Section 2 : L'exemple critiquable du fichier national
des gages sans dépossession,
Selon la CNUDCI, « Un fichier
électronique est le moyen le plus efficace et le plus pratique pour les
États adoptants d'appliquer la recommandation du Guide sur les
opérations garanties selon laquelle ce fichier devrait être
centralisé et unifié223 ». Autrement dit, le
registre efficace serait une base de données informatisée. En
droit positif français, le fichier national des gages sans
dépossession est ce qui se rapprocherait le plus de cet idéal. Il
n'en demeure pas moins éminemment perfectible, de sorte que nous ne nous
inspirerons que très modérément de cet exemple. L'article
9 du décret n° 2006 -- 1804 du 23 décembre 2006 dispose
qu'« Il est créé un fichier électronique national
sur lequel est mentionnée l'existence des inscriptions prises en
application de l'article 2338 du Code civil ».
Commençons par le premier défaut de ce
fichier, le plus évident et le plus facilement remédiable :
comment ne pas regretter que le fichier national des gages sans
dépossession ne s'attache, comme son nom l'indique, qu'à la seule
publicité des gages sans dépossession régis par les
articles 2333 et suivant du Code civil ? Quid, entre autres, du gage de stocks,
régis par les articles L. 527-1 et suivant du code de commerce ? Ainsi
le fichier national des gages sans dépossession a-t-il souffert,
dès sa naissance, de la vision octogonale non unitaire du droit des
sûretés que nous avons pu aborder plus haut224.
Aujourd'hui, il pèche par sa nature lacunaire incapable qu'il est
d'informer les tiers en présence d'une sûreté
spéciale. Cette imperfection n'est qu'une manifestation parmi tant
d'autres du casse-tête de la vision non unitaire de la matière.
Toutefois, même en présence d'un droit des sûretés
éclaté « une élémentaire logique aurait
voulu que l'on crée un registre national pour tous les gages sans
dépossession, quels qu'ils soient225 ». A ce
propos, sur demande du ministère de la Justice, une commission
constituée sous la houlette de l'Association Henri Capitant a entrepris
de solutionner ce désagrément. À l'occasion d'un
avant-projet de réforme qui s'articule autour des dix points
clés, il propose notamment une « amélioration du
régime de la publicité des sûretés mobilières
par la centralisation de l'inscription de toutes les sûretés
mobilières spéciales sur le registre créé par le
décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006226
». Incontestablement, il s'agirait d'un progrès, mais le
remède est-il suffisant ? À vrai dire, nous n'en sommes pas
convaincus dans la mesure ou le fichier national des gages sans
dépossession est affecté d'un second défaut. Un
défaut structurel.
À l'étude des dispositions du
décret du 23 décembre 2006, il apparaît que les usagers
n'ont jamais eu accès directement au registre contenant l'information
relative aux inscriptions des différents gages sans dépossession
sur le territoire. S'il se rend sur le site d'information du Conseil national
des greffiers des tribunaux de commerce227, l'usager sera face
à une simple interface fort limitante dans ses possibilités de
recherche. Cette interface est étrangère à la notion de
registre efficace entendu sous la forme d'un grand livre accessible à
tous en écriture et en lecture comme pourrait le proposer la blockchain.
L'article 10 du décret sus-cité dispose que « Le
greffier du tribunal auprès duquel un gage est inscrit
conformément à l'article 1er reporte par voie électronique
sur le fichier prévu à l'article précédent le nom
du constituant ainsi que la catégorie à laquelle appartient le
bien affecté en garantie. » Quant à
223« Guide de la CNUDCI sur la mise en place
d'un registre des sûretés réelles mobilières
», op. cit., p. 34, paragr. 82.
224Voir supra. Partie 1, Titre 1, Chapitre 3 : L'approche
globale et fonctionnaliste de la notion de sûreté 225Pierre CROCQ,
« Droit des sûretés », Dalloz, 2008, recueille
Dalloz, 2008, p. 2104.
226Xavier DELPECH, « Propositions de
réforme du droit des contrats spéciaux et du droit des
sûretés », Dalloz, AJ contrat 2017, p.404.
227www.cngtc.fr
lui, l'article 12 dispose que « S'il existe
des inscriptions prises au nom du constituant sur le bien décrit, le
Conseil national en informe le demandeur et lui indique le greffe
compétent pour obtenir, à ses frais, la délivrance de
l'état de ces inscriptions ». À la lecture
combinée de ces deux articles, il faut conclure que l'usager qui visite
le site n'a pas la possibilité d'écrire sur le véritable
registre. Cette prérogative étant réservée aux
greffiers malgré la charge de travail inutile que cela implique.
L'usager ne peut pas non plus consulter le véritable registre, tout
juste a il accès gratuitement à une copie lacunaire. Ce
système pose plusieurs problèmes, d'une part si la CNUDCI met en
garde contre le registre papier c'est notamment pour éviter le risque
d'erreur lié au processus de la transcription228. En
l'espèce, le fichier n'a que l'apparence d'un registre
informatisé, car il est issu en substance d'un support papier.
Dès lors, la transcription opérée par les greffes des
tribunaux de commerce apparaît comme une étape inutile lors de
l'inscription et la nécessaire demande de consultation payante qui suit
apparaît comme une étape inutile lors de la consultation. En
somme, les greffes se sont immiscées entre l'utilisateur et son registre
ce qui ne saurait être la fonction d'un conservateur
efficace229.
Pour ce qui est du caractère onéreux de
la « délivrance de l'état de ces inscriptions
», il nous apparaît que ce surcoût n'existe que parce que
le fichier des gages sans dépossession n'a pas su se détacher de
son support papier et de l'inscription par enregistrement de documents. Le
registre efficace devrait donner libre accès aux avis inscrits dans
leurs intégralités, et cela potentiellement gratuitement. La
gratuité d'utilisation et le financement par la publicité
commerciale étant la norme sur internet, il nous semble
intéressant de creuser ces pistes quant au financement du
registre230.
Entre autres limitations, soulignons que quiconque
souhaitant s'informer de la situation patrimoniale d'un particulier, afin de
jauger sa capacité à honorer ses obligations par exemple, doit
impérativement connaitre la date de son anniversaire231 !
L'article 11 b) du décret de 2006 dispose que « Pour consulter
le fichier national, le requérant indique les éléments
suivants : (...) S'il s'agit d'une personne physique non-commerçante ou
d'un constituant à titre non professionnel : ses nom, prénoms,
date et lieu de naissance et son domicile ». Or si la CNUDCI admet la
possibilité d'ajouter la date de naissance dans l'avis d'inscription de
la sûreté afin de parer à l'hypothèse où
plusieurs constituants du même nom auraient grevé des biens
similaires elle ajoute évidemment que « Le Guide sur les
opérations garanties ne recommande cependant pas d'utiliser ces
informations complémentaires comme critère de
recherche232 ». Dans le même ordre d'idée, il
faudra impérativement connaitre la
228À propos de l'usage d'un registre
informatisé la CNUDCI affirme que « Cette approche est le moyen le
plus efficace de donner suite à la recommandation du Guide sur les
opérations garanties selon laquelle le système devrait être
conçu pour réduire au minimum le risque d'erreur humaine (...),
puisqu'elle dispense le personnel du registre de saisir dans le fichier du
registre les informations figurant sur un avis papier et élimine ainsi
le risque d'erreur lié à la transcription. », «
Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des
sûretés réelles mobilières », op. cit., p.
34, paragr. 83.
229La CNUDCI rappelle que « L'accès direct
réduit considérablement les frais de fonctionnement et de
maintenance du système », « Guide législatif de la
CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 165. Il ne
semble pas y avoir de bonne raison à empêcher les usagers
d'accéder directement au registre, surtout quand on s'attarde sur le
caractère dissuasif des sanctions relatives aux inscriptions
erronées ou malveillantes que nous avons pu évoquer plus haut.
Dans le même ordre d'idée, « L'accès
électronique direct élimine notamment tout délai entre la
soumission d'un avis au conservateur du registre et la saisie effective dans la
base de données des informations contenues dans l'avis
».
230Voir infra,
231Avec le système de publicité
personnelle proposé par le fichier national des gages sans
dépossession il est impératif de connaître la date de
naissance complète du constituant personne physique pour pouvoir
l'identifier et ainsi procéder à une recherche.
232« Guide de la CNUDCI sur la mise en place
d'un registre des sûretés réelles mobilières
», op. cit., p. 74,
ville de naissance du constituant-personne physique.
Il existe bien une fonction « rechercher dans le site pour renseigner
automatiquement le formulaire », mais elle ne permet que de
substituer un numéro SIREN/SIRET à la rubrique
problématique ce qui ne sera d'aucun secours si le constituant est un
non professionnel. S'il faut bien admettre que cette hypothèse est
marginale, on ne comprend pas pourquoi le fichier ne serait pas assorti d'un
moteur de recherche capable de fournir les différents avis correspondant
à un nom et à un prénom.
Outre les difficultés relatives au formulaire
destiné à identifier le constituant, le site exige que l'usager
renseigne la « catégorie de bien gagé ».
L'article 11 2 ° du décret de 2006 dispose que : « Pour
consulter le fichier national, le requérant indique les
éléments suivants : Sur le bien : la catégorie à
laquelle le bien appartient par référence à la
nomenclature prévue au 6 ° de l'article 2. Chaque consultation ne
peut porter que sur une même personne et une même catégorie
de biens ». Une fois encore on comprend mal pourquoi une même
consultation ne devrait renseigner que sur une catégorie de bien.
Pourquoi serait-il impossible d'avoir une vue d'ensemble des droits grevant le
patrimoine du constituant ? Ce genre d'information peut évidemment
intéresser n'importe quel créancier chirographaire. C'est
à croire que le fichier n'a été pensé que pour les
tiers désireux d'acquérir des droits sur des biens
potentiellement grevés. Or nous avons démontré que la
notion de tiers intéressé par la publicité des
sûretés mobilières était bien plus vaste que cela.
Enfin, on ne peut pas croire que cette limitation ait été
placée à dessein233, car il demeure possible pour qui
s'arme de patience d'effectuer une recherche pour chacune des 18
catégories de bien afin de se faire une image globale des engagements
pris par le constituant. Cette tâche étant particulièrement
fastidieuse on peut s'interroger quant à l'opportunité du
développement d'une application mobile qui effectuerait automatiquement
ces 18 recherches afin d'en fournir une synthèse à son
utilisateur.
En conclusion, le registre efficace devrait à
notre sens être conçu comme un registre purement
informatisé. Il ne devrait pas exister de base de données qui
fournit une information lacunaire et difficile d'accès aux usagers, le
registre devrait lui-même être cette base de données. Quand
on considère le principe de base de l'inscription par simple avis on
voit décroitre l'importance du support papier. En effet si le
système du fichier national des gages sans dépossession souffre
des défauts que nous lui avons trouvés, c'est entre autres choses
parce que toutes inscriptions supposent l'enregistrement de l'acte original
constitutif de la sûreté. Tant que l'inscription par
enregistrement de document sera privilégiée, le registre ne
pourra se départir de l'image d'une étagère
poussiéreuse croulant sous les dossiers épais. La
modernité commande un registre accessible en lecture et en
écriture par tous, cela ne devrait choquer personne dans la mesure
où nous avons déjà établi que l'inscription ne doit
pas avoir pour vocation de prouver l'existence d'une sûreté. Afin
d'aboutir à une réelle dématérialisation du
registre, nous devons nous lancer sur la piste de la Blockchain, un mode de
certification qui brille par sa capacité à se passer
d'intermédiaire. Saura-t-elle générer un registre capable
de minimiser le rôle des conservateurs pour que les utilisateurs aient
enfin accès à une consultation et une inscription direct à
moindre coût ?
paragr. 167.
233Afin de s'assurer que chacun ne prenne que les
informations qui l'intéressent directement, afin que les affaires du
constituant ne soient pas exposées au vu de tous par
exemple.
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