Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.par Gaëtan Jouve Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019 |
Section 2 : La problématique de l'angle mort de la publicité personnelle.1. Le sous-acquéreur, le tiers aveugle à la publicité personnelle. « L'inscription du gage prévue à l'article 2338 du Code civil est faite à la requête du créancier sur un registre spécial tenu par le greffier du tribunal de commerce dans le ressort duquel le constituant est immatriculé ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation d'immatriculation, dans le ressort duquel est situé, selon le cas, son siège ou son domicile157 ». Il est ici question d'une publicité personnelle, c'est-à-dire une publicité basée sur la personne du constituant. D'aucuns diraient qu'en présence de meubles non immatriculés il n'y a pas d'autres systèmes possibles158. Se pose alors un problème évident, « si l'ayant cause immédiat du constituant est en mesure de se renseigner sur l'existence d'une sûreté qui grève le bien, il n'en sera pas de même pour ceux qui auront acquis le bien d'un autre que le constituant159 ». Nous sommes en présence de tiers, qui potentiellement n'auront jamais entendu parler du constituant et de ses affaires. Des tiers placés au bout d'une chaîne translative de propriété plus ou moins longue, nationale ou même internationale, qui ne seront jamais en mesure de se rendre sur le site ( https://www.infogreffe.fr/recherche-gage-sans-depossession) pour y effectuer une recherche efficace160. Car pour eux le constituant, personne physique ou morale161, demeurera un parfait anonyme162. D'une certaine façon, on peut parler d'un angle mort de la publicité personnelle, un défaut intrinsèque et insurmontable qui empêche tout repérage efficace par le sous-acquéreur d'information qu'on entendrait lui distribuer par ce biais. Partant de ce constat nous sommes, semble-t-il, en présence d'un choix cornélien, « Deux alternatives sont alors possibles, selon que l'on préfère protéger les droits du constituant ou les intérêts tout aussi légitimes du tiers163 ». Faut-il sacrifier l'intérêt du sous-acquéreur et la sécurité juridique de toutes les transactions de biens meubles non immatriculés, en le laissant se débattre avec la responsabilité contractuelle de son auteur peu loquace ? Ou alors faut-il renoncer à l'opposabilité erga omnes des sûretés réelles mobilières régulièrement publiées qui ne seraient alors jamais opposables au sous-acquéreur ? La difficulté naît du fait que protéger le sous-acquéreur victime de l'angle mort de la publicité personnelle (par un mécanisme 157Décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006. 158« S'agissant de biens meubles non immatriculés, seul un système de publicité personnelle, c'est-à-dire par référence au domicile ou au siège du constituant, était concevable », Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr.16. 159Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 5. 160« le site internet tel que visité au 13 mars 2007 impose au requérant conformément à l'article 11 du décret (Décr. 23 décembre 2006) du, de renseigner en premier lieu l'identité du constituant ». Cette exigence pratique est toujours d'actualité et est en toutes hypothèses pas amenées à changer prochainement en raison des difficultés liées à la publicité des meubles non immatriculés. Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », op. cit., paragr. 21. 161Le site ( https://www.infogreffe.fr/recherche-gage-sans-depossession) propose de rechercher d'éventuels gages consentis par une personne morale. Quid de ces montages aux allures de matriochka où telle société sert de vitrine à une activité tandis qu'une filiale aurait consenti le gage problématique ? Évidemment, une recherche basée sur la raison sociale de la première société à laquelle le tiers ignorant pense avoir à faire ne lui sera d'aucun secours. Enfin si le changement de nom est une difficulté plus anecdotique que réelle quand il est question d'un constituant personne physique, on ne peut qu'espérer que le registre soit mis à jour promptement si une entreprise change de nom. 162« Ne connaissant pas par hypothèse l'identité du constituant, sauf information par leur propre auteur sur ce point ou circonstances particulières, ils ne peuvent avoir connaissance du gage qui grève le bien. », Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 21. 163Ibid., paragr. 23. d'inopposabilité) semble tenir d'un choix aussi juste que néfaste à l'efficacité des sûretés réelles mobilières. En partant des variables traditionnelles : inopposabilité et protection des tiers non informés, contre droit de suite et conservation des droits du créancier garanti, la problématique de l'angle mort de la publicité personnelle semble insoluble. 2. La piste du gage sur chose fongible. Pierre CROCQ fait remarquer à propos de cette problématique de l'information des sous-acquéreurs que « s'agissant des acquéreurs de biens meubles, l'insécurité résultant d'un défaut de renseignement sera compensée par le fait que le bien gagé est souvent un bien fongible dont l'aliénation a été autorisée par le créancier164». Or cette autorisation d'aliéner, expressément prévue par l'article Article 2342 du code civil165, Pierre CROCQ l'analyse comme une renonciation du créancier à l'exercice de son droit de suite. En effet, nul besoin d'affliger le tiers acquéreur d'un droit de suite quand on considère l'obligation qui est faite au constituant de remplacer les biens aliénés par « une même quantité de choses équivalente166 ». La valeur de l'assiette de la garantie est ainsi préservée malgré les aliénations successives. Via cet exemple très particulier du gage sur chose fongible on constate deux choses : premièrement, on remarque qu'il suffit de supprimer le droit de suite pour régler totalement le problème que pose l'angle mort de la publicité personnelle aux sous-acquéreurs. Deuxièmement, on comprend que cette suppression ne peut se faire qu'au prix d'un remplacement. Le droit de suite est trop encombrant (voir totalement inconciliable avec les impératifs d'une publicité efficace au sein d'une économie de marché dynamique). Ne serait-il pas préférable de toujours préférer, en matière de sûreté sur des meubles non immatriculés, une forme d'assiette pensée pour ne pas perdre en valeur tout en permettant la mise sur le marché de bien libre de tout droit réel ? Le droit français n'est pas obligé de choisir entre la peste et le choléra, l'exemple du gage de quelques tonnes de blé porte en lui les germes d'une solution (généralisable à l'ensemble de la matière). Cependant pour la découvrir encore faut-il savoir séparer le bon grain de l'ivraie parmi les friches des sûretés sur stocks. 164Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc, paragr. 18. 165« Lorsque le gage sans dépossession a pour objet des choses fongibles, le constituant peut les aliéner si la convention le prévoit à charge de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes. », article 2342 du Code civil. 166Article 2342 du Code civil. |
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