes et précises sur le rang des droits des autres. Comme nous avons
pu le montrer précédemment c'est uniquement comme cela que de
nouveaux créanciers garantis seront suffisamment rassurés pour
venir se greffer en aval des rapports entre le constituant et un premier
créancier garanti243.
Nous n'évoquerons pas le cas des ordres
juridiques qui ne « traite pas directement du rapport entre les divers
créanciers d'un débiteur, mais uniquement du rapport entre le
débiteur et un créancier particulier244 ».
Car dans la grande majorité des états « le droit des
relations entre débiteurs et créanciers a une portée plus
large et prévoit aussi plus explicitement la manière dont doivent
être régies les relations entre l'ensemble des créanciers
d'un débiteur245 ». À notre sens, cette
approche doit être saluée en raison de la vision d'ensemble
qu'elle apporte. Les droits d'un créancier ayant forcément des
conséquences sur les droits d'un autre dans le cadre limitatif du
patrimoine d'un unique débiteur, il est bon que le droit se montre
réaliste et pragmatique en envisageant cet état de fait. C'est
cette approche qui sous-tend la nécessaire discipline collective
imposée au
239Ibid.
240« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », préc., p. 191 paragr.
1.
241Ibid.
242Ibid.
243Voir supra.
244« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », op. cit., p. 191, paragr.
2.
245Ibid.
créancier en cas de procédure
collective. En France, l'article 2285 dispose ainsi que « Les biens du
débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s'en
distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les
créanciers des causes légitimes de préférence
». Retenons qu'une convention de sûreté est
précisément une cause légitime de
préférence, ainsi le créancier garanti prévoyant se
voit-il accorder le droit de tirer son épingle du jeu en cas
d'insolvabilité du débiteur. Toutefois, il est fort probable
qu'il ne soit pas le seul à avoir voulu se ménager une garantie.
Ainsi « Certains définissent ce concept (la
priorité) de manière assez restrictive en ce qu'ils ne
l'utilisent qu'en cas de concurrence entre les réclamants qui ont obtenu
une préférence en rompant avec le principe
d'égalité des créanciers246 ». Cette
approche, retenue en droit positif national, ne nous satisfait pas tout
à fait. En effet, « la concurrence opposant d'autres
réclamants qui ne revendiquent pas de droits sur un ou plusieurs biens
appartenant au débiteur (notamment les vendeurs réservataires et
les acquéreurs ultérieurs d'un bien du débiteur) n'est
normalement pas qualifiée de conflit de
priorité247 ». Or comme nous avons pu vanter les
mérites d'une approche unitaire du droit des sûretés, nous
devons tirer les conséquences de nos propres recommandations. Ainsi
faut-il à notre sens, conformément aux recommandations de la
CNUDCI, considérer comme relevant des dispositions relatives à la
priorité des droits réels tout droit pouvant être
amené à entrer en concurrence sur un même bien. Autrement
dit, il ne faut pas envisager la question de la priorité uniquement en
analysant les relations entre créanciers garantis, mais il faut
également analyser la situation du tiers acquéreur comme celle
d'un demandeur concurrent à qui il faut attribuer un rang.
Partant de ce postulat, la situation de tout
créancier qui peut avoir un droit sur les biens du constituant doit
être interrogée et incluse dans une théorie unique de la
priorité. Ainsi il sera ici question de la situation du vendeur avec
réserve de propriété, de la situation du crédit
bailleur, etc. Une chose est sûre un régime efficace de la
priorité des droits en matière de sûreté
réelle mobilière ne peut pas faire d'impasse s'il entend
s'accorder à une approche unitaire de la matière. La CNUDCI
recommande que « si un créancier cherche à obtenir une
préférence par contrat pour passer outre au principe du gage
commun ou à celui de l'égalité des créanciers,
l'accord sera considéré comme donnant naissance à une
sûreté et les droits des réclamants concurrents seront
traités dans le cadre d'un conflit de priorité ». Ainsi
semble-t-il essentiel d'en finir avec la figure de propriété
sûreté surplombant les conflits de priorité. De toute
façon, comme nous avions pu le souligner quand nous avons
évoqué l'approche unitaire248, les
intérêts en présence249 sont trop importants
pour que le législateur laisse ce genre de mécanisme braver
toutes les règles imposées aux autres
sûretés.
2. La nuance entre ordre des opposabilités et
ordre des priorités. La première règle en matière
de priorité doit briller par sa simplicité. À ce propos
Jean-François RIFFARD énonce que « la CNUDCI fait sienne
le principe « prior tempore, potior jure » en
disposant
246« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », op. cit., p. 191, paragr.
6.
247Ibid.
248Voir supra.
249Si le créancier garanti rêve de la
sûreté parfaite sous les traits d'une propriété
sûreté pour déjouer la concurrence de ses pairs, il doit
cependant comprendre que cette aspiration n'est pas tenable collectivement. Si
une sûreté prend le pas sur les autres, car elle se soustrait au
dispositif encadrant la priorité des droits elle sera
plébiscitée par l'ensemble des créanciers, annulant par la
même occasion l'avantage individuel qu'ils auraient pu en retirer. Cette
escalade en termes de compétitivité entre sûretés ne
pourra, sur le long terme, que nuire aux règles des procédures
collectives. Or ces procédures sont essentielles à la
santé économique du pays. Voilà pourquoi on ne peut que
s'attendre à ce que les propriétés sûreté
trop virulentes soient sanctionnées par le législateur ou la
jurisprudence qui se garderont bien de faire jouer à la
propriété tous les effets qu'elle devrait pourtant avoir. En
matière de procédure collective, nécessité fait
loi.
que la priorité entre des
sûretés concurrentes sur un même bien est
déterminée en fonction de l'ordre d'inscription au registre des
sûretés mobilières ou de l'ordre dans lequel ces
sûretés sont rendues opposables selon ce qui intervient en
premier250 ». Le principe est tout aussi juste
qu'efficace. Toutefois, nous devons lui apporter quelques précisions.
Premièrement, il apparaît que l'ordre chronologique des
inscriptions ne correspond pas tout à fait à l'ordre
chronologique de la priorité des droits. Deuxièmement, il ne
faudrait pas se laisser aller à confondre simplicité et
simplisme. Cette première règle « prior tempore, potior
jure » doit nécessairement être tempérée
d'exceptions qui peuvent être justifiées tant politiquement
qu'économiquement.
La CNUDCI ne reconnaît pas l'inscription comme
seule méthode d'opposabilité. Dès lors si l'on adopte
cette approche l'ordre chronologique des inscriptions ne doit pas être
confondu avec l'ordre chronologique de la priorité des droits. En effet
dans ce système un créancier garanti qui utilise des
méthodes d'opposabilité telles que la mise en possession ou la
prise de contrôle peut tout à fait avoir un droit d'un rang
supérieur à celui du créancier qui enregistrera le premier
avis relatif à un bien donné sur le registre.
Même si nous ne souhaitons pas la suppression de
la dépossession ou de la prise de contrôle en tant qu'emprise
matérielle sur les biens grevés (ces mécanismes apportant
des effets particuliers que les créanciers peuvent légitimement
rechercher). Nous avons déjà eu l'occasion de remettre en cause
leur efficacité en matière de publicité. Afin que d'un
seul regard sur le registre, n'importe quel utilisateur puisse connaître
l'ensemble des droits réels grevant un meuble, nous recommandons que les
sûretés avec dépossession fassent également l'objet
d'une inscription obligatoire. Autrement dit, l'inscription sur le registre
serait la seule manière de prendre rang. Si l'on suppose une inscription
facile et gratuite251, cette disposition n'aggrave pas
sérieusement la situation des créanciers garantis
bénéficiant d'une sûreté avec dépossession.
Cette mesure aurait le mérite de rompre avec le caractère
lacunaire des informations sur l'opposabilité et la priorité que
le registre devra souffrir tant qu'il existera d'autres méthodes
d'opposabilité que l'inscription.
Cependant même si on admet l'inscription comme
unique méthode d'opposabilité, le premier créancier
à rendre sa sûreté opposable aux autres ne sera pas
nécessairement le premier créancier en termes de rang. En effet,
ce serait sans compter sur la problématique de la perte
d'opposabilité. À ce sujet, nous nous accordons à l'avis
de la CNUDCI selon lequel « La loi devrait prévoir que, si une
sûreté réelle mobilière perd son opposabilité
à un certain moment, cette opposabilité peut être
rétablie, auquel cas elle prend effet à compter de la date
à laquelle elle est rétablie252
».
Si nous avons clairement exprimé le souhait de
voir les propriétés sûreté traitées de la
même manière que tous les mécanismes qui pourrait
être rangé sous la notion unitaire de sûreté, il nous
faut cependant reconnaître qu'un système de priorité
chronologique qui ne connaîtrait aucune exception serait à la fois
inefficace et injuste. En effet, certaines raisons motivées par des
considérations politiques ou économiques s'imposent
nécessairement à un système de priorité. Ainsi on
imagine mal un système ou les salariés seraient mis au même
rang que les créanciers chirographaires. La raison de cette exception
est éminemment politique pour ne pas dire morale. Dans le même
ordre d'idée, bien que plus discutable, on retrouve les
privilèges légaux du fisc. Obéissant à des
considérations économiques le guide
250Jean-François RIFFARD, «
L'harmonisation internationale des droits des sûretés
mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr.
15.
251Voir infra., partie 2, titre 1, chapitre 2, Section 3
: faible onérosité, la question du financement.
252« Guide législatif de la CNUDCI sur
les opérations garanties », op. cit., p. 152, paragr.
47.
fait deux exceptions majeures qui retiendront plus
longuement notre intérêt. Le premier privilégié est
le « créancier garanti finançant
l'acquisition253 » une figure que le guide défini
comme « le créancier garanti titulaire d'une
sûreté réelle mobilière en garantie du paiement
d'une acquisition254 ». L'idée derrière ce
terme est que le constituant a besoin d'investir pour pérenniser son
activité, et que les prêteurs qui entendent l'aider doivent
bénéficier de garanties supplémentaires en raison de
l'utilité économique de cette opération. Dans l'approche
non unitaire, cet objectif est atteint, notamment en droit français, par
l'instrumentalisation de la propriété à des fins de
garantie. Ainsi le créancier garanti finançant l'acquisition sera
souvent en droit positif national le créancier
bénéficiaire d'une réserve de propriété sur
la chose ou un crédit bailleur. Comme nous souhaitons que les
propriétés sûreté affrontent les règles de
priorité sur un pied d'égalité avec les
sûretés traditionnelles, nous devons prévoir une nouvelle
façon d'inciter les prêteurs à financer les acquisitions de
leurs constituants. En termes de solution, le guide propose d'accorder au
créancier garanti finançant l'acquisition « une
super-priorité lui permettant de primer tout autre créancier
ayant antérieurement rendu opposable une sûreté sur biens
futurs, à condition qu'il enregistre un avis dans un certain
délai à compter de la vente255
».
La deuxième figure bénéficiant
d'une exception notable au principe de la priorité chronologique des
droits est l'acquéreur dans le cours normal des affaires. Cette
deuxième exception dont nous avons eu l'occasion de vanter les
mérites en matière de lutte contre les lacunes de la
publicité personnelle se justifie pleinement économiquement, car
elle correspond aux attentes raisonnables des parties. Elle se justifie
tellement qu'on peut reprocher à la CNUDCI de ne pas lui avoir
donné sa pleine mesure. En effet « Selon le Guide, l'acheteur
de marchandises dans le cours normal des affaires du constituant va prendre le
bien libre de toute sûreté, quand bien même elle lui serait
opposable, à moins qu'il n'ait eu connaissance au moment de la vente que
celle-ci violait les droits du créancier garanti256
». Voilà une distinction subtile avec la notion de connaissance
effective ! L'acheteur dans le cours normal des affaires prendrait donc les
marchandises libres de toute sûreté même s'il a connaissance
d'une convention de sûreté les affectant, mais pas s'il a
conscience que cette même convention interdisait au créancier de
disposer des biens. Nous ne pouvons nous ranger à cette approche qui
laisse supposer que la CNUDCI n'a pas tiré toutes les
conséquences de ses arguments relatifs à la difficulté
d'établir la connaissance de ce genre de faits. Ainsi
considérerons-nous que cette précision constitue une inutile
complication du système de la priorité des droits dont il
faudrait ne pas tenir compte257.
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